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6. Analyse et interprétation des données

6.4 Les répétiteurs, un espace intermédiaire entre l’école et la famille

6.4.2 Être répétiteur, activité éloignée de celle du professeur de classe

Comme une partie des répétiteurs confèrent à leur activité un statut professionnel, nous avons voulu savoir si ce statut pouvait être apparenté à celui d’un enseignant. La majorité des répétiteurs se sont accordés pour dire qu’ils se différenciaient du rôle de professeur. En effet, selon les répétiteurs, leur posture n’est pas égale à celle d’un professeur devant sa classe. La première caractéristique étant que le répétiteur donne un cours à un seul élève et qu’ainsi, il offre un appui personnalisé centré sur les difficultés propres à l’élève.

« Quand c’est un répétiteur c’est beaucoup plus personnalisé. Enfin l’élève, il a qu’une personne et pis je suis concentrée sur cet élève quoi. Et pis l’avantage c’est ça, tout simplement de pouvoir mieux cibler ses difficultés, car je pense qu’un prof qui donne des appuis pour cinq élèves, il ne pourra pas se concentrer sur chaque élève en une heure. » (Sophie)

L’appui personnalisé permet également de combler les inégalités que peuvent apparaitre en classe, car comme Chloé le mentionne :

« Parce qu’en classe comme il y a beaucoup d’élèves, le prof il explique et tout mais tous les élèves ne peuvent pas comprendre de la même manière. » (Chloé) De plus, selon Camille, le répétiteur se calque sur le rythme de l’élève :

« Donc ça, enfin, on prend le temps de faire les choses et de laisser chaque élève avancer à son rythme. » (Camille)

Glasman (2010) parle d’ « individualisation » du soutien scolaire car « il s’agit de s’adapter à ce que l’enfant ou l’adolescent demande, ou à ce dont il a besoin, ou encore à la nature de ses difficultés propres, etc. Cette individualisation est d’ailleurs érigée en principe (et peut-être brandie comme un emblème) qui le distingue fondamentalement de l’école, massifiée, organisée par classes et en conséquence moins propice à la prise en compte de chacun des élèves » (p.63). Nous pouvons reprendre les termes de Sandra lorsqu’elle avance qu’« il y a

une approche qui sera toujours personnalisée de A à Z ». En effet, cette approche centrée sur

l’élève permet au répétiteur de construire une autre relation avec ce dernier, où la distance existante en professeur et élève n’a pas lieu d’être.

« Oui, il n’y a pas les méthodes d’enseignement déjà parce que le prof est formé pour enseigner à un groupe, nous on enseigne à une personne donc ce n’est pas du tout la même relation. » (Aude)

« Moi je ne me donne pas le rôle de prof directement. Parce que je ne mets pas cette distance que peut-être il y aurait entre le prof et l’élève. » (Aude)

En effet, deux répétiteurs, Simone et Marc, évoquent leur place auprès de l’élève qui se différence de celle du professeur :

« Enfin même, je pense physiquement, en fait comme on est à côté de l’élève pendant l’heure où on est avec les filles et tout. Enfin on est à côté, donc c’est vraiment en mode "je te soutiens", on essaie de le faire ensemble alors qu’un prof, il va être en face de toi. Enfin ce n’est pas la même relation quoi. » (Simone)

« Mais heu, la différence que je vois, c’est que peut être un élève est dans une classe et pis là je suis tout seul à côté de lui et pis que toute mon attention est sur lui et tout son attention est sur moi. » (Marc)

Cette position du répétiteur « à coté » de l’élève est à opposé de la position frontale du professeur debout « en face » sa classe. Elle a également une incidence sur l’élève qui se traduit ainsi :

« Enfin la personne ose poser le problème "ça j’ai pas compris, là je ne comprends pas". Enfin je pense qu’il y a une forme de liberté un peu. Ils se sentent à l’aise de parler de ça. » (Camille)

En classe, le contexte est différent :

« Pis ils n’ont pas tous non plus les mêmes lacunes, ils n’osent pas forcément dire qu’ils ne comprennent pas. Pis moi j’essaie beaucoup de les pousser. » (Fabienne)

À plusieurs reprises, les répétiteurs avancent que l’élève ose poser des questions lors de l’appui scolaire, attitude qu’en classe il n’aurait pas devant les autres élèves et son professeur. « Lorsque l’élève n’est pas en confiance, il passe plus de temps à résoudre les problèmes que lui pose cette situation qu’à véritablement apprendre » (Barrère et Sembel, 2005, p. 74). Le rôle du répétiteur, en se différenciant de celui du professeur, est une composante clé pour mettre les élèves à l’aise, pour briser le climat de classe afin que chacun ose poser les questions qu’il souhaite. Cette relation entre répétiteur et élève rappelle le modèle de relation cité par Postic (1992) lorsqu’il avance que « face à des publics inégalement motivés par le savoir pour le savoir, l’enseignant doit certes construire l’intérêt des élèves pour la matière qu’il enseigne, par un certain nombre de techniques pédagogiques, mais dans la relation elle-même. Bien sûr, cela n’est pas fondamentalement nouveau mais ce qui l’est davantage, c’est la modalité de cette relation, désormais colorée d’affectivité, sans que le savoir, la raison et les sentiments puissent être séparés » (cité par Barrère et Sembel, 2005, p.74). Ainsi, ce que les professeurs peinent encore à exprimer au travers de la relation avec l’élève, à savoir l’affectivité, les répétiteurs en font une composante essentielle dans leur relation.

En parlant de relation pédagogique, Cosmopoulos (1999), nous dit que « la même méthode de travail par exemple, n’est plus la même si elle se pratique dans un climat relationnel différent ; c’est la relation (son existence, ses caractéristiques) qui filtre et colore la perception et la compréhension des partenaires ainsi que – et surtout – l’interprétation des actes et des messages envoyés » (p.97). Nous pouvons dès lors mieux comprendre que la relation entre le répétiteur et l’élève, ni tout à fait amicale ni uniquement professionnelle, compose un terrain privilégié pour l’apprendre et est ainsi un élément central de l’appui scolaire. Il devient alors intéressant d’examiner comment se construit cette relation.