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Chez l’homme les implants cochléaires sont posés sur des sujets présentant des surdités sévères ou profondes et, de ce fait, la question ne s’est initialement pas posée de connaitre les pertes auditives provoquées par la pose d’un implant cochléaire. Pourtant afin de préserver l’audition résiduelle chez des patients qui ne sont pas complétement sourds, des efforts ont récemment été faits pour minimiser les dommages lors de la pause et réduire les pertes potentielles dues à la pause d’un implant (voir par exemple Nguyen et al 2013 Acta Oto-laryngol).

Chez l’animal, deux études récentes ont suggéré des conséquences assez différentes après l’insertion d’un implant cochléaire. D’une part, chez le chat, les travaux du laboratoire d’Andrej Kral indiquent qu’au niveau du colliculus inférieur, il n’y a pas d’effet significatif sur les seuils acoustiques des neurones (voir figure 2B dans Sato et al 2016). D’autre part, un article de l’équipe de Yann Nguyen a montré des pertes significatives sur des ABRs de cobayes (Drouillard et al. 2017). Cette équipe a révélé que les augmentations de seuils ABRs dans les moyennes et hautes fréquences étaient fonction du diamètre et de la rigidité des implants utilisés. Avec un diamètre de 0.4mm et un implant relativement rigide, les pertes sont de l’ordre de 30-40dB, avec un implant souple de 0.4mm elles sont de l’ordre 20dB, et elles sont de l’ordre de 10dB avec un implant souple de 0.3mm.

J’ai pu quantifier l’impact de la pose de l’implant sur les seuils des neurones corticaux chez de nombreux animaux (N=21) grâce à la quantification des courbes de réponses au seuil (FRA) avant et après mise en place de l’implant. Le protocole suivi dans ces expériences est présenté sur la figure 31. À la suite de la crâniotomie et de l’insertion de la matrice 16 électrodes dans le cortex auditif primaire (AI), les STRFs ainsi que les FRApré (pour FRA pré-implantation) sont quantifiés (voir Méthodes section 3.c.iii.). Une photographie du cortex avec la matrice toujours en place est alors prise et est utilisée comme référence. Les coordonnées stéréotaxiques et la profondeur de la matrice sont également notées pour la suite de l’expérience. La matrice est ensuite délicatement retirée en évitant tout saignement et je procède à l’insertion du porte-électrode dans la cochlée. L’implant est enfin connecté à la plateforme de stimulation et la matrice de 16 électrodes réinsérée dans A1 en suivant les indications relevées précédemment (coordonnées stéréotaxiques, profondeur et position sur A1 grâce à la photographie). Les STRFs sont de nouveau quantifiés et comparés à ceux obtenus pré-implantation pour s’assurer du bon placement de la matrice. Enfin les FRApost

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(pour FRA post-implantation) sont recueillis pour être analysés à postériori. Les différents protocoles de stimulation électriques sont lancés ultérieurement.

La figure 32-A montre les courbes au seuil obtenues avant (en bleu) et après (en rouge) la pose d’un implant de 0.3mm de diamètre pour 16 électrodes corticales enregistrées simultanément chez l’animal 21. Il apparaît que pour une très grande majorité de champs récepteurs, la pose de l’implant provoque une remontée des seuils dans les hautes et moyennes fréquences, ce qui est en accord avec une insertion par cochléostomie à la base de la cochlée. D’une façon surprenante, il semble exister un abaissement des seuils dans les basses et moyenne fréquences pour certaines électrodes (voir par exemple CH1-CH6). La figure 32-B montre les données de groupe obtenues sur 21 animaux et 336 champs récepteurs. Il apparaît clairement qu’entre 9 et 36kHz, des augmentations de seuils existent et sont en moyenne de 5-15dB. Les pires augmentations peuvent être de l’ordre de 65dB à 75dB chez certains animaux, soit une quasi-surdité pour les fréquences touchées. Ces données de groupes confirment aussi les légères diminutions de seuils dans les moyennes fréquences (de 2 à 5 kHz) qui en moyenne sont de l’ordre de 7dB, avec des diminutions pouvant aller jusqu’à 35dB. L’étude du taux de décharge évoqué, quantifié à 75dB, c’est-à-dire loin du seuil acoustique, confirme ces effets. La figure 32-C montre la moyenne du taux de décharge des neurones (différence entre le taux Post et le taux Pré implantation) obtenu à 75dB sur l’ensemble de nos enregistrements au cours desquels des FRA ont été quantifiés. Le taux de décharge est en chute importante dans les hautes fréquences (entre 9 et 36kHz), alors qu’il est en légère hausse dans les moyennes fréquences (entre 2 et 7 kHz).

Ainsi, contrairement aux données du laboratoire d’Andrej Kral, nos données montrent donc une perte auditive ainsi qu’une diminution du taux de décharge des neurones dans les fréquences correspondant à la zone d’insertion de l’implant. Nous discuterons plus loin des légers abaissements de seuils accompagnés d’une légère augmentation du taux de décharge dans la zone adjacente à celle de la perte. Très brièvement, il pourrait s’agir d’un « démasquage d’entrées » comme cela a été montré dans le système auditif après perte auditive (Rajan & Irvine 1998) ou dans le système somesthésique après anesthésie d’un doigt (Calford & Tweedale 1988, 1991).

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Figure 32 : Influence de l’implantation cochléaire sur les réponses évoquées corticales. A. les seuils auditifs corticaux avant (bleu) et après implantation (rouge) d’un animal sont représentés pour chaque électrode de la matrice d’enregistrement. B. Modification des seuils suite à l’implantation. Les seuils pré-implantation pour chaque fréquence sont soustraits aux seuils post-implantation pour permettre de suivre l’évolution moyenne des seuils. Une augmentation des seuils est visible dans la gamme des hautes fréquences tandis qu’une légère réduction s’observe en bordure, dans les moyennes fréquences C. Les taux de décharge moyens de chaque enregistrement pré-implantations sont soustraits aux taux de décharge moyens post-implantation pour chaque fréquence. L’augmentation des seuils dans les hautes fréquences observée en B est associée à une chute des taux de décharge.

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