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§ 1 - La Loi des XII Tables, texte fondateur

A - La supériorité du droit sur la philosophie

En ce domaine le témoignage de Cicéron est particulièrement important, d'abord parce que Cicéron est le plus philosophe des juristes et le plus juriste des philosophes, et aussi parce que son

témoignage intervient quatre siècles après la Loi des XII Tables, dans une Rome cultivée,

commerçante et ouverte sur le monde, une Rome qui n'a plus grand-chose de commun avec la société rurale, naïvement cruelle et obsédée par des croyances magico-religieuses qui s'exprime dans la Loi des XII Tables.

Dans le Traité des lois , Cicéron se met en scène, un beau jour d'été de l'an 52 avant J.-C., avec quelques notables romains. Entre autres, ils se souviennent avec attendrissement d'une récitation de leur enfance :

Au temps, Quintus, où nous étions petits, nous avons appris à donner le nom de lois à des formules comme :"Si l'on cite en justice" (Si in ius vocat ) et autres de ce genre.

Cicéron nous apprend ainsi que dans cette société urbaine, brillante et cultivée de cette Rome en fin de République, les enfants apprenaient par coeur la Loi des XII Tables, un texte désignant une

société agricole où l'on croyait pouvoir s'emparer magiquement de la récolte de son voisin, où l'on devait enquêter sur un vol en caleçon et avec un plat à la main (lance licioque ) et où un débiteur insolvable pouvait être coupé en morceaux.

En fait, il n'est pas nécessaire, pour un texte fondateur, qu'il soit applicable ni même compris. La Loi des XII Tables restera toujours un texte fondateur en ce qu'elle sera toujours considérée comme la loi écrite qui, aux origines de la République romaine, a servi de fondement à son organisation politique, a justifié la prétention romaine de dominer le monde et la croyance en sa mission d'installer son droit au coeur de la civilisation. C'est parce que la Loi des XII Tables était tout cela dans l'esprit de

Cicéron que celui-ci osa, dans son traité sur L'Orateur , affirmer que la Loi des XII Tables était philosophiquement supérieure à toutes les Ecoles d'Athènes :

Libre à tout le monde de protester : je n'en dirai pas moins ce que je pense. Oui, prenez toutes les collections d'ouvrages de tous les philosophes réunis ; à lui seul, le petit livre des XII Tables, source et fondement de nos lois, me paraît, tant par son autorité

imposante que par sa féconde utilité, leur être infiniment supérieur.

En d'autres termes, cette sagesse du droit dont les Romains se considèrent comme les inventeurs est pour Cicéron une philosophie en soi, la philosophie d'un peuple vainqueur, qui impose sa paix et sa loi :

Enfin, préférez-vous la philosophie, fière dominatrice, dites-vous, du savoir humain ; eh bien! j'ose l'affirmer, ne cherchez pas ailleurs la source de toutes ses discussions : elle est dans le droit civil et les lois.

B - La découverte de l'histoire du droit

L'ennui, lorsqu'on se rattache à un texte fondateur ayant plus de six cents ans, c'est qu'on peut rencontrer un mauvais esprit décidé à critiquer l'archaïsme du texte.

La scène se déroule au début du IIe siècle, dans cette cour de l'Empereur Hadrien, qui commençait à réunir tout ce qui comptait dans la science juridique et quelques philosophes en renom.

Aulu-Gelle nous raconte dans les Nuits attiques qu'un jour, en cette cour d'Hadrien, il assista à une belle querelle entre le philosophe Favorinus d'Arles, et le jurisconsulte Sextus Caecilius Africanus.

Favorinus avait provoqué le jurisconsulte en lui montrant que certains articles de la Loi des XII Tables étaient beaucoup trop obscurs. Il ajoutait que cette dangereuse obscurité se combinait avec une incompréhensible sévérité ou une effarante indulgence. Comment pouvait-on admirer un tel texte?

Toute la défense d'Africanus s'est alors appuyée sur l'histoire du droit. Selon lui, Favorinus ne réalise pas que ces textes ont environ six cents ans et que le temps a fait oublier le sens et le contexte des mots qui y étaient utilisés.

Favorinus ayant accusé les Douze Tables de cruauté, puisqu'elles autorisaient à traîner en justice un invalide juché sur une bête de somme, cruauté qui contrastait avec une incroyable indulgence en ne condamnant qu'à 25 as celui qui s'était livré à une violence physique, Africanus lui rétorqua que les lois devaient servir à apporter des solutions aux problèmes d'une époque et que seul le contexte de

cette époque permettait de les comprendre. En ce qui concernait le transport de l'invalide, le mot jumentum signifiait alors, non seulement la bête de somme ou de trait, mais aussi le véhicule tiré par l'attelage. En outre Favorinus ne connaissait pas l'histoire de la monnaie romaine et de sa

dépréciation : à l'époque des XII Tables, 25 as étaient une somme importante. La dépréciation

monétaire (illustrée par l'histoire du riche excentrique qui giflait les passants et leur donnait aussitôt les 25 as auxquels ils avaient droit) fut la cause d'une réaction de l'édit du préteur en ce domaine.

Favorinus aurait, selon Aulu-Gelle, reconnu sa défaite dans la joute oratoire.

Pour nous, c'est la première fois qu'un juriste faisait un cours d'histoire du droit.

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