A l’échelle de l’organisme et des tissus, plusieurs mécanismes permettent en temps normal d’éliminer les cellules présentant des dysfonctionnements. Parmi ces mécanismes, l’apoptose présente la double caractéristique d’être génétiquement programmée au sein de chaque cellule et de ne pas déclencher de réaction inflammatoire. L’apoptose joue un rôle essentiel au cours du développement embryonnaire et de la vie de l’organisme. Elle est par exemple impliquée dans la morphogenèse des doigts et le renouvellement de différents tissus, dont l’épithélium intestinal. Le mécanisme d’apoptose est également déclenché lorsqu’une cellule subit des dommages à l’ADN importants (Flusberg and Sorger, 2015). Il permet donc d’éviter le maintien dans l’organisme de cellules porteuses de mutation et susceptible de dériver vers un phénotype cancéreux. L’ensemble des cancers effectivement observés découle donc de cellules ayant acquis la capacité d’échapper à l’apoptose.
L’apoptose d’une cellule peut être induite par deux voies de signalisation différentes. La voie extrinsèque dépend d’un signal extracellulaire tandis que la voie intrinsèque est déclenchée spontanément par la cellule elle‐même. Ces deux voies convergent vers l’activation des caspases pro‐apoptotiques (Alberts et al., 2008). Ces protéases sont présentes dans le cytoplasme sous forme de précurseurs inactifs, les pro‐caspases, qui sont activés par clivage et dimérisation (Parrish et al., 2013). L’activation de ces caspases par les voies extrinsèque et intrinsèque de l’apoptose induit le clivage de différentes protéines cellulaires et l’activation d’une nucléase capable de cliver l’ADN internucléosomique, l’apoptose étant associée à un clivage de l’ADN cellulaire (Widłak, 2000). L’ensemble de ces mécanismes régulés de dégradation aboutit à la mort cellulaire par apoptose (Figure 12).
La voie extrinsèque de l’apoptose (Figure 13) est déclenchée par la reconnaissance d’un signal extracellulaire par un récepteur membranaire couplé à un domaine de mort (DD). Ce signal extracellulaire peut‐être localisé à la surface d’une autre cellule (ligand Fas) ou circulant (TNF α et β).
L’interaction du récepteur avec le ligand extracellulaire va induire sa trimérisation, permettant l’interaction de ses DD intracellulaires avec les DD de protéines adaptatrices telles que FADD (protéine associée à Fas avec Domaines de mort). Ces protéines adaptatrices recrutent et activent la caspase 8 qui déclenche ensuite une cascade d’activation des autres caspases conduisant à l’apoptose (Verbrugge et al., 2010).
La voie intrinsèque de l’apoptose (Figure 14) peut être déclenchée par différents stress intracellulaires, notamment par une accumulation de lésions à l’ADN. Ces signaux induisent la formation de pores protéiques au niveau de la membrane mitochondriale externe par lesquels des facteurs pro‐apoptotiques sont libérés dans le cytoplasme. Ces pores sont généralement formés par des protéines pro‐apoptotiques de la famille protéique Bcl‐2, tels que Bax et Bak. Constitutivement exprimées, ces protéines sont normalement inhibées par les membres anti‐apoptotiques de la famille Bcl‐2, tels que Bcl‐2, Bcl‐xL et Mcl‐1. Les signaux de stress pro‐apoptotiques permettent la libération et la multimérisation de Bax et Bak pour former des pores mitochondriaux. Ces pores permettent le relargage de plusieurs facteurs qui coopèrent pour déclencher l’apoptose. Le cytochrome c interagit avec la protéine Apaf1 dont il induit la transconformation. Cette protéine fixée au cytochrome c forme alors un homoheptamère, l’apoptosome qui active la pro‐caspase 9 et déclenche la cascade d’activation des caspases. Parallèlement, d’autres facteurs comme SMAC/Diablo et Omi/HtraA2 inhibent des inhibiteurs de l’apoptose (IAP) et activent donc indirectement les caspases. Enfin, la Figure 13 : représentation schématique de la voie extrinsèque d’activation de l’apoptose. DD : domaine de mort (Death Domain), DED : domaine effecteur de mort (Death Effector Domain), DISC : complexe de signalisation induisant la mort (Death Inducing Signalling Complex). 1 : reconnaissance d’un signal extracellulaire d’induction de l’apoptose par des récepteurs transmembranaires et trimérisation activatrice des récepteurs. 2 : recrutement de protéines adaptatrices par interaction entre les domaines de mort. 3 : recrutement de pro‐caspases par interaction entre les domaines effecteurs de mort. 4 : activation de la caspase 8. 5 : cascade d’activation des caspases (Figure 12). 6 : induction de l’apoptose.
protéine AIF (Facteur Induisant l’Apoptose) libérée par la mitochondrie est transportée dans le noyau où elle favorise le clivage et la compaction de l’ADN (Adrain and Martin, 2001; Alberts et al., 2008; Cory and Adams, 2002).
Au‐delà de leur convergence vers l’activation des caspases, la voie extrinsèque et la voie intrinsèque de l’apoptose sont connectées via la protéine Bid. En effet, Bid est activée par la caspase 8 lors de la voie extrinsèque et active les protéines Bax et Bak de la voie intrinsèque. Elle favorise le relargage de facteurs pro‐apoptotiques depuis la mitochondrie et donc la voie intrinsèque de l’apoptose (Korsmeyer et al., 2000).
Dans certains cancers, la résistance à l’apoptose est due à la surexpression de facteurs anti‐apoptotique comme Bcl‐2 (Leek et al., 1994; Lu et al., 1993). Mais dans la majorité des cas, des mutations sont retrouvées dans les gènes codant des facteurs clés de l’apoptose.
Dans environ 50% des cancers humains, la résistance à l’apoptose est due à une mutation dans le gène p53 (Alberts et al., 2008). En effet, ce gène code pour un facteur de transcription impliqué dans la régulation de différents processus cellulaires, dont l’apoptose. Il a été montré que p53 induit la transcription des facteurs pro‐apoptotiques de la famille Bcl‐2 et d’intermédiaires des voies intrinsèque et extrinsèque de l’apoptose mais également que p53 inhibe de façon directe ou non les inhibiteurs de l’apoptose. Ainsi, p53 est un activateur global de l’apoptose, agissant essentiellement mais pas uniquement sur la voie intrinsèque d’activation (Yu and Zhang, 2005). Figure 14 : représentation schématique de la voie intrinsèque d’activation de l’apoptose. 1 : les protéines Bak et Bax sont inhibées par les protéines anti‐apoptotiques de la famille Bcl‐2. 2 : un signal apoptotique intracellulaire lève l’inhibition de Bax et Bak. Ces deux protéines forment alors des pores mitochondriaux. 3 : du cytochrome c est relargué dans le cytoplasme depuis la mitochondrie. 4 : le cytochrome c induit la transconformation de la protéine Apaf1. 5 : sept molécules d’Apaf1 liées au cytochrome c s’associent avec sept pro‐caspases 9 pour former l’apoptosome. 6 : la caspase 9 est activée. 7 : le facteur SMAC/Diablo est libéré hors de la mitochondrie. 8 : ce facteur inhibe les inhibiteurs de l’apoptose (IAP). 9 : la protéine AIF est libérée hors de la mitochondrie. 10 : AIF entre dans le noyau et favorise le clivage de l’ADN cellulaire. 11 : l’ensemble des processus de la voie intrinsèque concoure à l’induction de l’apoptose.
Cette protéine est présente à des niveaux très faibles dans les cellules saines car elle est dégradée en parallèle de sa synthèse. Elle est stabilisée lorsque la cellule est confrontée à différents stress tels que les dommages à l’ADN, l’hypoxie, un manque de nucléotide, le stress oxydatif ou encore l’expression d’oncogènes. Cette augmentation du niveau de p53 cellulaire induit différentes réponses au stress, dont l’apoptose (Chipuk and Green, 2006). L’inactivation du gène correspondant dans des cellules transformées constitue donc une avancée drastique vers le phénotype cancéreux et p53 est considéré comme un suppresseur de tumeur majeur.