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A INTRODUCTION

Le contrat ayant force obligatoire, son inexécution est un fait contraire au droit qui conduit normalement à une sanction. L'inexécution au sens large 1 est source de dommage contractuel 2 ; l'inexécution cause donc un dommage à une partie contractante, dommage que la résolution laisse subsister a et qu'il y a lieu de réparer. Le dommage est une diminution non volontaire du patrimoine ; on peut le définir comme la « Differenz zwischen dem gegen°iirtigen Stand des Vermogens des Geschiidigten und dem Stand, den das Vermogen ohne das schiidigende Ereignis hiitte » 4 •

1. Le droit français

Le droit français, après la résolution, permet au créancier de réclamer des dommages-intérêts, mais il ne fait pas comme le droit suisse la distinction fondamentale entre la réparation de l'intérêt positif et celle de l'intérêt négatif. En effet, selon le droit français, le montant des dom-mages-intérêts doit couvrir l'intégralité du préjudice subi par le créan-cier ; c'est là une règle essentielle qui s'applique aussi bien à la respon-sabilité contractuelle qu'à la responrespon-sabilité délictuelle 5, Le créancier peut donc réclamer à son débiteur des dommages-intérêts pour inexécution (damnum emergens et lucrum cessans), c'est-à-dire, transposés en droit suisse, des dommages-intérêts positifs. C'est l'ancienne solution du Code

1 Il s'agit de l'inexécution au sens large qui engloble l'inexécution au sens étroit, la mauvaise exécution, l'exécution défectueuse et le retard dans l'exé-cution.

2 Cuendet, foc. cit., p. 38.

a von Tuhr-Escher, Loc. cit., p. 156.

4 Oftinger, Loc. cit., p. 54.

5 Weill-Terré, Loc. cit., N° 432. Voir toutefois l'art. 1599 Code civ. où il pourrait s'agir de dommages-intérêts négatifs.

des obligations de 1881 (art. 124 et 125) et qui est reprise par une certaine partie de la doctrine en Suisse 6 .

II. Droit allemand

Le droit allemand, à l'inverse du droit français, ne connaît pas le cumul de dommages-intérêts avec la résolution ; le créancier (outre l'exé-cution) ne peut demander que les dommages-intérêts positifs ou la réso-lution (§§ 325, 326 BOB) ; mais l'option en faveur d'une voie exclut automatiquement l'autre voie.

Il est en effet logique d'exclure la réparation de l'intérêt positif en cas de résolution 1. Attendu que la déclaration de résolution exprime la volonté de revenir au statu quo ante, elle contient nécessairement la renon-ciation aux dommages-intérêts positifs (pour inexécution), qui ne peuvent se fonder que sur un contrat existant

li.'

Mais quid de l'intérêt négatif? Le droit allemand ne connaît, a cet égard, l'intérêt négatif que comme réparation de la confiance déçue qu'une partie avait portée dans la validité du contrat (Vertrauensscha-den) 9 ; il s'agit donc de cas de culpa in contrahendo ; mais le droit alle-mand ne connaît pas la violation d'une obligation contractuelle comme fondement de la réparation de l'intérêt négatif lo.

A notre connaissance, seul Heinrich Stoll 11 a admis qu'une réparation de l'intérêt négatif était compatible avec une résolution du contrat. Toute-fois, Stol! n'a pas été suivi et le principe n'a jamais été admis ni dans la doctrine, ni dans la jurisprudence.

Néanmoins, dans le domaine de la garantie des défauts de la chose, l'art. 467 BOB prévoit, en cas d'action rédhibitoire, l'obligation pour le vendeur de rembourser à l'acheteur les frais de conclusion du contrat.

Il s'agit donc de la réparation de l'intérêt négatif dont le contenu est toutefois limité au damnum emergens 12 ; mais c'est, à notre connaissance,

6 A ce sujet, voir infra, p. 41 ss.

7 Sur la situation en Suisse, voir infra, p. 41 ss.

s Constantinesco, Loc. cit., p. 300. Selon Leser, Loc. dt., p. 147, l'incompa-tibilité entre la résolution et les dommages-intérêts résulte de la notion de résolution que dégage cet auteur qui apparaît comme « ein beschriinkter Behelf », principe duquel le droit de résolution tire son indépendance.

Quoi qu'il en soit, Leser, loc. cit., p. 147-148, admet que la résolution et les dommages-intérêts positifs poursuivent des buts différents et qu'ils s'excluent automatiquement.

9 §§ 122 BOB (invalidation pour vices de consentement), 179 BOB (repré-sentation), 307 BOB (culpa in controhendo).

lo Comme c'est le cas en droit suisse avec l'art. 109 al. 2 CO.

11 Stoll Heinrich, Rücktritt und Schadenersatz, AcP 131 (1929), p. 141, cité par Leser, Loc. cit., p. 148.

12 Sur le contenu de l'intérêt négatif (damnum emergens et lucrum cessans), voir infra, p. 47 ss.

37 Je seul cas où la réparation de l'intérêt négatif est prévu à côté d'une résolution 1s.

Le non-cumul entre la résolution et les dommages-intérêts négatifs peut être critiqué. Il ne nous appartient certes pas - à ce stade - de faire une critique exhaustive de la solution du droit allemand. Toutefois, en guise de conclusion, nous nous bornerons à faire deux remarques.

D'une part, l'opinion selon laquelle il est inutile d'accorder au créan-cier des dommages-intérêts en cas de résolution - car la « Differenz-theorie » en cas de dommages-intérêts pour l'inexécution conduit à une véritable résolution avec dommages-intérêts positifs - est erronée 14 ; en effet, si en cas de dommages-intérêts pour inexécution calculés selon la « Differenztheorie », le créancier est libéré de fournir sa propre pres-tation, il n'en reste pas moins vrai que la résolution conduit à la caducité du contrat, alors que des dommages-intérêts pour inexécution supposent au contraire le maintien du contrat. Ce sont donc deux notions différentes qu'il y a lieu de ne pas confondre.

D'autre part, la résolution vise à rétablir le créancier dans la situation dans laquelle il était avant la conclusion du contrat ; dès lors, il apparaît surprenant de ne prévoir, dans ce cas, que la possibilité de se restituer les prestations effectuées. La seule restitution de prestations n'aboutit pas à rétablir la situation antérieure au contrat ; ainsi, à tout le moins, les frais que le créancier a engagés en vue de la conclusion du contrat actuellement caduc doivent être remboursés. C'est la seule solution claire et logique si l'on veut rétablir, pour les parties, la situation qui était la leur avant la conclusion du contrat.

III. Le droit suisse

En droit contractuel, on distingue deux sortes d'intérêts (de dom-mages) : l'intérêt positif, ou « Erfüllungsinteresse », et l'intérêt négatif, ou « Vertrauensschaden » 15.

Il s'agit tout d'abord de déterminer le contenu de ces deux notions et de savoir lequel de ces deux intérêts le créancier qui résout un contrat peut réclamer. Il n'est enfin pas vain de noter qu'en cas de résolution dans Je droit de la vente (art. 107-109 CO, 195 et 208 CO), le Code prévoit toujours la possibilité de réclamer à côté de la résolution des dommages-intérêts. Il n'en est pas de même en cas d'invalidation ou de nullité de

1s Constantinesco, Loc. cit., p. 301, explique cette solution par le caractère non judiciaire de la résolution en droit allemand ; le créancier déclarant la résolution ne peut également déclarer ses propres dommages-intérêts. Cette solution ne saurait nous satisfaire. Certes, il serait choquant que le créancier puisse « déclarer » ses dommages-intérêts ; cependant, qu'est-ce qui empêche le créancier de déclarer la résolution, mais de réclamer au juge, seule autorité habilitée à fixer l'étendue de la réparation, des dommages-intérêts, comme c'est le cas en droit suisse ?

14 Sur ce problème en droit suisse, voir infra, p. 95.

plein droit ; ainsi, en cas d'invalidation pour erreur essentielle, l'art.

26 CO ne prévoit une réparation du dommage qu'en faveur de la partie qui n'a pas invalidé de contrat. L'art. 26 al. 1 CO lui accorde alors une action en dommages-intérêts négatifs, l'art. 26 al. 2 CO lui accordant, si l'équité l'exige, des dommages-intérêts plus considérables. Nous ne partageons pas l'opinion d'une partie de la doctrine suisse 15bis qui sou-tient que les dommages-intérêts plus considérables de l'art. 26 al. 2 CO (ou 39 al. 2 CO) représentent l'intérêt à l'exécution, ou bien encore des dommages-intérêts positifs extracontractuels - formulation pour le moins ambiguë - comme le défendent certains auteurs rn. A notre sens, les no-tions de dommages-intérêts positifs ou négatifs ne se rencontrent qu'en matière de responsabilité contractuelle. L'intérêt positif ou intérêt à l'exé-cution ne peut être réclamé que sur la base d'un contrat valablement conclu et toujours existant. Or, l'art. 26 al. 2 CO concerne des dommages-intérêts en cas d'invalidation du contrat et l'art. 39 al. 2 CO se réfère à la répara-tion du dommage en cas de non-conclusion d'un contrat, le représentant ayant agi sans pouvoirs. Aussi, ces deux dispositions ne peuvent-elles sanctionner l'intérêt à l'exécution puisque dans les deux cas, il n'y a pas de contrat valable et maintenu. L'opinion de la doctrine dominante nous paraît ainsi dogmatiquement erronée. A notre avis, l'art. 26 al. 1 concerne la réparation de l'intérêt négatif ; l'art. 26 al. 2 permet au juge d'accorder à la partie qui n'a pas invalidé le contrat des dommages-intérêts supé-rieurs à l'intérêt négatif, mais qui ne représentent pas l'intérêt à l'exécu-tion et ne sont pas limités par le montant des dommages-intérêts positifs.

Ils peuvent être, le cas échéant, supérieurs à l'intérêt positif.

La partie qui a invalidé le contrat peut néanmoins réclamer des dom-mages-intérêts négatifs si elle établit une culpa in contrahendo de son co-contractant. II ne peut s'agir que de la réparation de l'intérêt négatif vu l'invalidation du contrat, la partie qui s'est trouvée dans l'erreur essentielle devant alors être remise dans la situation où elle se serait trouvée si le contrat n'avait pas été conclu. Le droit suisse ne connaît pas, conformément au droit allemand

Œ

307 BOB), de disposition parti-culière en cas de culpa in contrahendo. Il y a lacune de la loi que la jurisprudence et la doctrine comblent en appliquant les règles sur la bonne foi (art. 2 CCS), ainsi qu'une règle coutumière formée en applica-tion par analogie des art. 26, 39 et 109 CO (règles protégeant la confiance, ainsi que le § 307 BOB) 11. Ainsi, si l'acheteur invalide le contrat de vente d'une chose défectueuse, il dispose contre son vendeur d'une action en remboursement du prix payé (art. 62 al. 1, al. 2, 1 .. hypothèse, con-dictio ob nullam causam), ainsi qu'une action en dommages-intérêts

néga-11> Cuendet, loc. cit., p. 60.

15bis Guhl-Merz-Kummer, foc. cit., p. 140 ; von Tuhr-Siegwart, loc. cit., p. 281 ; Engel, Loc. cit., p. 276.

16 Voir Oser-Schônenberger, loc. cit., Art. 39 N° 6 et 16; Becker, !oc. cit., Art. 26 N° 5 et 10, Art. 39 N° 7. Voir également Piotet, loc. cit., p. 83 s., qui estime que les art. 26 al. 2 et 39 al. 2 CO concernent la réparation du dommage indirect par opposition au dommage direct des art. 26 al. 1 et 39 al. 1 CO.

39 tifs en cas de violation fautive des obligations précontractuelles par le vendeur.

B RÉPARATION DE L'INTÉRËT POSITIF

1. Notion de l'intérêt positif

L'intérêt positif ou intérêt à l'exécution ( « Erfüllungsinteresse) est l'intérêt du créancier à la fidèle exécution du contrat 18. Il ne s'agit pas uniquement de l'intérêt à l'exécution, mais également de l'intérêt à la bonne exécution.

L'intérêt positif signifie donc le dommage que le créancier subit par le fait que le débiteur n'exécute pas son obligation, l'exécute mal ou ne l'accomplit pas à temps. Ce sera la différence entre l'état du patrimoine en cas d'inexécution ou de mauvaise exécution et celui en cas de bonne exécution 19, On peut formuler la question de façon positive 20 : quel serait le montant du patrimoine du !ésé si le débiteur avait régulièrement exécuté sa prestation ? L'écart entre ce montant et le véritable état de son patrimoine représente l'intérêt positif.

II s'agit donc de replacer le créancier dans la situation dans laquelle il se serait trouvé si le contrat avait été bien exécuté. L'intérêt positif suppose donc un contrat valable. Il s'agit là de la condition sine qua non pour réclamer la réparation de l'intérêt positif et on ne saurait demander des dommages-intérêts positifs si le contrat est nul, invalide ou caduc 21.

Le contrait doit donc être valable et maintenu 22.

11 ATF 36 (1910) Il 193, 203; ATF 40 (1914) II 371

=

JT 1915 p. 290;

ATF 49 (1923) Il 54, 56; SJZ 19 (1922/23) p. 107 N° 22. Barth, foc. cit., p. 16;

von Tuhr-Siegwart, lac. cit., p. 246 ; Becker, foc. cit., Art. 20 N° 14 ; Oser-Schonenberger, Loc. cit., Art. 20 N° 12 ; Engel, foc. cit., p. 207 ; Keller, toc. cis

p, 124 s.

1s Cuendet, Loc. cit., p. 61 ; von Tuhr-Peter, foc. cit., p. 86 ; Keller, das negative Interesse im Verhiiltnis zum positiven Interesse, thèse Zurich 1949, p. 3, qui estime - à .iuste titre - qu'il vaut mieux employer l'expression « posi-tives Vertragsinteresse », le terme «positive Interesse » ayant une signification plus large, concernant l'intérêt à l'arrivée d'un quelconque événement avan-tageux.

10 Keller, foc. cit, p. 4.

20 Ouhl-Merz-Kummer, foc. cit., p. 88, par opposition à l'intérêt négatif où la question est posée de manière négative. Voir infra, p. 44 ss.

21 Voir infra, p. 41 ss.

22 Ainsi, le dommage au sens de l'art. 97 al. 1 CO représente l'intérêt positif (dommages-intérêts pour inexécution) ; idem pour l'art. 107 al. 2, voie N° 2 CO, où le créancier renonce à l'exécution, mais maintient le contrat (dommages-intérêts pour inexécution).

4

II.

Contenu de l'intérêt positif

1. -

Le dommage positif

Il s'agit du damnum emergens ou de la perte effective

(der entstandene Schaden),

c'est-à-dire de la diminution effective de la fortune nette 2 3,

qui se manifeste soit sous la forme d'un amoindrissement de l'actif, soit sous la forme d'une augmentation du passif.

Parmi les exemples de damnum emergens, on peut mentionner : (a) le

Haftungsinteresse,

c'est-à-dire selon von Tuhr 24, l' « intérêt fondé

sur la responsabilité » ; ce sont les dommages-intérêts que le créan-cier peut devoir à son co-contractant lorsque, du fait de l'inexécution de son débiteur, il ne peut pas lui-même s'exécuter 25 ;

(b) les frais que le lésé supporte en prenant des mesures pour détourner ou diminuer le dommage 2e ;

(c) les frais de procès entre le créancier et un tiers 21.