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Section II Les politiques des transports urbains et les politiques urbaines interpellées

I. Deux visions complémentaires des mécanismes de la mobilité

Face aux besoins croissants de mobilité et aux sombres perspectives des externalités liées à cette mobilité, deux types d’outils complémentaires se dégagent des visions des mécanismes de la mobilité proposées par l’économiste et l’urbaniste. Pour le premier, les transports urbains constituent un marché qui ne signale pas l’intégralité des ressources rares par des niveaux de prix adaptés. Ces raretés peuvent dans certains cas ne pas être considérées par le système des prix du marché. C’est le cas, par exemple, des ressources environnementales, telles que l’air ou le silence, etc. qui ont pourtant une valeur pour les acteurs de ce marché. En définitive, pour l’économiste, un trop grand nombre d’externalités de la mobilité ne sont pas payées et ne sont pas prises en compte par les mécanismes du marché. Ceci éloigne donc le fonctionnement du marché du principe de l’usager-payeur, qui en l’absence de toute forme de régulation devrait, d’après la théorie économique, « optimiser » les échanges sur ce marché.

Quant à lui, l’urbaniste analyse la mobilité dans son rapport à l’espace-temps. La vitesse des déplacements devient alors un des « rouages » existants entre l’espace-temps de la mobilité et les moyens de réalisation des déplacements. Ainsi, la vitesse de déplacement permet, entre autre, d’étayer la thèse selon laquelle la croissance des distances parcourues et l’étalement urbain sont des conséquences de la satisfaction des besoins et des désirs des populations, au moyen d’un accroissement des vitesses. L’espace-temps des accessibilités individuelles s’est donc étendu non pas au moyen d’un investissement temporel individuel accru, mais par un prix temporel du déplacement réduit. La croissance des vitesses peut alors

pas fait gagner du temps mais, en étirant les déplacements, a permis aux ménages de disposer de plus d’espace… »46.

De nouvelles voies de régulation de la mobilité peuvent donc être adoptées. En effet, les outils classiques évoqués précédemment, se limitent à la sphère d’actions relatives aux transports urbains. Or, ces deux schémas simplificateurs de l’interaction système urbain- mobilité nous rappellent l’interpénétration des sphères définissant la ville : le système de transport urbain (l’ensemble des moyens de déplacements), la structure urbaine (les localisations des opportunités socio-économiques) et l’ensemble des aspirations de la population, exprimées au travers des comportements de mobilité.

La relation de coproduction entre ville et transport se compose de deux relations de causalité. La première considère qu’à court et moyen terme la structure urbaine et le système de transport dictent les conditions de réalisation de la mobilité (Altshuler, 1979). Ils définissent ainsi, une partie du cadre explicatif de la mobilité. La seconde relation définit dans le long terme une causalité inversée ; les attributs de la ville et du système de transport s’adaptant, peu à peu, aux besoins et aux transformations de la mobilité. Malgré l’existence d’autres dimensions explicatives47, la relation de coproduction ville-transport permet d’identifier des outils de régulation des formes urbaines et des mobilités.

Ainsi, deux séries de mesures sont proposées par une abondante littérature. Tout d’abord, dans le prolongement de la « vision de l’économiste », les instruments de la politique des transports urbains se concentrent sur l’infléchissement de la demande de mobilité. Leur objectif principal étant de réduire l’usage automobile et ses coûts sociaux (pollution, consommation énergétique, congestion, ségrégation spatiale, dépendance automobile, etc.). Ces outils d’action « directe » s’inscrivent essentiellement dans la relation de court terme définie entre la mobilité et le système de transport. Ainsi, ces politiques s’orientent vers une régulation de la mobilité soit par l’imposition de contraintes sur l’usage de l’automobile, sous forme par exemple, de tarification et de réglementation, soit par l’amélioration de la

46 Wiel (2003), p. 9.

47 La ville et la mobilité entretiennent une interaction forte, mais chacune s’enrichit aussi des effets d’autres dimensions, telles que les changements sociétaux relatifs notamment à la structure du marché de l’emploi, à l’organisation du temps de travail ou à l’usage des NTIC.

compétitivité des modes alternatifs, comme par l’investissement dans le système de transport en commun.

Toutefois, l’efficacité de ces outils est conditionnée par la définition des objectifs visés. Les mesures prises pour limiter les externalités environnementales ne sont pas forcément efficaces pour réduire la mobilité, et inversement. De plus, certains résultats obtenus grâce à la base MCD remettent en question les leviers traditionnels, tels que les investissements en transports collectifs, notamment en raison du non-recouvrement des coûts de fonctionnement.

Une seconde série de mesures découle de la « vision de l’urbaniste » et de l’impact de la structure urbaine et du système de transport sur la mobilité. Ces instruments « indirects »48 ont pour objectif de produire les conditions de réalisation d’une mobilité soutenable et détournée de l’automobile. Ils s’inscrivent donc dans la relation de long terme liant la structure urbaine au système de transport et à la mobilité. Les attributs des aires urbaines, tels que la dispersion des aménités urbaines, la mixité des zones, la qualité de l’accessibilité aux emplois et aux services ou au système de transport, le maillage du réseau viaire, etc., sont les principaux outils des politiques urbaines.

Cependant, les fondements et l’acceptabilité de certaines de ces politiques peuvent sembler fragiles. Tout d’abord d’un point de vue méthodologique, les difficultés et les limites rencontrées par les études révélant l’impact des différents outils nuisent à la robustesse des résultats avancés. Ensuite, il est reconnu que les limites de ces politiques résident dans les fondements et la compréhension des comportements de mobilité. Plus précisément, la question de la gestion des temps de transport est très rarement abordée. Ces derniers sont presque systématiquement absents des analyses. Pourtant, la remise en cause de la conjecture de Zahavi et la gestion paradoxale des temps de transport justifient d’autant plus les précautions à prendre à l’égard de certains instruments politiques.