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D'emblée, cette rubrique indique un paradoxe. C'est qu'en effet les juristes de l'Europe continentale, bien qu'étant formés universitairement par l'enseignement du même droit romain, se trouvèrent confrontés, dans la pratique, à une multitude de droits entre lesquels il fallut organiser un système de conciliation (lequel a produit ce que nous appelons le droit international privé)

A - Droit commun

Dans une Europe connaissant l'extrême fragmentations des droits (essentiellement coutumiers), le droit commun était le savoir juridique, d'essence romaine mais aussi canonique, qui s'enseignait dans les universités. Le droit commun formait l'esprit de ces juristes qui allaient devenir des juges, des avocats, des notaires, des conseillers juridiques, et aussi les agents des divers pouvoirs politiques.

La formation intellectuelle des hommes de loi se percevait évidemment en des conséquences

pratiques. Non seulement les juristes méridionaux introduisirent du droit romain dans leurs coutumes pour conforter leurs compatriotes dans leur adhésion culturelle à la romanité (alors que la pratique contredisait souvent la coutume rédigée), mais aussi les praticiens des pays dits coutumiers (en principe hors droit romain) ainsi que les agents des divers pouvoirs politiques, tout ce monde-là réfléchissait et argumentait en utilisant des concepts issus de leur acculturation universitaire.

Un cerveau juridique doit évidemment prouver son utilité sociale. En d'autres termes : que valait, avant le XIXe siècle, un argument de droit romain avancé devant un tribunal? A mon sens, l'impact était le même dans toute l'Europe continentale. Signalons cependant qu'il est d'usage de distinguer l'ensemble de l'Europe continentale (où le droit romain s'appliquait automatiquement lorsque les juges constataient la défaillance des autres législations) de la France et de la Castille où le droit romain n'avait aucune force contraignante à l'égard du juge. Tout laisse à penser que la distinction était purement formelle et que, dans tous les tribunaux occidentaux, l'important était la pertinence de l'argumentation de l'avocat lorsqu'il soutenait que seule la loi romaine pouvait trancher le différent en cause.

Quelles que soient les susceptibilités nationales, le droit romain, avec en outre l'appui, déterminant en de nombreux cas, du droit canonique, s'est imposé en Europe comme le droit commun.

Rappelons cependant que ces juristes nourris à la même mamelle doctrinale du doit romain, rencontraient en Europe, lorsqu'il s'agissait de l'application du droit, une myriade de système

juridiques, territoriaux, seigneuriaux, urbains, professionnels, impériaux, princiers et ecclésiastiques.

Nécessairement, ces hommes imprégnés du droit commun de ce qui sera peut-être l'Europe étaient confrontés à la triste réalité des conflits de lois.

B - Conflits de lois

L'entrée dans la barbarie juridique (VIe siècle) fut marquée par le système de la personnalité des lois : les divers peuples barbares, et aussi les gallo-romains, étaient jugés selon leur loi nationale. Il n'est pas nécessaire d'entreprendre une longue démonstration pour faire comprendre qu'un tel

système ne pouvait pas durer longtemps. Très vite, le principe fut celui de la "loi du tribunal" : quelle que soit la nationalité du justiciable, le tribunal n'appliquait que la loi du lieu. Longtemps on crut en Occident que nul ne pouvait proposer une autre solution. Pourtant, au début du XIIIe siècle, en ce moment où l'avancement des études romanistes laissaient espérer la naissance d'un droit commun, un auteur anonyme posa une question qui donna naissance à une nouvelle discipline, le droit

international privé.

Dans l'Italie du Nord, au début du XIIIe siècle, ce que la France appellera le droit coutumier était alors le "droit des statuts" : les villes faisaient rédiger les statuts de leur cité, lesquels devinrent ainsi les coutumes applicables dans la zone d'action politique de ces villes. C'est pourquoi la première école de réflexion sur le droit international privé fut appelée la "doctrine des statuts".

C'est un juriste de Modène (position que je soutiens contre ceux qui croient qu'il fut de Bologne) qui lança le débat. La question devait être, pour lui, majeure : il avait en effet choisi, sous le prétexte le plus futile, la première loi publiée dans le Code de Justinien (la glose Cunctos populos), alors que celle-ci n'avait rien à voir avec les rivalités judiciaires entre les villes italiennes : il s'agissait du

dogme de la Sainte Trinité. En fait, le rédacteur modénais qui rédigea l'apparat conservé dans un seul manuscrit (MS Paris, lat. 4546) avait voulu trouver la première occasion pour écrire ce qu'il avait sur le coeur. Après lui, tous les romanistes médiévaux se donnèrent rendez-vous en marge de la glose Cunctos populos (c'est ce que nous appelons la sedes materiae : le siège de la matière) pour donner leur avis sur les conflits de lois. Le glossateur de Modène a donné naissance au droit international privé en posant, dans le manuscrit précité, la question suivante :

"Il s'agit ici de la clémence de la justice. Et de ce fait il faut noter qu'il (l'Empereur) n'a pas voulu lier d'autres que ses sujets à son pouvoir impérial. Et cela va contre les coutumes des villes qui veulent contraindre les autres avec leurs statuts. Et l'argument est le suivant : si un Modénais fait un procès à un Bolonais dans cette ville (de Bologne), pourquoi est-ce que ce

statut (de Bologne) ne nuirait-il pas au Modénais? Mais certains contredisent cela par cet argument que, si un Modénais va à Bologne, il doit se conformer à ce tribunal et donc suivre toutes les lois de ce tribunal."

La suite se confond avec la genèse du droit international privé, sujet qui est à lui seul l'objet d'un cours. Retenons

cependant quelques grands principes : loi nationale pour le statut personnel et familial, loi du lieu en ce qui concerne le statut des immeubles et le droit pénal et... beaucoup de difficultés en matière de droit des contrats.

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