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Réflexions basées sur l'expérience-pilote pour concevoir des activités

Chapitre 4 Le projet Favi et les activités de clavardage

4.4 La mise en place des activités de clavardage

4.4.3 Réflexions basées sur l'expérience-pilote pour concevoir des activités

Après nos premières expériences avec les étudiants de l'université Paris Dauphine, nous nous sommes rendue compte qu'il est nécessaire d'étudier de manière plus profonde une forme de création pédagogique d'activités de clavardage dans un contexte académique.

L'animation d'une séance exige une adaptation constante du type d'activité de la part du concepteur en fonction des réactions des apprenants. Par ailleurs, cela exige l'intervention

quasi-instantanée de la part du tuteur linguistique durant les séances. Une forme d'encadrement tutoral spécifique à ce niveau a donc été nécessaire.

Par exemple, premièrement, certaines interactions entre apprenants risquent de détourner l'objectif des échanges, transformant une interaction en langue académique en une conversation "détendue" d'un niveau moins soutenu que ce qui était demandé. Il nous a été nécessaire de trouver des solutions pour éviter ce risque grâce aux spécificités de l'outil et à la présence d'un tuteur linguistique et d'un concepteur-organisateur. Pour ce faire, il nous a semblé indispensable de construire tout d'abord des règles à respecter durant les séances, nous les avons intitulées "10 commandements pour le clavardage en français académique".

Deuxièmement, prenant en considération les interactions "dans un contexte académique", l'utilisation d'un registre de langue approprié dans ce contexte était un point primordial à prendre en compte lors de la conception des activités. Pour les séances de clavardage dans un contexte académique, il existe deux possibilités : 1) on peut utiliser un registre plus "détendu" en mettant l'accent sur l'échange des pratiques académiques "entre collègues" et 2) on peut utiliser un registre plus "soutenu" lorsque l'on envisage de se trouver dans un contexte plus engagé comme une séance débat sur un sujet spécifique. En bref, le choix du registre de langue des étudiants dépendait du type d'activités que le concepteur proposait.

4.4.3.1 Les activités basées sur le principe de coopération

La conception des règles du jeu pédagogiques et des sujets de discussion est basée sur le principe de coopération19 de Grice (1975, 1979) et la théorie d'action de Bange (1992).

Grice souligne que, dans les conversations, chaque participant reconnaît l'existence d'un ou de plusieurs buts ou, du moins, de directions réciproquement acceptées. La conversation, en se déroulant, tend alors à les réaliser.

Nos échanges de paroles ne se réduisent pas en temps normal à une suite de remarques décousus, et ne seraient pas rationnels si tel était le cas. Ils

19 Bange (1992 : 109) le nomme "principe d'interaction" en considérant que la coopération est une organisation

coordonnée des interactions. Il précise que la coopérativité n'est autre que la forme propre aux actions sociales de l'adéquation des moyens aux buts qu'on appelle aussi la rationalité des actions.

sont le résultat, jusqu'à un certain point au moins, d'efforts de coopération ; et chaque participant reconnaît dans ces échanges (toujours jusqu'à un certain point) un but commun ou un ensemble de buts, ou au moins une direction accepté par tous. Ce but ou cette direction peuvent être fixés dès le départ (par exemple par la proposition initiale de soumettre une question à la discussion), ou bien peuvent apparaître au cours de l'échange ; ils peuvent être relativement bien définis, ou assez vagues pour laisser une latitude considérable aux participants (comme c'est le cas dans les conversations ordinaires et fortuites) (Grice, 1979 :

60).

Compte tenu de la coordination des actions des participants lors des interactions, le principe de coopération est donc "la forme propre aux interactions du principe de rationalité des

actions", c'est-à-dire d'"adéquation des moyens aux buts" (Bange, 1992 : 111). Bange

souligne qu'agir rationnellement pour réaliser son but dans le cadre d'une interaction est agir coopérativement, c'est-à-dire de manière coordonnée.

[…] dans le cas des interactions verbales, il est rationnel pour les participants de respecter le principe de coopération parce que cela augmente les chances de parvenir à un équilibre de coordination et de réaliser les buts des actions de communication qui sont d'une manière générale : convaincre ou inciter à faire (Bange, 1992 : 111).

Ce principe nous a permis de constituer un socle sur lequel les interactants échangent sur des pratiques académiques et co-construisent la discussion dans un contexte académique.

4.4.3.2 Création des règles du jeu pédagogiques

Pour construire les règles du jeu pédagogique, nous nous sommes inspirée des maximes de conversation de Grice (1975, 1979), des éléments qui "détruisent" les maximes de conversation sur Internet (Netspeak maxim) de Crystal (2001) et des règles de conduite et de

politesse générales à adopter lors de la communication à distance (nétiquette20) que le Conseil de l'Europe propose.

En ce qui concerne les maximes de conversation,

- Maxime de quantité : l'information fournie ne doit correspondre qu'à ce qui est nécessaire, ni plus ni moins.

- Maxime de qualité : l'information que le locuteur donne doit être pertinente et véridique.

- Maxime de relation : la contribution de l'information doit être pertinente par rapport au contexte et au but de la conversation.

- Maxime de modalité : l'expression que le locuteur utilise doit être claire et non ambiguë. Pour cela, il faut être bref et méthodique.

Crystal (2001) reprend les maximes de conversation de Grice pour les interactions sur Internet (Netspeak Maxim). Il souligne plus particulièrement la difficulté à laquelle on peut se confronter lors des interactions à distance, comme par exemple la difficulté qui provient de l'anonymat liée au problème de l'identité, ou l'agression verbale envers un interlocuteur, etc. Crystal introduit donc les circonstances qui détruisent les maximes de conversation sur Internet.

- Les circonstances qui détruisent la maxime de quantité : o L'absence de parole (mutisme : lurking).

o L'envoi de messages non souhaités en quantité excessive (pourriel : spamming). o L'envoi de messages non souhaités en quantité excessive et de manière

agressive (harcèlement : flaming).

- Les circonstances qui détruisent la maxime de qualité :

o L'information ou son origine est non fiable et non identifiée (canular : spoof). o La transmission d'un message non pertinent pour irriter des membres du

groupe (agacerie/raillerie : trolling).

20 Le terme "nétiquette" est formé de deux mots, "net", qui est la contraction d'Internet, et "étiquette", en tant que

- Les circonstances qui détruisent la maxime de relation : o L'introduction de messages hors sujet.

o Le dédoublement du sujet de conversation, dans les clavardages en particulier. - Les circonstances qui détruisent la maxime de modalité :

o Proposition extrêmement longue.

o Chevauchement des propositions notamment durant la communication synchrone.

o Degré de désordre des propositions qui rend difficile l'interaction entre les participants.

En ce qui concerne la nétiquette, nous avons consulté le manuel de maîtrise de l'Internet du Conseil européen.

Le t'Chat se fait par écrit. Étant donné que les règles sociales, les gestes et la communication non verbale manquent et sont absents du Web, des malentendus peuvent survenir aisément en ligne. Chacun doit être agréable, poli et avoir de bonnes manières comme dans la vie réelle et éviter de «s'énerver» (répondre impoliment à un interlocuteur). […] les utilisateurs se présentent la plupart du temps sous leur vraie identité. […] Dans cet environnement, il est commun pour la communauté d'apprentissage, les enseignants et les étudiants, de définir ensemble des règles, c.-à-d. la nétiquette […] (Conseil de l'Europe, t'Chat).

Grâce à tout cela, nous avons pu construire des règles de participation à la discussion par clavardage pour veiller à garantir la qualité de l'interaction en langue académique. Nos maximes d'interaction dans un contexte académique sont mises en pratique comme indiqué ci- dessous.

Pour une meilleure organisation du clavardage, nous vous invitons à li re attenti vement les rè gles du jeu pédagogiques que nous vous proposons. Vous po urrez également retrouver ces règles en version imprimable sur la plateforme.

10 commandements pour le clavardage en français académique

2. Connectez-vous avec votre propre nom et prénom (Evitez d'utiliser un pseudonyme). 3. Evitez le style familier et essayez d'écrire en style académique avec un vocabulaire pertinent. 4. Concentrez-vous sur le sujet du jour : le message transmis doit être adapté au sujet de discussion. 5. Ne monopolisez pas la parole. Partagez-la avec vos collègues.

6. Précisez la référence si vous transmettez une information ou une citation.

7. Utilisez les points de suspension "…" pour indiquer que votre message n'est pas terminé et que vous allez le continuer dans un message suivant. Sinon, il est possible que les autres prennent la parole à votre place.

8. Faites attention aux fautes d'orthographe et relisez-vous avant de cliquer sur "envoyer". 9. Evitez d'utiliser des émoticônes. Essayez plutôt de formuler avec des mots.

10. Respectez les opinions de vos collègues et essayez de comprendre la différence de point de vue. A partir du moment où ils ont décidé de participer à nos activités, les apprenants se sont engagés à respecter ce contrat d'échange. En le respectant, l'apprenant peut prendre plus de temps qu'habituellement pour composer un message. Cependant, elles lui permettront de réfléchir plus profondément que lors des activités de clavardage classique afin de mieux structurer ses idées appropriées dans le contexte de la discussion.