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Réponses corticales évoquées par la stimulation électrique : une nouveauté ?

Comme nous l’avons décrit dans l’introduction (section 3.c.iii.), ce sont naturellement les analyses périphériques ainsi que les mesures non invasives qui ont été privilégiées dans l’étude de l’implant cochléaire et ce, afin de pouvoir les transposer simplement chez l’homme. Néanmoins, la physiologie du cortex auditif primaire a été étudiée auparavant dans le cadre de l’implant par plusieurs laboratoires. Citons par exemple les travaux princeps de Klinke et Kral qui dès 1999, ont démontré que chez de jeunes chats ayant une surdité congénitale, les structures auditif du cortex pouvaient être recrutées par les stimulations électriques (Klinke et al. 1999). Les animaux étaient implantés et stimulés chroniquement avec une mono-électrode de stimulation dans la cochlée et des potentiels évoqués (PE) ont été recueillis dans le cortex auditif primaire. Les auteurs notaient que les PE corticaux étaient bien plus amples chez les animaux stimulés chroniquement que chez des animaux non stimulés, les PE déclenchés par les stimuli électriques ressemblant selon eux aux PE auditifs obtenus chez des chatons normo-entendants. Certains chatons entrainés dans une tâche comportementale où les animaux devaient détecter la présence d’un son dans l’environnement, ont présentés des performances assez similaires à celles réalisées par des chatons normo-entendants avec des sons purs. Les deux indices physiologiques étudiés étaient les potentiels évoqués (PE) et les réponses multi-unitaires, mais la plupart des conclusions sont basées sur des PE et sur une analyse en « Current Source Density » (CSD) qui permet de déterminer les entrées de courant dans le cortex en fonction des couches. Les amplitudes des PE sont reportées sur une carte corticale afin de comparer les étendues spatiales activées entre les animaux normo-entendants, les animaux sourds et les animaux implantés chroniquement. De façon surprenante, les activations corticales déclenchées par les stimulations électriques chez les animaux non-stimulés chroniquement sont assez comparables aux activations acoustiques des animaux normo-entendants alors qu’après 5,5 mois de stimulation électriques, on constate une activation corticale qui n’est jamais atteinte en situation de stimulation acoustique chez des sujets normo-entendants (voir figure 47 ci-dessous)

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Figure 47 : Carte de la réponse LFP évoquée au niveau cortical par la stimulation intra-cochléaire. A- Chat congénitalement sourd et stimulé uniquement lors de l’acquisition des données. B- Chat normo-entendant. C-Chat congénitalement sourd et stimulé électriquement depuis 2 mois. D- C-Chat congénitalement sourd et stimulé électriquement depuis 5 mois. On peut voir que si A, B et C semblent relativement identiques, D présente des réponses LFP bien plus intenses que chez l’animal contrôle B. Extrait de Klinke et al. 1999.

Plusieurs articles ont suivi cette étude princeps pour décrire, par la technique de la CSD, l’activation des différentes couches corticales chez le chaton implanté chroniquement. D’une part, cette équipe a montré le déficit en entrées synaptiques qui s’observe chez le chaton congénitalement sourd non-implanté (Kral et al. 2000). Chez des chatons implantés entre 2 et 6,5 mois post-natal et pendant des périodes de 2 à 5 mois, l’étendue de l’aire corticale activée par les stimuli électriques est de 2 à 8 fois plus importante que chez des chats non stimulés chroniquement (Kral et al. 2002). Les auteurs observent aussi des latences significativement plus courtes après 5 mois de stimulation par rapport à des animaux non-implantés. Notons, que cette équipe a toujours travaillé sur le chat congénitalement sourd, ce qui correspond à un type de surdité particulière, mais ne constitue pas la majorité des sujets implantés chez l’homme. Dans des revues des questions (Kral et al. 2001), les auteurs discutent des aspects développementaux des réorganisations corticales observées sur ce modèle de surdité, sans vraiment faire de conclusions majeures concernant les comparaisons entre stimulation acoustique et électrique. Ces dernières années, Andrej Kral et son équipe ont continué d’étudier ce sujet, notamment à propos des réorganisations des différents cortex sensoriels (Kral et al. 2017) après de longues périodes de surdités ainsi que leur degré de remobilisation par la stimulation électrique. En résumé, dans les travaux de Klinke et Kral, les réponses

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évoquées corticales servent d’indices physiologiques que la stimulation des fibres nerveuses active jusqu’au dernier relais du système auditif. De ce fait, les caractéristiques même de ces réponses évoquées ne sont que peu étudiées car elles ne sont pas le sujet principal de l’étude. Les travaux de John Middlebrooks sur les réponses évoquées corticales sont plus approfondis et se rapprochent des nôtres. Dans une double étude publiée en 2002, il s’est intéressé à l’étalement de courant en fonction du mode de stimulation utilisé (monopolaire, bipolaire et tripolaire) et les répercussions de la focalisation du courant sur les réponses évoquées au sein du cortex auditif (Bierer & Middlebrooks 2002 ; Middlebrooks & Bierer 2002). Ces études ont été effectuées avec un protocole similaire (chez le cochon d’inde, avec des pulses uniques et des enregistrements corticaux le long de l’axe tonotopique). La représentation spatiale des réponses évoquées corticale a été appelée « Cortical Image » et repose sur le même principe que la représentation présentée dans la figure 6 de Adenis et al. 2018. De même, les quantifications de ces études sont basées sur le taux de décharge évoqué et sur l’étendue spatiale activée (Notons que Arenberg et al 2000 avaient précédemment publié des « image » corticales » avec des sons purs). De ce fait, il semble intéressant de comparer nos résultats et les leurs ainsi que nos indices aux leurs afin de juger de leur validité.

Au sein d’une « image corticale » Middlebrooks décrit l’existence d’un point focal (ou « centroid ») présentant le seuil le plus bas et la latence la plus courte. Le taux de décharge diminue et la latence des réponses évoquées augmente si l’on s’éloigne de ce point focal. On s’approche ici d’une notion équivalente à la CF mais dans le cadre d’une stimulation électrique. Il ajoute également que l’étendue spatiale de l’image corticale est la plus petite et la plus large respectivement avec l’utilisation du mode tripolaire et du mode monopolaire. Ensuite est introduit la notion de gamme dynamique corticale qui suit le même principe que la gamme dynamique observée au niveau de l’eCAP, c’est-à-dire qu’il s’agit d’une quantification de la gamme de charge entre le seuil et la décharge maximale. Bien que la gamme dynamique corticale soit équivalente entre les trois modes de stimulations testés, il est noté que la gamme dynamique semble augmenter à mesure que l’on s’éloigne du point provoquant les décharges les plus fortes.

La conclusion générale des travaux de Bierer et Middlebrooks est un peu paradoxale puisque le tripolaire semble être le mode de stimulation le plus sélectif d’un point de vue spatial et génère des images corticales restreintes avec peu de chevauchement alors que c’est le bipolaire (et parfois même le monopolaire) qui génère les gammes dynamiques les plus importantes et présente donc un avantage en terme de codage de l’intensité. En fait, les résultats du recrutement en termes de taux de décharge semblent contredire ceux du

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recrutement en termes spatial quant à la sélection du « meilleur » mode de stimulation, bien qu’ils soient parfaitement cohérents d’un point de vue physiologique.

Ces données corticales ont été complétées par deux études effectuées au niveau du colliculus inférieur (CI) dans lesquelles les auteurs ont là aussi quantifié l’étendue spatiale activée par les électrodes en différentes configurations. Ils confirment que le mode monopolaire, bien que générant les seuils les plus bas montre une faible sélectivité spatiale par rapport au mode bipolaire et au mode tripolaire (Snyder et al. 2008). Alors que les auteurs ont déterminé des champs récepteurs (sous forme de FRA équivalent à nos données) avant l’implantation de l’implant cochléaire, ils ne font pas de comparaisons dans cette étude entre les activations spatiales déclenchées par les stimuli acoustiques et électriques (Snyder et al. 2008). Dans une seconde étude (Bierer et al. 2010), les auteurs quantifient en plus les différences avec le tri-polaire partiel (ou seul une partie du courant est renvoyé par les électrodes adjacentes à celle qui envoie le pulse, le reste étant dans un masse commune) et les effets de masqueurs plus ou moins importants (200ms de stimulation à 1017Hz). Augmenter la composante tripolaire augmente les seuils et diminue l’activation spatiale dans le IC, et quand le forward masking protocole a été utilisé, l’activation spatiale a aussi été réduite (Bierer et al. 2010).

Au-delà des conclusions de Middlebrooks, les indices utilisés diffèrent des nôtres en deux points : le recrutement en termes de taux de décharge n’est pas étudié à partir des valeurs de taux de décharge mais sur la base des valeurs de gamme dynamique électrique tandis que le recrutement spatial est quantifié sous la forme du courbe de croissance en fonction des courants électriques. Ainsi, ils ne sont utilisables qu’au sein de comparaisons entre stratégies, et ne tiennent pas compte de la force de la réponse évoquée en elle-même. En essayant de détacher nos mesures des valeurs des charges électriques et en ne les basant que sur des paramètres physiologiques de la réponse (le taux de décharge, l’étendue en millimètre), la nature du stimulus n’importe plus. De fait, il me semble que c’est là la valeur ajoutée de nos expériences : la possibilité de faire une comparaison directe entre stimulation acoustique et stimulation électrique où chaque animal peut alors être son propre contrôle. Ce faisant, nous pouvons alors étudier chaque animal indépendamment plutôt que de faire des données de groupe qui vont potentiellement cacher une multitude de profils. Cet avantage est clairement visible dans nos résultats puisque la comparaison des stratégies électriques entre-elles nous apprend qu’en règle générale, autant en termes de taux de décharge qu’en termes d’étendue spatiale, les 4 stratégies semblent équivalentes. Néanmoins, si nous comparons avec les réponses évoquées par l’acoustique, il pourrait être possible de choisir ou d’écarter certaines

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stratégies. Ainsi, il ne s’agit plus de choisir la stratégie la plus efficace sur la base de critères que l’on estime nécessaires (stimulation plus restreinte, gamme dynamique plus grande, seuil plus bas, etc…) mais bien celle qui s’approche le plus des quantifications faites à l’aide de l’acoustique.