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II. Les processus du recul

4. L’association argile–grès, du cap Gris-Nez à Equihen

4.2 Le cap Gris-Nez

Les processus d’érosion affectant la paroi de la falaise sont commandés par l’effritement des Argiles de Châtillon, mettant lentement les grès sus-jacents en porte-à-faux, et par la perte de cohérence des Grès de la Crèche qui favorise les arrachements et le basculement de blocs gré- seux. L’usure des Argiles de Châtillon est un phénomène très superficiel. Malgré leur granu- lométrie relativement grossière, ces matériaux très compactés ont une faible perméabilité. Ils restent donc secs dans la masse et ne se prêtent pas au fluage. Probablement favorisée par les phénomènes de détente et d’haloclastie, la libération de débris fins est le résultat de l’alternance d’humectation et de dessiccation, liée au suintement d’eau continentale à la base des grès (fig. 32E) et aux embruns. Accumulés en pied de la paroi, ces débris fins sont suscep- tibles de fluer (fig. 33). L’usure des Grès de la Crèche tient au contraire à leur perméabilité. La résurgence en bordure de falaise des eaux infiltrées à la surface du plateau provoque, dans ces matériaux, un soutirage des sables et un déchaussement des grès concrétionnés. Une fois à l’air libre, les grès subissent une desquamation et s’ornent de taffonis. Parfois, ils se fendent dans la masse le long de joints perpendiculaires à la stratification (fig. 32E). L’orientation de ces joints semble moins dépendre des directions tectoniques régionales (N030, N090, N110) que d’un phénomène de détente lié au déchaussement des grès et à leur position en porte-à- faux (Battiau-Queney et al., 2003). Les cassures sont donc le plus souvent parallèles à la paroi de la falaise. Sur le revers de la falaise, aux endroits où les bancs gréseux sont discontinus, le soutirage des sables entraîne la formation d’entonnoirs, qui s’ouvrent sur la paroi dès qu’ils sont recoupés par le haut de falaise (fig. 34C). Qu’ils soient naturels ou associés à des impacts de bombes (voir supra), les entonnoirs de suffosion, situés à proximité de la corniche et re- coupés par le recul du haut de falaise, déterminent la présence d’une convexité sommitale

souvent végétalisée du fait de la discrétion du ruissellement de surface sur le revers. Ainsi, le haut de falaise est défini par une rupture de pente convexe qui ne doit pas être assimilée à une fausse falaise (Pierre, 2005b). Ce modelé est en effet directement lié aux processus de souti- rage et suffosion qui conditionnent le recul de la corniche sablo-gréseuse, tandis que sa per- fection est souvent associée à la densité de trous d’obus sur le haut de falaise (pointe du Ri- den, nord du cran Barbier, sud du cran de Quette, nord-ouest du cap Gris-Nez ; fig. 33).

Figure 33 – Processus d’érosion des falaises argilo-gréseuses entre le cran Barbier et le trou du Nez ("type Gris-Nez").

1 : maison ; 2 : blockhaus ; 3 : sentier ; 4 : pied de falaise (limite supérieure du chaos de boules) ; 5 : haut de falaise vif ; 6 : haut de falaise végétalisé ; 7 : masse éboulée stable ; 8 : tassement ; 9 : radeau calcaire ou gré- seux ; 10 : replat structural ; 11 : banc gréseux ; 12 : banc calcaire ; 13 : faille ; 14 : arrachement secondaire ; 15 : grès mamelonné en porte-à-faux ; 16 : glissement en planche ; 17 : glissement de pan ; 18 : ravinement ; 19 : coulée superficielle et hétérométrique ; 20 : débris éboulés évoluant en coulée ; 21 : éboulis calcaires ; 22 : enrochement ; 23 : trou d'obus ; 24 : ancien fort (en partie d’après Pierre, 2005b).

Ces deux processus préparatoires, affectant les argiles et les grès, conditionnent l’occurrence de mouvements de terrain un peu plus importants et qui se relaient dans le temps. Il s’agit, dans les Argiles de Châtillon, de l’éboulisation des bancs calcaires mis en saillie par l’usure des lits de granulométrie fine. En présence de débris fins, les éboulis calcaires accu- mulés en pied de falaise évoluent en coulées à blocs peu épaisses. Dans les Grès de la Crèche se produisent des petits glissements de pans de roche si les bancs gréseux sont discontinus, ou des basculements de blocs gréseux, si ceux-ci sont suffisamment déchaussés. Par endroits, dans l’axe des entonnoirs recoupés par le haut de falaise, le ruissellement entaille la paroi. Le versant nord-ouest du cap Gris-Nez, calé sur un flanc anticlinal faillé, présente des phénomè- nes de glissement en planche de bancs gréseux sur les argiles sous-jacentes, le long des plans de stratification (fig. 33A).

Figure 34 – Haut de falaise, paroi et estran au nord du cran de Quette.

A : coupe schématique, la numérotation des bancs calcaires est la même que sur la fig. 36. B : vue vers le sud. 1 : glissement d’un pan dans les Grès de la Crèche au premier plan ; 2 : Argiles de Châtillon, avec quelques boules gréseuses basculées. L’herbe pousse sur des débris argilo-calcaires peu épais ; 3 : pied de falaise (alti- tude : 6 m) ; 4 : rampe couverte de blocs gréseux. C : sur le haut de falaise végétalisé, un entonnoir de suffosion est ouvert sur la paroi et recoupe le sentier (photos localisées sur la figure 33 (2 et 3)).

La pointe du Riden marque le début des falaises du "type Audresselles" tout en conser- vant quelques traits morphologiques relevant du "type Gris-Nez" (fig. 33D). La juxtaposition des deux types est liée à un important rejet de faille : au sommet du compartiment affaissé, l’épaisseur de l’affleurement des Grès de la Crèche exacerbe le phénomène de suffosion et de déchaussement, tandis qu’à la base du compartiment soulevé, la présence d’un banc calcaire suffisamment résistant (banc 2 de la figure 34A) définit un replat structural qui s’élève de 10 à 14 m du nord au sud suivant le pendage des couches. Les trous laissés par les obus condition- nent largement la morphologie du haut de la falaise marqué par une rupture de pente convexe. Les valeurs de recul n’ont pu être établies pour ce court tronçon, faute de couverture par des missions aériennes d’échelle adéquate, mais l’altitude du pied de falaise (près de 8 m) précédé

d’une rampe en pente forte et couverte de blocs (comme c’est le cas plus au nord) vont dans le sens d’un recul lent, nous le verrons.