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Section II Les usages du budget-temps de transport

III. Le réinvestissement des gains de temps

Comme nous l'avons évoqué, la constance du budget-temps de transport impose le réinvestissement complet des gains de temps en transport supplémentaire. Ainsi, toute amélioration de la vitesse des déplacements se traduira par une augmentation des distances parcourues. L’observation de la croissance des vitesses parallèle à la hausse des distances parcourues et à la stabilité des temps de transport attribue alors toute la responsabilité de l’étalement urbain, de la mutation des centres-villes et de la dépendance automobile à la vitesse accessible.

1. La croissance de la mobilité et la croissance des vitesses

La constance dans le temps du budget-temps de transport est un indicateur du couplage entre la croissance économique et la croissance des transports. Alors que les individus semblent avoir, de tout temps, consacré une heure de leur temps à leurs déplacements, la portée de leur mobilité s’est considérablement étendue. Ceci n’est possible que par la généralisation d’une vitesse améliorée. Cette dernière provient, de façon générale, de la croissance économique qui a permis, d’une part, le financement des innovations technologiques et des infrastructures et d’autre part, la croissance des revenus de la population nécessaire à l’accès à ces nouvelles vitesses. C’est donc la relaxe des contraintes qui pèsent sur les conditions de mobilité qui permet l’explosion des distances parcourues.

Le tableau 2-4 indique les taux de croissance sur la période 1960 à 1999, du revenu disponible brut, de la consommation des ménages, et des différents postes de transport. En tant qu’indicateur de la croissance économique, le revenu disponible brut et la consommation des ménages, caractérisés par une croissance persistante sur toute la période, révèlent l’importance de la croissance économique. En parallèle, les postes de transports urbains, ferroviaires et aériens, ainsi que les achats d’automobiles et de carburants suivent une croissance de forte ampleur.

tableau 2-4 : Taux de croissance annuel en volume d’indicateurs de la consommation des ménages entre 1960 et 1999

1960-1973 1973-1985 1985-1999 Revenu Disponible Brut +5,8% +2,9% +2,3%

Consommation des ménages +5,4% +2,2% +2,1%

Achats d’automobiles +11,2% +2,9% +2,6% Achats de carburants +10,0% +1,2% +1,1% Transports urbains +0,3% +2,1% +0,9% Transports ferroviaires +2,3% +2,6% +0,4% Transports aériens +9,5% +7,6% +4,9% Télécommunications +11% +17,4% +5,6%

Dépenses pour le logement +6,6% +4,7% +3,0%

Source : Orfeuil, (2000)

Les postes de transports qui bénéficient des plus fortes croissances sont les transports les plus rapides. En effet, sur la période les achats automobiles et le transport aérien sont caractérisés par un essor de plus grande ampleur que les autres modes. Cette période est marquée par la généralisation de l’usage de l’automobile en France.

Une vision plus générale du cycle de vie des différents modes de transport est apportée par Ausubel et al. (1998). Les auteurs comparent les distances parcourues par personne, par jour, pour chaque mode de transport, depuis 1880 aux Etats-Unis (figure 2-2). La mobilité totale est croissante sur toute la période. Il faut noter que cette croissance, apparaissant sous la forme linéaire dans l’échelle logarithmique utilisée ici, est, en volume, une croissance de type exponentielle. Le déclin des modes hippomobiles, ferroviaires et pédestres est apparent. A l’inverse, les modes de transport, tels que l’automobile, le bus, les deux roues et l’aérien, connaissent une forte croissance. Globalement la mobilité manifeste une croissance annuelle de 2,7 %. Ce qui correspond à un doublement tous les quarts de siècle. Nous pouvons constater que les distances parcourues à pied au début du siècle (5 km) correspondent à la distance parcourue en une heure à la vitesse pédestre. De la même façon, les distances

figure 2-2 : Evolution des distances quotidiennes parcourues par personne selon le mode de transport depuis 1880 aux Etats-Unis

Source : Ausubel et al., (1998)

Enfin, à un niveau plus agrégé, Schafer et Victor (2000) ont réalisé une projection de la mobilité mondiale. Pour les 11 régions du monde de la figure 2-3, la mobilité observée sur la période 1960-1990 a été projetée pour 2050 selon la cible (target point). Cette cible de 100000 km par an par personne est définie par les tendances actuelles en termes de croissance des vitesses et de croissance économique et sous l’hypothèse de constance des budgets-temps de transport. Le graphique illustre l’explosion de la mobilité prévue associée à la croissance des revenus.

figure 2-3 : Mobilité totale en passagers kilomètres par an (données 1960 – 1990 ; tendances 1991 - 2050)

Source : Schafer et Victor, (2000)

Le raisonnement de Schafer confère à la vitesse de déplacement la responsabilité de l’explosion du système de mobilité, tel que nous l’observons de nos jours. Sans la rupture de ce mécanisme de réinvestissement des gains de temps générés par les vitesses toujours plus rapides, la mobilité et ses retombées continueront leur croissance.

2. La dynamique temporelle de l’organisation urbaine

Comme nous le verrons de façon plus détaillée dans le chapitre 3, la structure urbaine et la mobilité sont fortement liées. Tout d’abord, la structure urbaine conditionne la répartition des

Marc Wiel (2000) qualifie ce mécanisme de spirale de la transformation de la ville par les nouvelles conditions de la mobilité urbaine. Sous l’effet de la réduction des coûts temporels et monétaires de la mobilité, et des efforts des politiques de mobilité et urbaine pour favoriser le développement de l’automobile, les acteurs de la ville bénéficient d’une meilleure accessibilité aux zones d’activités et aux zones résidentielles. Le développement des vitesses a permis d’étendre la portée des déplacements des individus sans dépasser les budgets de transport. L’étalement urbain serait alors la résultante d’un goût des individus pour la périphérie des villes, qui, jusqu’à présent a été contraint par les budgets de transport. Parallèlement, la généralisation de l’usage de la voiture particulière crée les périphéries, mais transforme aussi les centres-villes. Ainsi, sous la pression de la croissance du trafic automobile, les centres-villes ont été adaptés pour faciliter la mobilité. Cependant, la suprématie de l’automobile dans les centres-villes est accompagnée d’un certain nombre de nuisances. Ainsi, les embouteillages, les nuisances sonores, la pollution atmosphérique, le morcellement des quartiers par les trafics s’intensifient à mesure que le flux automobile s’accroît.

Les multiples études des budgets-temps de transport révèlent, en premier lieu, la complexité de leur analyse. En effet, tant au niveau agrégé qu’au niveau désagrégé, l’étude et la comparaison des budgets-temps de transport est sensible aux biais provenant des divergences de définitions des indicateurs et des données. Toutefois, les résultats de Zahavi et des études suivantes affichent une certaine persistance qui soutient la « conjecture de Zahavi ». La lecture de cette dernière que nous proposons distingue les niveaux d’observation agrégé et désagrégé des budgets-temps de transport et définit les deux hypothèses suivantes : l’hypothèse forte de stabilité des budgets-temps de transport et l’hypothèse faible de leur régularité. Chacune à son niveau soutient une lecture simplifiée, d’une part, de la coproduction (hypothèse forte) et d’autre part, des comportements de mobilité (hypothèse faible).

La stabilité des budgets-temps de transport semble être un outil relativement pertinent d’explication des mécanismes régissant la mobilité individuelle et la formation urbaine et leur interrelation. Au niveau agrégé, l’hypothèse forte de la stabilité fournit une base de compréhension de phénomènes généraux, tels que celui du couplage des croissances économiques et des transports ou celui des mutations urbaines et de l’étalement urbain. En effet, l’hypothèse de stabilité impose une forme particulière de gestion du temps de transport. Le mécanisme fondamental imposé par la stabilité est le réinvestissement systématique des gains de temps de transport. De ce fait, quelle que soit la source des gains de temps, par amélioration du système de transport, par report modal, ou par optimisation des localisations, tout se passe comme si les individus adaptaient leurs choix afin de préserver la stabilité du budget-temps de transport moyen. Face à la hausse généralisée des vitesses de déplacement, la distance parcourue peut être accrue pour un même budget-temps de transport. En

gains de vitesse, l’accessibilité ne semble pas être améliorée (Kitamura et al. 2003). En effet, une amélioration de l’accessibilité conduirait à une hausse de la mobilité et du temps passé hors-domicile. Or étant donnée la stabilité des budgets-temps de transport et les faibles variations des nombres de déplacements et des temps hors-domicile, il apparaît que les gains de vitesse ont complètement été compensés par les relocalisations (Levinson et Kumar, 1995). De notre point de vue, l’importance de la dispersion observée autour des budgets-temps de transport moyens par agglomération ne permet pas de fonder une modélisation des comportements de mobilité sur l’hypothèse forte de stabilité. Mais, cette dernière soutient l’hypothèse d’une certaine forme de rationalité des choix de temps de transport et l’existence de certaines régularités des budgets-temps de transport. L’ensemble des analyses montre les multiples sources de variances des budgets-temps de transport. Malgré la multiplicité des résultats de ces études, un grand nombre de relations entre les budgets-temps de transport et certaines variables paraissent robustes. Elles mettent en évidence des mécanismes régulateurs qui expliquent l’apparente stabilité du budget-temps moyen par un certain nombre de jeux de compensations. Ainsi, les acteurs urbains peuvent réduire leur temps de transport en agissant sur plusieurs leviers, tels que les caractéristiques de leur déplacement (horaires, fréquences, mode de transport, etc.), leurs programmes d’activités, ou encore leur stratégie de localisation.

Cependant, pour dépasser la valeur de conjecture et tendre vers une preuve de la stabilité ou de la régularité des budgets-temps de transport, les difficultés des comparaisons et des analyses internationales doivent être dépassées. La constitution d’une base de données internationale utilisant les mêmes méthodologies et définitions pour toutes les villes et périodes observées est une condition nécessaire à l’étude de la stabilité des budgets-temps de transport. En ce sens, les objectifs de Kenworthy et Laube, visant à renseigner la mobilité d’un panel d’agglomérations du monde constituent certainement un outil de choix pour étudier la conjecture de Zahavi. Le chapitre 3 analyse la première date d’observation de ce panel d’agglomérations pour l’année 1995.

L’hypothèse forte de stabilité des budgets-