• Aucun résultat trouvé

2. Contexte, population, réformes de l’aide sociale et enjeux

2.2 Le système de l’aide sociale au Québec

2.2.2 La réforme de 1996 : agir sur les parcours de vie pour favoriser

Après la réforme de 1989, la gestion des services publics d’emplois, alors assumée par le Ministère de la Main-d’œuvre, de la Sécurité du revenu et de la formation professionnelle, a connu d’importants changements. La formation professionnelle dépend depuis 1993 de la Société québécoise de développement de la main-d’œuvre (SQMD). Ces changements d’orientation et de conception de l’assistance publique se sont réalisés dans un contexte de récession économique aggravée entre 1993 et 1996, mais aussi à l’issue de la mise en place de certaines solutions ponctuelles aux problèmes économiques de la province, significatives pour les personnes assistées sociales. En effet, c’est à cette époque que le gouvernement du Québec a augmenté les contrôles des agents de vérification (connus sous le nom des « boubous-macoutes »). Ces agents effectuent des visites à l’improviste au domicile

des prestataires afin de démasquer d’éventuels fraudeurs. Parallèlement, dans le cadre du programme APTE, le gouvernement a décidé de réduire les prestations pour tous les nouveaux prestataires ayant un statut de « non-participant », mais étend cette restriction à l’ensemble des personnes « non disponibles ». Il octroie néanmoins un délai d’un an d’application de cette restriction pour les allocataires bénéficiant déjà de l’aide sociale. En 1994, le gouvernement met en place un autre moyen de contrôle des fraudes en demandant aux prestataires aptes à l’emploi de se présenter aux bureaux de l’aide sociale afin de récupérer leur chèque en personne. Il décide que les nouveaux allocataires ne pourront plus bénéficier des mesures de développement de l’employabilité durant les six premiers mois d’arrivée à l’aide sociale. Il réduit également le nombre de places au rattrapage scolaire, le rendant difficilement accessible avec des périodes d’attente qui se prolongent. En 1996, le gouvernement opère un autre changement radical pour les bénéficiaires de l’aide sociale. Le barème de disponibilité est aboli et remplacé, devenant plus sévère (de 100-150 $ de coupures sur des prestations d’environ 548 $ par mois) pour les prestataires « aptes » qui ne cherchent pas un emploi ou qui refusent ou abandonnent un emploi sans raison valable et acceptable par l’aide sociale. Un prestataire qui s’inscrit à un programme professionnel n’est plus rémunéré par l’aide sociale, mais doit souscrire au programme d’aide financière aux étudiants (prêts et bourses). Enfin, le programme EXTRA (expérience de travail) est aboli, entraînant également une baisse des prestations de près de 150 $ pour les personnes qui participent à un programme d’apprentissage (Ulysse et Lesemann, 2004).

Le bilan de la réforme de 1989 montre qu’elle n’a pas réussi à produire les effets attendus. En effet, selon Statistique Canada (2007), le nombre de prestataires de l’aide sociale n’a pas cessé d’augmenter pendant les années 1980 et 1990, atteignant un maximum d’environ 11.2 % en 1996. De plus, cette augmentation continue des demandes d’aide sociale, ajoutée aux problèmes de récession économique et à la crise des finances publiques à l’origine de nombreuses coupures dans les programmes et prestations de l’aide sociale, amène le Ministère de la Sécurité du revenu à remettre en question le système. Le gouvernement propose ainsi une nouvelle réforme basée

sur la redéfinition des obligations de la collectivité. Il entend faire de la participation à l’emploi une responsabilité à la fois collective et individuelle, incluant ainsi les secteurs privés, publics et communautaires dans le processus de réintégration au marché du travail des prestataires de l’aide sociale. En 1994, le Ministère a été renommé Ministère de la Sécurité du revenu et devient responsable non seulement de l’aide financière de dernier recours, mais également des mesures de développement de l’employabilité et d’intégration en emploi. Par ces changements, le gouvernement souhaite centraliser les actions publiques et pallier aux problèmes d’admissibilité aux prestations afin de les axer davantage sur les besoins des personnes. En effet, dans son livre vert sur la réforme, le Ministère de la Sécurité du revenu reconnaît la nécessité « d’aller au-delà de l’employabilité » (M.S.R., 1996 cité dans Ulysse et Lesemann, 1999 : 31). Selon lui, le fait de distinguer les personnes selon leur admissibilité aux prestations de la sécurité du revenu plutôt qu’en fonction de leurs besoins, ne permettent aux mesures d’être offertes qu’à 15 % de personnes et n’ont que des « retombées modestes » (M.S.R., 1996 cité dans Ulysse et Lesemann, 1999 : 31). C’est à partir de ce constat que la question de la pauvreté et de l’exclusion du marché du travail deviennent centrales pour le gouvernement qui les met au cœur de ses orientations, avec la question du parcours vers l’insertion, la formation et l’emploi. Il entend favoriser l’insertion professionnelle, mais aussi sociale, qui est son objectif final (M.S.R., 1996 cité dans Ulysse et Lesemann, 1999). Ainsi, en décembre 1996, le livre vert déposé s’intitule Un parcours vers l’insertion, la formation et

l’emploi. En 1999, la Loi sur la sécurité du revenu est remplacée par la Loi sur le soutien au revenu et veut favoriser l’emploi et la solidarité sociale. Avec la Loi 186,

l’aide sociale disparaît pour les personnes aptes au travail, laissant place au programme d’assistance-emploi qui prévoit davantage d’obligations en termes d’emploi et une obligation de participer à des parcours pour les 18-24 ans. Ainsi, ce programme octroie une allocation supplémentaire de 30 $ par mois pour toutes les personnes qui effectuent des activités dans le cadre d’un « parcours individualisé » (M.S.R., 1996 cité dans Ulysse et Lesemann, 1999 : 31). Plusieurs bonifications ont été apportées avec cette loi, qui concerne principalement les familles, les familles monoparentales et les personnes souffrant de contraintes sévères à l’emploi.

L’intérêt de cette réforme est de voir comment l’État veut agir sur les parcours individuels afin de favoriser l’insertion, la formation et l’emploi pour les personnes aptes à travailler. Ce sera au niveau des Centres locaux d’emplois (C.L.E.) que s’effectuera le travail de dépistage des personnes qui présentent le risque de connaître un chômage de longue durée afin de définir avec eux des priorités d’action et de leur proposer des mesures qui seraient les plus adaptées à leurs besoins. En effet, selon le gouvernement, « le ciblage de la clientèle, est un facteur déterminant de l’efficacité de la mesure de formation, une condition essentielle à son utilité » (Emploi-Québec, 1998 cité dans Ulysse et Lesemann, 1999 : 41). Par cette réforme, les mesures, services et programmes d’Emploi-Québec se veulent davantage axés sur les individus. En effet, les mesures de formation permettent d’offrir aux bénéficiaires du soutien à la recherche d’emploi, des activités de recherche d’emploi ou même des mesures d’insertion en emploi plus ciblées. Les projets d’insertion en emploi consistent à proposer des mesures de subventions salariales et des suppléments en cas de retour à l’emploi. Emploi-Québec propose également des mesures de soutien aux travailleurs autonomes et au développement des entreprises pour les prestataires de l’aide sociale ou de l’assurance-emploi. Enfin, en ce qui concerne l’insertion sociale pour des personnes exclues du marché du travail depuis longtemps, Emploi-Québec propose des mesures qui leur permettraient d’acquérir progressivement les attitudes, compétences et habiletés nécessaires à leur réintégration au marché du travail. De plus, ces mesures devraient leur permettre de rétablir des contacts et des liens avec leur milieu de vie dans des espaces de resocialisation (Emploi-Québec, 1998). Ces mesures très similaires à celles déjà mises en place lors de la réforme de 1989, permettent de constater « une relation de continuité » entre ces deux réformes (Ulysse et Lesemann, 1999 : 74). Cependant, la réforme de 1996 semble s’axer sur la confirmation et la concrétisation des orientations déjà prises en 1989 tout en ciblant précisément l’encadrement et le suivi des prestataires au niveau local.