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La résilience des systèmes complexes

Dans le document La résilience des réseaux complexes (Page 38-42)

Les systèmes complexes réels interagissent avec leur environnement. Ils sont entourés de fac- teurs perturbants qui agissent sur les paramètres structurels, e.g., ajout/retrait de liens ou de noeuds, les paramètres dynamiques, e.g., modification du taux de reproduction des espèces, et l’activité des noeuds, e.g., X ← X + dX. Un système dynamique peut réagir aux per- turbations en se dirigeant vers un nouvel état d’équilibre qualitativement différent. La portée des perturbations et tout ce qui entoure le retour à l’équilibre sont rattachés au terme de la résilience.

La résilience apparaît dans une grande quantité d’ouvrages scientifiques [51] et sa définition diffère d’un exposé à l’autre (voir le tableau 1.1). La grande variété de définitions n’est pas due au hasard. Il serait plutôt naïf de suggérer une définition universelle de la résilience. Notre interprétation de la résilience doit être adaptée au contexte à l’étude : le système est-il oscillatoire, adaptatif, stochastique, etc. ?

Dans les contextes déterministes où l’activité est à l’équilibre, ˙x = F (x∗) = 0, la résilience se pose comme une mesure de la stabilité locale du point d’équilibre x∗. Si après la perturbation le système revient arbitrairement près de x∗en un temps fini, souvent par une oscillation amortie ou une transition monotone, alors le point d’équilibre est stable. Plus le système revient vite et plus il semble robuste aux perturbations. Dans de très rares cas (principalement en faibles dimensions), le système peut débuter un mouvement oscillatoire sans amortissement après la perturbation et ne jamais revenir au point d’équilibre.

L’évolution temporelle du retour à l’équilibre pour une faible perturbation est obtenue en linéarisant le système. On suppose le contexte dynamique

˙

x = F (x), (1.46)

admettant un point d’équilibre en x∗ si F (x) = 0. On déplace l’activité de son point d’équi- libre x = x∗+ . Si la perturbation est faible, alors Eq. (1.46) est approximativement linéaire et telle que l’évolution temporelle autour du point d’équilibre est

i(t) = N X j=1

Cijexp (λjt) (1.47)

où Cij dépend des conditions initiales et λj est la j-ième valeur propre de la matrice jacobienne J de la dynamique, dont l’élément (i, j) est

Jij = ∂Fi(x) ∂xj x=x∗ . (1.48)

Puisque le retour à l’équilibre suit une somme d’exponentielles dont les arguments contiennent les valeurs propres λide la matrice jacobienne [Eq. (1.47)], alors la stabilité locale du point fixe se caractérise par le spectre de la matrice jacobienne. Les parties réelles négatives des valeurs propres du spectre seront les plus importantes, car elles sont responsables de l’amortissement de la trajectoire par rapport au point d’équilibre. Le critère de stabilité est alors évident : le système est localement stable si la partie réelle de chacune des valeurs propres sont toutes négatives,

max λi

[Re(λi)] < 0. (1.49)

S’il y a une ou plusieurs valeurs propres avec des parties réelles positives, alors x∗sera instable. Alors que l’équation (1.49) est simple, son applicabilité est loin de l’être. D’abord, si le système est instable ou la perturbation est de trop grande amplitude, la contribution des termes non linéaires ne sera plus négligeable devant celle des termes linéaires. Le critère de stabilité ne sera d’aucune utilité pour prédire le nouvel état, e.g., extinction globale x = 0, nouvel état d’équilibre, cycle limite, etc. Ensuite, la stabilité locale n’est pas un indicateur de la stabilité globale, sauf pour les systèmes parfaitement linéaires. Elle n’est donc pas un bon outil pour traiter les grandes perturbations. Ici, la définition de ce qu’est une trop grande perturbation est volontairement imprécise. À quel moment devons-nous accepter la linéarisation comme une bonne approximation ? Il n’y a pas une seule bonne réponse, mais seulement une imprécision qui est soulevée.

On y opposera également que la stabilité locale ne passe pas tout à fait le test de la réalité. Les systèmes réels ne sont pratiquement jamais à un point d’équilibre, mais plutôt dans des états transitoires qui peuvent, ou non, fluctuer autour d’un point d’équilibre. Enfin, les perturbations dites structurelles, soit par la modification de la structure du réseau ou des paramètres de la

Table 1.1 – Exemples de définitions de la résilience selon les domaines scientifiques. Adapté de

Ref. [51].

Définition

Écologie Persistance d’un système et capacité à absorber unchangement tout en conservant essentiellement la même fonction.

Ingénérie Capacité d’un système à rétablir ses fonctionsd’origine après une perturbation.

Économie Capacité de répondre à une perturbation pour limiterune certaine fonction de perte.

Psychologie Capacité d’une personne de maintenir un étatd’équilibre malgré les épreuves.

dynamique, sont mal quantifiées par une mesure de stabilité. En modifiant la structure, l’état d’équilibre se retrouve inévitablement modifié. Le système ne retourne donc pas exactement à l’état d’équilibre initial malgré que le nouveau point d’équilibre est souvent qualitativement équivalent.

D’autres mesures de résilience traitent du retour à l’équilibre. Par exemple, Holling propose d’y attacher le volume dans l’espace d’activité x pour lequel le système retournera au point stable x∗ [75]. Cette forme est essentiellement la perturbation maximale que peut prendre le système. Toutefois, estimer ce volume est souvent impossible en pratique.

La résilience des systèmes complexes réels ne semble donc pas facilement quantifiable. Notons également que nous n’avons pas discuté que l’analyse de la stabilité se complexifie drastique- ment si le système est oscillatoire, e.g., cycle limite.

1.3.1 Détecter et comprendre les perturbations

Dans ce contexte de résilience, notre travail est de contribuer à une meilleure analyse des sys- tèmes complexes perturbés. Dans ce cadre conceptuel, nous dégageons deux tâches d’intérêts :

— détecter une perturbation ; — estimer l’effet d’une perturbation.

Éventuellement, nos travaux pourront conclure vers le développement de stratégies d’inter- vention pour rétablir les fonctions d’origine du système.

Les objets à l’étude sont les réseaux complexes dynamiques tels que décrits dans les sections précédentes. Les perturbations seront toujours structurelles et prendront la forme d’un retrait de liens. Cette forme de perturbation a été choisie, car elle est commune à plusieurs scénarios. Pensons aux écosystèmes où on répand un pesticide sur certaines plantes et qui a pour effet de couper des liens dans le réseau trophique, ou même à une lésion physique dans un système neuronal. Nous aurons l’occasion de découvrir plusieurs autres exemples au cours de cet exposé. Détecter une perturbation structurelle –Une tâche essentielle en résilience des systèmes, notamment dans le cadre des changements climatiques, est d’être capable de détecter le plus rapidement possible l’existence d’agents perturbants dans un système. Pour s’y prendre, il faut se baser sur des jeux de données décrivant des réseaux complexes. Le défi est de taille considérant parfois les faibles volumes de données disponibles et la complexité des objets. Une avenue intéressante pour la détection des perturbations sur les réseaux complexes dyna- miques est d’étudier les séries temporelles de l’activité des noeuds. De manière similaire à la détection par électroencéphalographie des crises épileptiques, l’activité sur le réseau peut être un indicateur de perturbations.

La détection d’anomalies dans des séries temporelles est bien documentée notamment en in- génierie. Plusieurs méthodes efficaces existent pour accomplir cette tâche [3]. Toutefois, la plupart des méthodes considèrent chaque série de manière indépendante. Mais dans les ré- seaux complexes, les séries temporelles ne sont pas indépendantes et seront couplées selon une structure en graphe avec beaucoup de composantes, voire des milliers. Ce travail nécessite donc de développer des outils adaptés à des données structurées.

Estimer l’impact de la perturbation – Que ce soit après une éventuelle détection de perturbation ou pour simplement mieux documenter les systèmes réels, nous devons être en mesure d’estimer l’effet d’une perturbation. Est-ce que le réseau peut bifurquer vers un nouvel état dynamique ? Pour être en mesure d’y répondre, il faut avoir une bonne compréhension de la relation structure-dynamique, le leitmotiv de la science des réseaux [127]. Il faut également pouvoir accomplir l’estimation dans un délai raisonnable. Ce dernier critère est primordial pour les réseaux avec plusieurs milliers de noeuds où certaines méthodes, dites de force brute5, ne

sont pratiquement pas réalisables (Fig. 1.5).

· · ·

5. Nous verrons que ces méthodes se présentent sous la forme d’intégration numérique de systèmes d’équa- tions à N dimensions de la dynamique.

101 102 103 104 Nombre de noeuds 10 1 100 101 Secondes

Figure 1.5 – Temps d’intégration de la dynamique Lotka-Volterra généralisée pour différentes tailles de réseau. Pour chaque taille de réseau, le temps d’intégration est moyenné sur 10 simulations effectuées

avec l’intégrateur dopri5 avec dt = 10−2 et 1 000 pas de temps. Les calculs ont été faits sur un

ordinateur MacBook Pro 2018 de processeur 2,3 GHz Intel Core i5.

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