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CHAPITRE 1 : PARCOURS SCOLAIRES : DES DÉTERMINANTS AU

1.4 Les réorientations scolaires

Plusieurs auteurs ayant traité des réorientations et des changements de programmes d’études abordent le sujet comme un événement négatif dans le parcours des individus. Quelques psychologues s’étant intéressés aux réorientations ont étudié les conséquences que celles-ci peuvent avoir sur l’estime de soi des étudiants. Dozot, Piret et Romainville (2009) ont ainsi étudié l’effet d’un programme de réorientation, en place dans les établissements d’enseignement supérieur en Communauté francophone de Belgique, sur l’amélioration de l’estime de soi d’étudiants en situation d’abandon scolaire. Bien que les auteurs ne soient pas en mesure d’établir un lien de causalité entre les deux éléments, leur étude permet de montrer que les étudiants en situation d’abandon ou d’échec scolaire ont une estime de soi beaucoup plus basse que les autres. C’est également dans ce sens que vont les résultats de Safont-Motlay et ses collaboratrices (1997). Elles ont étudié l’influence d’une réorientation forcée sur l’estime de soi des élèves au moment du choix d’une filière menant au baccalauréat en France. Ces réorientations dirigeaient toujours les élèves vers des filières considérées comme peu valorisées. Les auteures mettent en évidence la relation entre le manque de confiance en soi et les difficultés à développer un projet. « Une forte valorisation de soi oriente les stratégies vers la conservation du but alors qu'une faible estime de soi les oriente vers l'abandon du but. » (Safont-Motlay et al., 1997, p.37)

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De son côté, la sociologue Hélène Buisson-Fenet (2005) s’est intéressée aux discours des acteurs chargés de l’affectation des étudiants dans les différentes filières des lycées français. Les réorientations de certains d’entre eux vers une filière professionnelle sont justifiées par des difficultés scolaires qui empêchent les étudiants de continuer dans la voie générale, qui est plus valorisée. Il apparaît que « la représentation sociale du cursus en Lycée Professionnel est en France suffisamment négative pour que les décisions d’y orienter un élève déjà engagé dans la voie générale suscitent un souci moral » (Buisson-Fenet, 2005, p.136). En effet, l’auteure démontre que tous les acteurs ne s’entendent pas sur les raisons justifiant la réorientation, car ils évaluent différemment les conséquences qu’une telle décision peut avoir sur la suite du parcours de l’étudiant.

Ces quelques études présentent donc la réorientation scolaire comme un événement négatif auquel les étudiants sont contraints à la suite d’un refus de leur choix d’orientation ou à cause de résultats scolaires faibles. Les auteurs considèrent uniquement les réorientations forcées et insistent sur les conséquences négatives qu’un tel changement peut engendrer chez les étudiants. Les auteurs ne considèrent donc pas la possibilité que le changement d’orientation puisse être souhaité par l’étudiant, car ceux qui sont étudiés font toujours passer l’individu d’une filière ou d’un programme valorisé vers un autre qui l’est beaucoup moins.

Au Québec, le phénomène des changements d’orientation scolaire semble être très fréquent. Les données amassées par Sales et ses collaborateurs dans les années 1990 montrent en effet qu’au premier cycle universitaire, « près du tiers des individus se sont déjà inscrits au moins une fois dans un autre programme » (Sales et al., 1996, p.284). Cette étude diffère de celles présentées précédemment, car les auteurs s’intéressent à tous les types de réorientation scolaire plutôt que de sélectionner uniquement celles qui sont forcées ou subies par les étudiants. Ils découvrent que bien qu’une partie des étudiants soit contrainte de changer de programme, car ils ne sont pas admis dans celui de leur choix, d’autres décident de se réorienter suite à l’évolution de leurs projets professionnels ou encore lorsqu’ils réalisent que le programme qu’ils ont choisi ne correspond pas à leurs attentes (Sales et al., 1996).

Tremblay, Lachance et Richer (2013) s’intéressent également aux processus menant des étudiants de premier cycle universitaire à changer de programme d’études. Ils dégagent trois profils d’étudiants ayant opéré un changement de programme. Le premier regroupe des

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étudiants qui décident de se réorienter afin d’accroître « le degré de compatibilité » (Tremblay et al., 2013, p.29) entre eux et le programme d’études. Le deuxième regroupe des individus ayant clarifié leurs projets professionnels et ayant décidé de se réorienter vers un programme d’études connexe ou complémentaire au premier qui avait été choisi. Enfin, le troisième profil regroupe des étudiantes pour qui le premier programme d’études choisi ne correspondait pas à leurs aspirations, mais leur permettait de concilier relativement facilement leurs études avec leur vie familiale. Leur réorientation vise à « accéder à une profession plus compatible avec leurs intérêts ou susceptible d’offrir de meilleures conditions de travail » (Tremblay et al., 2013, p.37).

Les auteurs révèlent également que même si les réorientations étudiées sont faites de façon volontaire et ne sont pas considérées comme un événement négatif, la majorité des étudiants rencontrés éprouvent de la difficulté à formuler un choix d’orientation. Les étudiants du premier et du troisième profil ont en effet des projets professionnels peu précis lors du choix de leur premier programme. Ce n’est qu’une fois qu’ils sont inscrits dans celui-ci qu’ils sont à même d’effectuer un choix qui correspond mieux à leurs intérêts. Ils réalisent donc rapidement qu’ils ont effectué un mauvais choix et leur changement de programme vise à rétablir la situation. Les réorientations étudiées dans le cadre de cette étude sont donc en grande partie causées par la difficulté qu’ont les étudiants à formuler un projet professionnel précis lors de leur première inscription à l’université.

Conclusion

Cette revue des écrits a permis de montrer que plusieurs facteurs, et particulièrement l’organisation des institutions ainsi que les politiques en place dans les sociétés, structurent grandement les parcours scolaires, et facilitent plus ou moins le déroulement de trajectoires non linéaires. Le déroulement des parcours dépend également de la capacité des individus à se construire un projet scolaire ou professionnel plus ou moins réaliste, sur la base duquel ils formulent leurs choix d’orientation. Ce chapitre a également permis de montrer que plusieurs chercheurs ayant pris pour objet d’étude les réorientations scolaires l’abordent comme un événement négatif dans le parcours des individus. Ces changements sont analysés comme la conséquence de mauvais résultats scolaires ou encore d’une difficulté à formuler un choix

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d’orientation. Aucun auteur ne semble donc s’être intéressé spécifiquement aux réorientations scolaires imprévisibles et désirées par les individus.

Dans le cadre du travail de recherche qui suit, je souhaite m’intéresser aux changements de programme volontaires qui ne sont pas causés par des difficultés scolaires ou par une incapacité des individus à formuler un choix d’orientation correspondant à leurs intérêts et leurs aspirations. Pour désigner ce type particulier de changement d’orientation, le terme de bifurcation scolaire peut être mobilisé. Ce concept est entre autres utilisé par Pollien (2010) afin de rendre compte de la complexité des parcours de formation en Suisse, mais l’auteur ne fournit pas les bases théoriques permettant de le définir. Coinaud et Vivent (2010) utilisent également le concept afin de désigner les parcours scolaires imprévisibles des étudiants français, mais ils s’en servent pour désigner autant les redoublements que les réorientations. Le chapitre qui suit vise donc à présenter les travaux réalisés sur le thème des bifurcations, ainsi qu’à préciser le cadre d’analyse qui servira à décrire et à expliquer le phénomène.

CHAPITRE 2 : CADRE D’ANALYSE DES BIFURCATIONS SCOLAIRES