Chapitre I Étude bibliographique
I.2 Hygiénisation thermique des déchets alimentaires
I.2.1 Réglementations européennes et mondiales
Afin de maîtriser le risque sanitaire dû aux déchets alimentaires, une étape
d’hygiénisation est généralement requise avant la digestion anaérobie. Elle est dédiée à
l’inactivation des agents pathogènes, comme illustré par la Figure I-5.
Figure I-5 Voie de transmission des agents pathogènes lors de la valorisation de biodéchets
par digestion anaérobie.
Les biodéchets subissent généralement une étape de pasteurisation thermique à des fins
sanitaires. Ce traitement thermique peut être séparé des principales unités de transformation ou
y être intégré. Le Tableau I-2 récapitule les paramètres opérationnels du processus
d’hygiénisation réglementés par certains pays et leurs autorités pour différents déchets cibles.
Les types de biodéchets à hygiéniser et les paramètres opérationnels dépendent fortement des
pays concernés.
Le règlement de la Commission européenne UE N° 142/2011 exige que les
sous-produits animaux définis comme appartenant à la catégorie II ou III (comme les déchets
d'abattoir et de bétail) soient d'abord mélangés et broyés pour atteindre une taille de particule
inférieure à 12 mm, puis pasteurisés thermiquement à 70 °C pendant au moins 60 minutes avant
d'entrer dans les digesteurs anaérobies [70]. Le règlement donne également aux pays membres
de l'UE le pouvoir de choisir d'autres procédés que le traitement thermique pour hygiéniser les
SPAN, uniquement si ces procédés peuvent permettre une réduction de 5 log10 d'Enterococcus
faecalis ou de Salmonella Senftenberg (775W, H
2S négatif) et une réduction de 3 log10 des
virus thermorésistants tels que le parvovirus. Par exemple, le Conseil Suédois de l'Agriculture
a approuvé un traitement d’hygiénisation intégré dans des digesteurs thermophiles, maintenus
à 52 °C, pendant une durée minimale de 10 h et un temps de séjour hydraulique minimum de 7
jours [71].
Aux États-Unis, l’US EPA (United States Environmental Protection Agency) précise
que les boues d’épuration doivent être traitées thermiquement en appliquant différents barèmes
temps-température en fonction de la suspension cible (par exemple, 30 min sont nécessaires
pour un traitement à 70 °C des boues de stations d’épuration avec au moins 7% de solides). La
grande variété de barème de traitement proposée par ces pays rend difficile la comparaison de
l'efficacité de pasteurisation d'un procédé à l’autre. Par conséquent, le concept de valeur
pasteurisatrice (valeur F) développé en génie alimentaire a été utilisé. Il est défini comme le
temps de traitement requis à la température de référence pour obtenir la même efficacité de
pasteurisation (taux de réduction des agents pathogènes cibles) que celui obtenu par une
pasteurisation à une autre température, en supposant un profil d'inactivation log-linéaire du
microorganisme de référence [72]. La valeur F est calculée en utilisant l’Équation I-1.
Tableau I-2 Résumé de la durée et de la température de l’hygiénisation thermique règlementées.
Autorités Type de
déchet
Paramètres opérationnels de l’hygiénisation thermique
Références
HYG + DAMa HYG + DATb HYG intégréec
UE SPAN 70 °C, 1 h (60 min)d pour tous les procédés [70]
Autriche & Allemagne SPAN 70 °C, 1 h (60 min) 70 °C, 0.5 h (30 min) 55 °C, 24 h (10 min) [73] Danemark SPAN 55 °C, 7,5 h (3,2 min) 60 °C, 3,5 h (7,8 min) 65 °C, 1,5 h (17 min) 55 °C, 5,5 h (2,4 min) 60 °C, 2,5 h (5,6 min) 65 °C, 1,0 h (12 min) 55 °C, 6,0 h (2,6 min) 52 °C, 10 h (1,6 min) – [74] États-Unis Biosolides 70 °C, 0,5 h (30 min) 70 °C, 0,5 h (30 min) – [68]
Irlande SPAN 60 °C, 48 h, 2 fois (214 min) or 70 °C, 1 h (60 min) [75]
Chine Biosolides – – 55 °C, 5 jours
(52 min) [76]
Royaume-Uni Déchet des restaurations
57 °C, 5,0 h (4,1 min) [77]
Suède SPAN – – 52 °C, 10 h
(1,6 min) [71]
a HYG + DAM : L’hygiénisation et la digestion anaérobie mésophile sont opérées dans des unités séparées
b HYG + DAT : L’hygiénisation et la digestion anaérobie thermophile sont opérées dans des unités séparées
c HYG intégrée : L’hygienization est intégrée à la digestion anaérobie
dValeur F est présentée entre parenthèses, supposant Tref= 70 °C et Z = 7 °C dans l’Équation I-1, impliquant l’inactivation thermique de la souche Ent. faecalis
SPAN : Sous-produits animaux
F =∫ 10
T$ TrefZ
dt
t0
Équation I-1
où F (min) est la valeur pasteurisatrice à la température de référence, T (°C) est la température
de traitement, T
ref(°C) est la température de référence (T
ref= 70 °C dans notre cas), t (min) est
le temps de traitement initial à T et Z (°C) est l’élévation de température requise pour une
réduction de 1 log10 du temps de réduction décimale de l’agent pathogène ciblé (ici, la valeur
Z est fixée à 7 °C pour la pasteurisation d’Enterococcus faecalis) [78].
En Suède, par exemple, l’hygiénisation thermophile opérée à 52 °C pendant 10 h a le
même effet de destruction sur la souche Ent. faecalis que celle à 70 °C (T
ref) pendant 1,6 min
(valeur F). Les valeurs F de l'efficacité de pasteurisation des paramètres d'hygiénisation
correspondants apparaissent en italique et entre parenthèses dans le Tableau I-2. On peut
constater que l'UE est plus prudente dans l'établissement des paramètres d'hygiénisation en
comparaison à ses membres et à d'autres pays du monde. Il convient de noter que l’Irlande a
proposé un procédé de paramétrage de la pasteurisation thermique qui semble extrêmement
prudent (60 °C pendant 2 fois 48 h) sur l’hygiénisation du SPAN, équivalent à une valeur F de
214 min à 70 °C [79].
Outre les paramètres opérationnels, les réglementations contrôlent généralement la
concentration microbienne dans le produit final après méthanisation, notamment dans le
digestat avant retour au sol. Le Tableau I-3 donne plusieurs exemples de critères microbiens
pour la valorisation du digestat dérivé de la méthanisation des SPAN, des boues d'épuration et
de déchets agricoles réglementés respectivement par l'Union européenne, les États-Unis et l’état
de Californie. E. coli, Enterococcus spp., Salmonella spp. et les œufs d’helminthes sont souvent
choisis comme microorganismes indicateurs caractérisant la qualité du digestat.
Il faut tenir compte du fait que le processus de méthanisation, en lui-même, constitue
une étape d'hygiénisation des déchets. Un certain nombre d'études ont montré que la
méthanisation, en particulier thermophile, pouvait entraîner une réduction significative des
agents infectieux ou des microorganismes indicateurs traditionnels, tels que les coliformes
fécaux, Salmonella spp., E. coli, Enterococcus spp. dans les boues d'épuration [80], le lisier
[81], les carcasses et le fumier de porc [82] et le lisier de ferme [83] (cf. Annexe I). Une
synthèse récente est parue concernant cet aspect [84]. Cette réduction des agents pathogènes
pourrait s'expliquer par les conditions de stress créées par la méthanisation pour la sélection des
microorganismes méthanogènes. Cependant, Campylobacter spp. peut survivre pendant la
digestion anaérobie mésophile du fumier bovin [83]. Certaines bactéries sporulantes, telles que
Bacillus spp. et Clostridium spp., sont beaucoup plus résistantes au prétraitement par
hygiénisation thermique [85] et au procédé thermophile [86]. La présence des virus infectieux
dans le digestat est toujours négligée [84].
L'élimination des agents pathogènes résistants et des endospores bactériennes dans les
déchets biologiques devrait, dans l’avenir, constituer un axe de recherche du domaine de
l'hygiénisation.
Tableau I-3 Critères de concentrations de microorganismes indicateurs réglementés par
différentes autorités pour des digestats issus de la méthanisation de biodéchets.
Indicateurs n c m M Quantité de déchet
considérée
UE - Règlement N° 142/2011– ANNEXE V - III.3.1 relatif aux sous-produits animaux [70]
Escherichia coli ou Enterococcaceae 5 1 1000 5000 1 g
Salmonella spp. 5 0 0 0 25 g
US EPA - Règlement sous 40 CFR Part 503 – Section 4 relatif aux boues de STEP [68]
Coliformes fécaux − − 1000 − 4 g MS
Salmonella spp. − − 3 − 4 g MS
Virus entérique − − 1 − 4 g MS
Œufs d’helminthes viables − − 1 − 4 g MS
Californie - Règlement Titre 14 – Section 17896.60 (b) relatif au digestat anaérobie [87]
Coliformes fécaux − − 1000 − 4 g MS
Salmonella spp. − − 3 − 4 g MS
n = nombre d’échantillons à tester (−)
m = valeur-seuil pour le nombre de bactéries. Le résultat est considéré comme satisfaisant si le nombre de bactéries dans la totalité des échantillons n’excède pas m (UFC)
M = valeur maximale du nombre de bactéries. Le résultat est considéré comme non satisfaisant si le nombre de bactéries dans un ou plusieurs échantillons est supérieur ou égal à M (UFC)
c = nombre d’échantillons dans lesquels le nombre de bactéries peut se situer entre m et M, l’échantillon étant toujours considéré comme acceptable si le nombre de bactéries dans les autres échantillons est inférieur ou égal à m (−)
MS : Matière sèche ; STEP : Stations d’épuration