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LE DROIT DE RÉSOLUTION

1. Droit formateur

La résolution d'un contrat résulte d'un droit formateur 3, c'est-à-dire du «droit de produire une modification de la situation juridique par un acte unilatéral de volonté, soit donc sans le concours de l'autre partie» 4.

C'est un droit de puissance et de maîtrise conférant aux sujets un pouvoir juridique sur une partie du monde extérieur ou sur l'attitude d'une autre personne. On les appelle « formateurs » parce que, accordant au sujet la

1 Brox I, !oc. cit., Rdnr. 198.

2 Engel, foc. cit., p. 494. L'exercice du droit de résolution pose quelques problèmes particuliers dans le droit de la vente. Ainsi, dans la garantie en raison des défauts de la chose vendue ,la résolution n'est pas déclarée par l'acheteur, mais prononcée par le juge. Voir infra, p. 118 s. Dans la garantie en cas d'éviction, la résolution est présumée de sorte qu'une déclaration de volonté n'est pas nécessaire. Voir infra, p. 206 ss.

Sur le § 349 BOB, voir notamment Erman-Westermann, foc. cit., § 349 N° 1 s. ; Fikentscher, foc. cit., p. 243 ; ROR Komm., !oc. cil., § 349 N° 1 ss.

a Engel, foc. cit., p. 494 ; von Tuhr-Peter, foc. cil., p. 24 ; Ouhl-Merz-Kummer, foc. cil., p. 42, 75; Larenz 1, foc. cit., p. 327 s.; Esser 1, Loc. cit., p. 183 ; Brox 1, foc. cil., Rdnr. 198.

4 Engel, foc. cit., p. 31. La déclaration n'exige pas de la part du débiteur acceptation ou notification de la réception ; elle produit ses effets indépendam-ment de la volonté du débiteur, méme contre la volonté de celui-ci, qui a un rôle purement passif ; il ne peut ni provoquer la résolution en l'exigeant, ni l'écarter en la refusant. Cf. Constantinesco, toc. cit., p. 289. Voir Fikentscher, toc. cit., p. 243 ; Erman-Westermann, toc. cit., § 349 N° 1 ; ROR Komm., foc. cit., § 349 N° 2.

faculté de produire un effet juridique, ils participent au «pouvoir» 5 ;

en tant que tels, ils ne s'exercent pas par une action en justice, mais par une déclaration de volonté adressée à l'autre partie a. La volonté unilaté-rale du titulaire du droit formateur produit ses effets par ses propres forces ; nul ne peut s'opposer à l'effet du droit formateur, celui-ci se passant de la procédure d'exécution forcée et la force publique n'inter-venant jamais dans la formation de l'effet (mais seulement en cas d'inexécution de prétentions découlant de la formation) 7 •

En cas de résolution, il s'agit d'un droit formateur résolutoire (auf-hebendes Gestaltungsrecht), c'est-à-dire d'un droit formateur qui éteint un rapport juridique ou un droit 8 ; vu leur effet, on les appelle également

« droits négatifs» ou « droits négatoires » 9 •

Il.

Acte juridique soumis

à

réception

1. -

La résolution en tant qu'acte juridique

La résolution est un acte juridique, c'est-à-dire la manifestation de volonté d'une ou plusieurs personnes destinée à produire un effet juridique (en l'espèce, suppression d'un droit ou d'un rapport de droit) 10 • Il s'agit d'un

acte juridique unilatéral,

distinction opérée selon le nombre de

per-5 von Tuhr, trad. fr., lac. cil., p. 19.

6 von Tuhr-Peter, Loc. cil., p. 25 ; toutefois, une décision judiciaire peut être requise si la partie adverse conteste la validité de la déclaration formatrice ; en outre, certains droits formateurs s'exercent au moyen d'une demande judi-ciaire, par laquelle Je demandeur réclame un jugement modifiant le rapport juridique (ex. : demande de dissolution cte la société pour _iustes motifs, art. 545 al. 1 ch. 7 CO). Cf. ATF 92 1966 li 299 ss., notamment 301

=

]T 1967 p. 247 et ss., notamment 249 ; Engel, Loc. cil., p. 32 ; von Tuhr-Peter, lac. cil., p. 26.

7 L'Huillier, La notion de droit formateur en droit privé suisse, Thèse, Genève, 1947, p. 76; il ne nous appartient pas, à ce stade, d'approfondir la notion de droit formateur ; pour une étude exhaustive de ce problème, voir la thèse de L'Huillier. Mentionnons simplement que la notion de droit formateur a été accueillie avec réserve par la doctrine.

Guhl, Das schweizerische Obligationenrecht, 5° éd., Zurich 1956, p. 33, rejette la conception du droit formateur (tout en employant d'ailleurs fréquem-ment cette expression !) . Voir L'Huillier, Loc. cil., p. 104.

Pour les règles communes aux droits formateurs, cf. Engel, Loc. cit., p. 32, 33 et L'Huillier, lac. cit., p. 189 et ss. Ajoutons enfin que le droit formateur ne peut pas être soumis à des conditions ; Engel, Loc. cil., p. 32 ; Brox, I, lac. cit., Rdnr 200.

s Tandogan, Théorie générale des obligations, Mémoires publiés par la Faculté de droit de Genève, N° 36, Genève, 1972, p. 39. Comme autres exemples de droits formateurs résolutoires, on peut citer la déclaration d'annulation du contrat pour lésion (art. 21 CO) ou vices du consentement (art. 31 CO) ; la révocation du mandat (art. 404 CO), la dénonciation du bail (art. 267 CO), la compensation (art. 124 CO).

9 von Tuhr, trad. fr., !oc. cit., p. 20.

10 von Tuhr, trad. fr., Loc. cil., p. 143.

sonnes participant à l'acte, en ce sens que la volonté d'une seule partie suf-fit à produire l'effet juridique. Si, prima facie, la différence entre l'acte juri-dique et le droit formateur ne semble qu'apparente, il convient toutefois de ne pas confondre ces deux notions. « C'est l'utilisation d'un tel droit formateur qui constitue un acte juridique » 11. L'acte juridique unilatéral est l'exercice d'un droit formateur 12 ; mais ces deux notions restent diffé-rentes, puisqu'il existe des actes juridiques unilatéraux ou bilatéraux qui ne sont pas des actes formateurs (le contrat) et des actes formateurs qui ne sont pas des actes juridiques (l'introduction de demande formatrice en justice) ia.

2. -Acte juridique soumis à réception 14

La plupart des déclarations doivent être adressées à quelqu'un : elles ont un destinataire, « ... einem anderen gegenüber abgegen worden » dit le BOB 1 5 (c'est-à-dire émises envers une autre personne) ; pour être effi-caces, elles doivent lui parvenir, être reçues 16. Ce sont des déclarations

« exigeant réception >> (Empf angsbedürftig), terme pas tout à fait exact (il ne suffit pas que la déclaration parvienne à quelqu'un si elle ne lui était pas destinée), mais unanimement pratiqué en Suisse 11.

III. Forme de la déclaration de résolution l. -Absence de forme

La déclaration de résolution que le créancier adresse à son débiteur est dénuée de toute forme 18 ; il suffit qu'il fasse connaître clairement à son co-contractant son intention de se départir du contrat.

11 Honegger, lac. cit., p. 26.

12 L'acte juridique, tout comme le droit formateur, ne peut être soumis à des conditions, car ceci remettrait la partie adverse dans une situation juridique incertaine qu'on ne saurait lui imposer. Cf. von Tuhr-Peter, Loc. cil., p. 148 ; Engel, Loc. cil., p. 32; Brox 1, lac. cit., Rdnr. 200.

13 L'Huillier, lac. cit., p. 99.

14 Sur le 'moment de la perfection des manifestations de volonté et le système de la réception adoptée en droit suisse, cf. Engel, lac. cil., p. 102 et s. ; von Tuhr-Peter, lac. cil., p. 168 et ss.

15 § 130 Abs. 1 BOB.

16 Engel, lac. cil., p. 99; von Tuhr-Peter, lac. cit., p. 167. C'est notamment la raison pour laquelle la déclaration d'option du créancier (p. ex. dans le cadre de l'art. 107 al. 2 CO) est irrévocable. Voir toutefois ATF 63 (1937) II 370, cons 1

=

JT 1938 II p. 199 où le Tribunal fédéral a admis la révocation d'une résiliation. Sur la solution en droit allemand et les critiques qu'il y a lieu d'y apporter, cf. Constantinesco, lac. cit., p. 290-295.

11 von Tuhr (trad. fr.), foc.

cit.,

p. 145.

18 Engel, lac. cil., p. 494.

2. - Interprétation de la déclaration de résolution

Bien souvent, les termes de la déclaration sont laconiques ou contra-dictoires, spécialement lorsqu'ils sont utilisés par des non-juristes 19 •

Ainsi, une partie écrit à son cocontractant : « je me dépars du contrat 20

et réclame le gain manqué (gain manqué sur la même affaire qui ne peut

~tre exigé qu'en vertu de l'intérêt positif) 2 1 ; dans cet exemple, les termes de !'optant sont contradictoires car, ou bien il résout le contrat et ne peut demander que la réparation de son intérêt négatif 22, ou bien il réclame des dommages-intérêts pour inexécution (positifs) et alors, il ne peut résoudre le contrat.

C'est une question d'interprétation que de dégager le véritable sens de la déclaration d'option du créancier 23 , L'interprétation doit se faire selon le principe de la confiance ; la déclaration de volonté doit être prise et comprise du point de vue de son destinataire au moment de sa réception, mais comme le feraient des personnes honnêtes et raisonna-bles 24 •

Quel sens le destinataire doit-il donner, raisonnablement et de bonne foi, à la déclaration? Ainsi, dans l'exemple cité, c'est à juste titre que le Tribunal fédéral a jugé que, malgré l'expression « se départir du con-trat » dont le demandeur s'était servi, il était hors de doute que celui-ci n'entendait pas résoudre le contrat, mais seulement renoncer à l'exécution et réclamer des dommages-intérêts pour inexécution, comme la défen-deresse pouvait s'en rendre compte 25.

rn Engel, Loc. cit., p. 493 ; le problème est particulièrement présent dans le cadre des art. 107-109 CO où «le laconisme de la rédaction appelle une certaine souplesse dans l'interprétation des termes » : Engel, idem.

20 A TF 76 (1950) li 300.

21 Cf. infra, p. 41 ss.

22 Sur les rapports entre résolution, intérêt négatif et intérêt positif, d. infra, p. 41 SS.

23 A TF 49 (1923) II 28 = JT 1923 I p. 370.

24 Engel, Loc. cit., p. 167.

25 A TF 76 1950 Il 300

=

JT 1951 I p. 267 ; bien souvent, le mot « réso-lution » (Rücktritt )est employé comme dans le sens de renonciation à l'exécution tardive de l'autre partie. Ceci n'a rien d'étonnant si l'on tient compte que la loi elle-même fait cette confusion. Ainsi, la note marginale du texte allemand de l'art. 190 CO parle de « Rücktritt » alors qu'il s'agit d'une renonciation à l'exé-cution l

B LA RÉSOLUTION JUDICIAIRE

I. Aperçu dtt droit françai3 1. -L'art. 1184 Code civ.

Le droit français, héritier du droit canonique :.m, permet au créancier d'un contrat synallagmatique 21 de réclamer au juge la dissolution du lien contractuel. Au carrefour du droit civil et de la procédure civile, la réso-lution judiciaire est subordonnée à deux conditions 2s :

(a) l'inexécution d'une obligation :

L'inexécution doit résulter de la mise en demeure ou de l'impossi-bilité d'exécution 29. II n'est pas nécessaire que l'inexécution soit fautive ; celle-ci peut très bien résulter d'un cas fortuit ou de la force majeure 80. Il n'est pas nécessaire enfin que l'inexécution soit totale et le juge peut parfaitement, en tenant compte des circons-tances, prononcer la résolution en cas d'inexécution partielle ou défectueuse 81 ;

(b) la décision judiciaire :

La résolution doit être prononcée par un tribunal. A ce sujet, il convient de faire trois remarques :

Tout d'abord, le créancier peut opter entre l'exécution forcée ou la résolution avec dommages-intérêts ; mais le choix n'est pas irré-vocable et le créancier qui a opté pour la résolution peut très bien changer d'avis et réclamer en cours d'instance l'exécution et vice-versa 8 :!.

26 Cf. supra, p. 7 ss.

2 1 L'art. 1184 Code civ. s'applique également à certains contrats unilatéraux (prêt à intérêts, art. 1905 et ss. Code civ.) ; inversement, l'art. 1184 Code civ. ne s'applique pas à certains contrats synallagmatiques (rente viagère, art. 1978 Code civ. en raison de son caractère aléatoire - difficultés de déterminer équi-tablement la restitution - et cession d'office ministériel pour des raisons d'ordre public). Juris-classeur Civil, Loc. cit., art. 1184 N° 26-43; Weill-Terré, Loc. cit., N° 483 et 484.

28 Weill-Terré, Loc. cit., N° 485.

29 Planiol-Ripert-Boulanger, toc. cit., 526 et 527.

30 Weill-Terré, Loc. cil., N° 485 ; contra : Planiol-Ripert-Boulanger, toc. cit., N° 527.

a1 Juris-classeur Civil, foc. cit., art. 1184, N° 47; Weill-Terré, toc. cit., N° 486.

82 Weill-Terré, Loc. cit., N° 487; Juris-classeur Civil, Loc. cit., Art. 1184 N° 69 ; l'option ne disparaît qu'en cas de renonciation expresse ou tacite à l'exécution ou à la résolution.

Ensuite, le débiteur peut écarter la résolution en s'exécutant en cours d'instance 33.

Enfin, le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation sur les conditions de l'inexécution, le caractère satisfactoire des offres du débiteur, la bonne foi des parties et toutes les circonstances de la cause, notamment les répercussions à l'égard des tiers 34. Le juge peut refuser la résolution 35 ou bien la prononcer avec ou sans dom-mages-intérêts 36.

2. - La résolution de plein droit en droit français

Dans certains cas, la résolution est permise sans procédure judiciaire et s'opère alors de plein droit 37. Les dérogations à la résolution judiciaire peuvent être conventionnelles lorsqu'une clause expresse de résolution de plein droit a été insérée dans le contrat 38 ou légales, quand la loi prévoit elle-même « dans un dessein de célérité et de simplification » 39 la réso-lution de plein droit (art. 1657, art. 960 Code civ.).

II. Critique de la résolution judiciaire 1. -Avantages de la résolution judiciaire

Le but des contrats est l'exécution des prestations. La résolution, entraînant la caducité du contrat, doit donc être considérée comme la sanction la plus grave d'une inexécution 4o. La plupart des sanctions supposant la mise en jeu d'une certaine force, on doit se demander dans quelle mesure le créancier peut, dans le choix et l'exercice de la sanction, se passer de l'intervention des pouvoirs publics 41.

Mis à part cet aspect du problème, plusieurs arguments militent en faveur de la résolution judiciaire. Tout d'abord, la résolution judiciaire permet de préserver les dernières chances d'exécution du contrat et de tenir compte des données économiques et sociales de la situation 42 ;

33 L'exécution du débiteur heurte toutefois certains principes de procédure ; Weill-Terré, Loc. cil., N° 487; juris-classeur Civil, Loc. cil., Art. 1184 N° 73.

34 juris-classeur Civil, Loc. cil., Art. 1184 N° 76; Starck, Loc. cil., N° 2179.

35 Juris-classeur Civil, Loc. cil., Art. 1184 N° 76; Starck, Loc. cil., N° 2179.

35 Il peut accorder, dans ce cas, un délai de grâce au débiteur.

36 Les dommages-intérêts comprennent le damnum emergens et le lucrum cessans, ce qui signifie que même en cas de résolution, le créancier peut avoir droit à des dommages-intérêts positifs. A noter que le droit français ne connaît pas les notions intérêt négatif/ intérêt positif.

37 Il n'est point nécessaire d'une déclaration de résolution ; la situation est la même que dans l'art. 195 CO.

38 Le pacte commissoire exprès ne doit pas être confondu avec la condition résolutoire expresse ; Weill-Terré, Loc. cil., N° 494.

39 Weîll-Terré, Loc. cil., N° 488.

40 Voir supra, p. 3.

41 Postacioglu, Loc. cil., p. 8.

42 juris-classeur Civil, Loc. cil., Art. 1184 N° 2.

d'autre part, la résolution étant une sanction très rigoureuse, il est souhai-table qu'elle soit prononcée par un tribunal qui devra juger du bien-fondé de la sanction, notamment quand l'inexécution se rapporte à une obliga-tion accessoire du contrat 4a.

Ensuite, la résolution étant l'aboutissement d'une série de formalités, la présence d'une autorité supérieure et impartiale - appelée à contrôler si ces formalités sont remplies - semble indispensable 44.

Enfin, c'est surtout dans les inconvénients de la déclaration de réso-lution qu'on trouve des arguments militant en faveur de la résoréso-lution judiciaire. En effet, si le créancier se borne à déclarer la résolution, il sera toujours porté à satisfaire ses propres intérêts; il sera juge dans sa propre cause et risque de commettre un abus de droit 45 ; d'autre part, la résolution par déclaration de volonté va à l'encontre du principe selon lequel on ne peut se faire justice soi-même. Enfin, si la déclaration de résolution ne pose aucun problème quand les parties sont de bonne foi, il en est tout autrement si les parties sont de mauvaise foi 46.