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Les compétences pragmatiques requises des étudiants étrangers en milieu

Chapitre 2 Le FLE dans un contexte académique

2.3 Compétences en langue académique

2.3.2 Les compétences pragmatiques requises des étudiants étrangers en milieu

Les apprenants de niveau avancé en milieu académique fréquentent différents types de contact avec l'oral. Notamment, lorsqu'il s'agit d'une rencontre scientifique ou professionnelle, les interactions nécessitent des enchaînements de structures argumentatives imprévues et contingentes qui permettent de façonner de nouveaux "objets de discours et de savoir se

rapportant à une interaction spécifique" (Miecznikowski et al., 2001). Dans ce cas, les

participants à ce type d'interaction doivent se manifester de façon discursive et argumentative. Pour cette raison, il nous semble intéressant d'aborder la question sur des compétences requises des apprenants en L2 dans un contexte académique en les répartissant en deux groupes distincts : la compétence discursive et la compétence argumentative.

2.3.2.1 La compétence discursive

Au cours de la production d'énoncés du type "discours" dans un contexte académique, l'énonciateur fait appel à deux types de connaissances. Pour un discours réussi, il doit avoir des connaissances abondantes sur le thème que l'on va aborder et être capable de bien maîtriser et organiser son discours. Deux niveaux d'organisation linguistiques sont concernés : un niveau phrastique et un niveau discursif. Le premier correspond à la structure interne des constituants majeurs de l'énoncé, qui demande à la maîtrise de la compétence linguistique, tandis que le second déterminerait le développement de l'information à travers les énoncés pour former un discours.

Dans un premier temps, nous allons brièvement présenter la compétence discursive que l'on explique dans le cadre européen commun de référence pour les langues proposé par le conseil de l'Europe en 2001 (CECR) afin de mieux comprendre son principe au niveau pragmatique. Selon le CECR, la compétence pragmatique traite de la connaissance que l'utilisateur / apprenant a des principes selon lesquels les messages sont organisés, structurés et adaptés au niveau de la compétence discursive (CECR, 2001 : 96). Cette compétence permet à l'apprenant d'"ordonner les phrases en séquences afin de produire des ensembles cohérents". Elle recouvre la connaissance de l'organisation des phrases et de leurs composantes, et la capacité à les maîtriser en termes de thème / rhème, d'information donnée / information nouvelle, d'enchaînement "naturel" et de cause / conséquence. Par ailleurs, elle concerne la capacité de gérer et de structurer le discours en terme d'organisation thématique, de cohérence et de cohésion, d'organisation logique, de style et de registre, d'efficacité rhétorique et de

principe coopératif (maximes conversationnelles de Grice, 1975 ; cité par Bange, 1992a) 12. Le CECR précise que "la dérogation à ces critères en vue d'une communication directe et

efficace ne devrait se faire que dans un but précis et non par incapacité à les respecter". En

effet, la capacité de structurer le "plan du texte" est requise à l'apprenant. Il s'agit de :

La connaissance des conventions organisationnelles des textes dans une communauté donnée, par exemple,

- comment est structurée l'information pour réaliser les différentes

macro-fonctions (description, narration, argumentation, etc.)

- Comment sont racontées les histoires, les anecdotes, les plaisanteries,

etc.

- Comment est construite une argumentation (dans un débat, une cour

de justice, etc.)

- Comment les textes écrits (essais, lettres officielles, etc.) sont mis en

page, en paragraphes, etc. (CECR, 2001 : 96).

Que signifie l'acquisition de la compétence discursive en L2 ? Selon Véronique (2004),

The acquisition of discursive capacities in L2 implies the ability to produce text in context and to meet the communicative needs of both speaker and addressee in terms of information organization (Véronique,

2004 : 257).

En ce sens, nous nous apercevons que la compétence discursive est une compétence que l'énonciateur individu doit développer pour produire un ensemble d'énoncés cohérents en mettant l'accent sur la transmission d'informations bien organisées et structurées. Le but est ainsi de communiquer avec ses interlocuteurs sur un sujet précis (scientifique ou non).

Selon le CECR, une grande partie de l'enseignement de la langue maternelle est consacrée à l'acquisition des capacités discursives. Cependant, il ne s'agit guère de celui d'une langue étrangère (par le fait de la culture éducative propre à chaque pays). Dans le cas de l'appropriation d'une L2, les apprenants de niveau avancé, notamment ceux qui sont intégrés dans une communauté précise comme l'université francophone, doivent développer leur compétence discursive à travers des activités pédagogiques appropriées au contexte.

2.3.2.2 La compétence argumentative

Pour cerner la notion d'argumentation, insistons-nous sur Moeschler et Platin.

Moeschler (1985) affirme qu'une argumentation consiste en "une relation entre un ou des

arguments et une conclusion" alors le fait d'"argumenter" revient à "donner des raisons pour telle ou telle conclusion" (1985 : 46). Par ailleurs, il précise qu'il est nécessaire d'opposer

"argumenter" à "prouver" ou "déduire".

Un discours argumentatif n'est pas un discours apportant à proprement parler des preuves, ni un discours fonctionnant sur les principes de la déduction logique. En d'autres termes, argumenter ne revient pas à démontrer la vérité d'une assertion, ni à indiquer le caractère logiquement valide d'un raisonnement (Moeschler, 1985 : 46).

Nous pouvons remarquer que Plantin (1996 : 24) partage la même opinion que Moeschler sur le fait que l'argumentation se construit grâce à une corrélation entre l'argument, énoncé assuré et accepté, et la conclusion, atteinte à un énoncé moins assuré donc moins acceptable. Selon Plantin, l'argumentation est une opération qui prend appui sur cette corrélation. A la différence de Moeschler, Plantin développe l'acte argumentatif en mettant l'accent sur la relation avec l'interlocuteur, en s'approchant de hauts niveaux d'échange. Il déclare que, par définition, deux voix doivent se faire entendre dans le discours argumentatif, celle du défendant et celle de l'opposant.

Argumenter, c'est adresser à un interlocuteur un argument, c'est-à-dire une bonne raison, pour lui faire admettre une conclusion et l'inciter à adopter les comportements adéquats (Plantin, 1996 : 24).

Pour Plantin, l'argumentation est une opération de pensée et une question de logique alors qu'elle est produite dans des textes monologiques, qui sont l'instrument de l'expression logique. Ce qui la différencie d'un discours général est que les textes sont critiqués en fonction d'une "norme logico-scientifique" (Plantin, 1996 : 28), qui prend en compte de la "valeur de

vérité des énoncés entrant dans l'argumentation et la validité du lien qui unit les prémisses à la conclusion" (Plantin, 1996 : 28).

Focalisons-nous sur le côté pratique de l'argumentation. Toulmin (1991) propose six composants en corrélation pour les arguments, qui sont les suivants : la réclamation ("claim"), les données ("data"), la garantie ("warrant"), le support ("backing"), la réfutation ("rebuttal") et la qualité ("qualifier"). Les trois premiers facteurs (réclamation, donnée et garantie) sont considérés comme composants essentiels des arguments pratiques, alors que la deuxième triade (réfutation, qualité et support) peut ne pas être nécessaire à certains arguments.

L'argumentation est, en général, associée aux discours et débats politiques, ou encore à la résolution de situations de conflit ayant des enjeux pratiques, sans négliger la rhétorique. Plantin (1990) souligne.

La rhétorique classique a recours à l'argumentation lorsqu'il s'agit de régler les choix politiques (genre délibératif), de renforcer les normes sociales et morales (genre épidictique), ou de sanctionner les conduites répréhensibles (genre judiciaire) (Plantin, 1990 : 12).

Pourtant, cette caractérisation de l'argumentation nous paraît trop restreinte et catégorisée pour l'objectif de notre recherche. Ainsi, nous nous reposons plutôt sur Grize (1990) : "argumenter, dans l'acception courante du terme, c'est fournir des arguments, donc des

raisons, à l'appui ou à l'encontre d'une thèse" (Grize, 1990a : 40). Et il poursuit qu'il est

possible de concevoir l'argumentation d'un point de vue plus large et de l'entendre comme une démarche qui vise à intervenir sur l'opinion, l'attitude, voire le comportement de quelqu'un (Grize, 1990a : 40). Ou encore,

Un discours s'adresse toujours à quelqu'un pour agir sur lui, plus exactement sur quelque trait de ses représentations… Tout discours a donc une composante argumentative (Grize, 1990b : 88).

A partir de cette réflexion, nous insistons premièrement sur le fait que l'ensemble des énoncés cohérents de l'apprenant (le produit discursif) doit avoir des enjeux pratiques. Pour cela, nous tentons de mettre le lien avec la compétence argumentative en L1. Si l'apprenant est capable d'argumenter en L1 avec ses propres compétences langagières, de quelle acquisition s'agit-il pour la compétence argumentative en L2 ? Il nous semble qu'il n'existe pas une différence

remarquable entre la compétence argumentative que l'on exige en langue maternelle ou en L2. Bouchard (1996 : 94) souligne qu'une première manifestation importante de la compétence argumentative en langue étrangère est la capacité de parler de l'argumentation comme en langue maternelle parce qu'elle est caractéristique d'une expérience communicative d'adulte cultivé, en L1, en même temps que d'une compétence linguistique en L2. Autrement dit, les étudiants étrangers dans un contexte académique peuvent être capables d'argumenter en L2 avec un niveau comparable à celui obtenu en L1.

Dans ce cas, pourquoi l'apprenant de L2 dans un contexte académique français a besoin de s'entraîner à améliorer cette compétence ? Par quel processus l'apprenant acquiert-il une compétence argumentative en L2 ? Selon Arditty (1998 : 147), acquérir les moyens d'argumenter signifie concrètement de devenir capable de motiver une demande, de justifier un refus, d'expliquer ou d'illustrer un point de vue, de construire des réponses (pas nécessairement logique à des "pourquoi ?") avec son interlocuteur lors de l'interaction. Ceci n'implique pas une compétence argumentative que l'on a développé en langue maternelle mais nécessiterait de la reconstruire à partir du moment où elle a à s'exercer en L2 dans un contexte culturel différent.

L'argumentation est une activité qui ne se limite pas à certains cadres interactionnels. […] Elle s'entremêle en outre à d'autres activités, narration, description, etc. qu'elle peut mettre à son service et des séquences argumentatives peuvent encadrer ou inclure des séquences d'un autre type ou y d'être insérées (Arditty, 1998 : 154).

Nous pouvons conclure que l'argumentation fait appel à un savoir-faire des participants basé sur une triple compétence : la compétence de communication combinant la compétence linguistique, la compétence discursive et la compétence textuelle. Plus particulièrement, cette dernière peut être interpréter comme la "capacité d'agir linguistiquement avec succès dans le

cadre d'un acte de communication" (Rück, 1991 : 52). L'énonciateur doit être capable de

produire des énoncés bien formés et de comprendre l'interlocuteur avec un système linguistique et la culture académique dans une L2. Par ailleurs, il doit établir une combinaison d'arguments en fonction de l'objectif à atteindre dans un contexte donné. C'est la raison pour laquelle l'argumentation pourrait être perçue comme un discours-en-interaction. En considérant que l'argumentation pour les apprenants adultes de niveau avancé en L2 est un

entraînement pour développer la construction et l'adaptation des énoncés au contexte, nous allons voir plus précisément pourquoi la compétence textuelle liée à la linguistique textuelle est intéressante pour le développement de ces deux compétences.

2.3.2.3 L'intérêt de la linguistique textuelle pour le développement de la compétence discursive et de la compétence argumentative

L'approche de la linguistique textuelle attire notre attention dans le but de développer la compétence discursive et la compétence argumentative que nous avons mentionnées dans les parties précédentes.

Afin de discuter l'intérêt de la linguistique textuelle, focalisons-nous d'abord sur le lien qu'elle établit avec l'analyse du discours en mettant l'accent sur le concept que nous avons abordé ci- dessus à travers le discours-en-interaction (voir le 1.3.4.4).

En ce qui concerne l'analyse du discours, nous nous inspirons de Moeschler. Cette analyse a pour objet principal de décrire la structure hiérarchique de la conversation, tant dans les différentes unités conversationnelles qui la composent (échange, intervention, acte de langage) que dans les différentes relations ou fonctions (illocutoires et interactives) entre les unités la constituant (Moeschler, 1985 : 18).

Ce qui est déterminant, dans l'optique de la linguistique textuelle selon Rück (1991), c'est la "prise en charge du contexte et de l'interdépendance des éléments" (Rück, 1991 : 52). La limite de la description n'est pas déterminée par l'unité "phrase". En effet, des phrases isolées peuvent s'associer à d'autres phrases pour constituer des textes. Il est alors intéressant d'observer la structure et la relation phrastique qui produit un effet lors de la construction des textes. Il insiste donc sur le fait que le propre de la linguistique textuelle correspond à la mise en œuvre d'une méthodologie qui considère une "communication écrite" comme un système d'instruction et de guidage.

De ce point de vue, on peut considérer que la linguistique textuelle a pour rôle de théoriser et de décrire les agencements d'énoncés élémentaires au sein de l'unité de haute complexité que constitue un texte, notamment au sein de l'analyse du discours.

Pour Adam, par exemple, la linguistique textuelle porte autant sur la description et la définition des différentes unités que sur les opérations dont, à tous les niveaux de complexité, les énoncés portent la trace (2005 : 33). Il situe donc d'une manière résolue la linguistique textuelle dans le domaine plus vaste de l'analyse du discours.

Le lien [de la linguistique textuelle] avec l'analyse des discours et clairement affirmé et l'objet mieux défini : des pratiques discursives institutionnalisées, c'est-à-dire des genres de discours (Adam, 2005 : 30).

En définissant la linguistique textuelle comme "auxiliaire de l'analyse du discours", Adam insiste sur cette proposition de méthode essentielle qui consiste à ne pas séparer les notions de texte et de discours.

Chaque texte se présente comme un énoncé complet, mais non isolé, et comme le résultat toujours singulier d'un acte d'énonciation. C'est, par excellence, l'unité de l'interaction humaine (Adam, 2005 : 29).

Ou encore,

L'analyse textuelle du discours ne peut pas faire l'économie de l'articulation du textuel et du discursif car ces deux points de vue complémentaires ne sont séparés que pour des raisons méthodologiques

(Adam, 2005 : 29).

Il est nécessaire, pour nous, de voir en quoi cette approche peut être favorable aux apprenants de niveau avancé dans un contexte académique. Nous nous proposons de nous tourner conjointement vers la linguistique textuelle et l'analyse textuelle des discours. Nous nous proposons également de mettre en relation la linguistique textuelle et la pragmatique discursive dans un contexte académique. Ces deux approches rejoignent les principes de la linguistique interactionnelle dans un contexte scientifique. Comme Mondada (2005) le mentionne, "le savoir scientifique n'est pas l'œuvre d'individus isolés, mais de laboratoires et

d'équipes où interviennent des modes complexes d'organisation et de distribution du travail intellectuel" (Mondada, 2005 : 15).

Cette ouverture à la linguistique textuelle apporte une forme d'articulation intéressante entre sciences du langage et recherche sur l'acquisition d'une L2. En effet, nous pouvons considérer que les critères réunis dans cette partie comprennent la linguistique interactionnelle, la linguistique textuelle et l'analyse du discours. Ceci nous semble très favorable à l'approfondissement de notre recherche, qui s'appuie à la fois sur des spécificités linguistiques chez les apprenants de niveau avancé que nous verrons dans la partie suivante (2.3.3.2), et sur des caractéristiques de l'outil de communication médiée par ordinateur (CMO) à base textuelle que nous allons aborder dans le chapitre 3.1.

2.3.3 Le développement de la compétence textuelle chez les apprenants de