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CHAPITRE 3 : L’EXPÉRIENCE PÉNALE

3.3 Les Réactions

3.3.1 Réappropriation de leur identité

De façon proactive, certains hommes interviewés disent avoir tenté de poser des actions concrètes afin de réaffirmer leur identité et ainsi tenter de modifier la perception d’autrui à leur égard, notamment en tentant de se défaire des préjugés les entourant, indiquant de cette façon vouloir être reconnus au-delà des gestes qu’ils avaient posés : « J’ai agressé sexuellement, ce n’est pas ce que je suis en tant que personne. » (Fred)

Dans un premier temps, plusieurs hommes insistent lors de nos entretiens afin aborder les délits à l’origine de leur déclaration spéciale. Ils ont tenu, de cette manière, à rétablir et nuancer certains faits qui avaient pu être présentés de manière sensationnelle. Ils ont

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également voulu se défaire de cette image « froide » et « sans pitié » qui semblait leur avoir été attribuée. Ils ont donc largement abordé leur vécu émotif à travers l’ensemble de leurs expériences pénales. Ils ont tenté de présenter leur sensibilité, malgré les comportements contradictoires qu’ils avaient pu adopter.

Par leurs propos, ils évoquent également avoir utilisé cette stratégie d’affirmation et de reconnaissance des gestes posés auprès de certains de leurs proches. Certains hommes rencontrés indiquent, en effet, avoir préféré informer eux-mêmes de leurs antécédents certains codétenus avec qui ils avaient tissé des liens afin d’éviter les distorsions du bouche-à-oreille. De cette manière, ils ont offert l’opportunité de fournir des clarifications ou des précisions, ce qui, selon eux, leur a permis d’obtenir davantage de confiance ainsi que du respect.

« Quand je vois que le monde essaie de graviter autour de moi, je leur dis tout de suite. Comme mon partner qui est ici, quand j’ai vu qu’on avait de bonnes affinités et tout, je me suis assis avec tout seul et je lui ai expliqué : « Regarde, moi je suis ici pour ça, ça, ça. J’aime autant te le dire moi-même que tu l’apprennes d’ailleurs tout croche.» - Ian

Dans un second temps, lors de nos entretiens, plusieurs hommes ont voulu aborder leur passé, soit « qui ils étaient » avant d’avoir commis les gestes à l’origine de leur déclaration spéciale. Certains insistent pour parler de leur dévouement au travail, d’autres de l’importance de leur rôle parental ou de l’aide qu’ils ont apportée à un proche dans le besoin. Ceci, pour présenter une image plus complète d’eux-mêmes et éviter que l’accent ne soit mis que sur les gestes ayant mené à leur déclaration spéciale. Ce retour dans le passé, bien qu’initié par les hommes interviewés, semble bouleversant pour eux. Leur identité personnelle leur semblait parfois bien lointaine…

Dans ce même ordre d’idées, quelques hommes disent avoir tenté de rappeler « qui ils étaient » à leurs proches. Certains racontent avoir écrit des lettres d’excuses ou explicatives, d’autres avoir réitéré leur affection dans des cartes de souhaits ou invité un membre de la famille à livrer un message aux autres membres en leur nom.

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Dans un troisième temps, certains hommes interviewés disent avoir tenté de présenter une identité plus nuancée d’eux-mêmes à l’endroit des membres du personnel, soit s'efforcer d’atténuer l’image de « dangereux » qui pouvait leur avoir été attribuée, de sorte qu’il soit ensuite plus envisageable pour eux d’obtenir une libération, ce particulièrement parmi les hommes déclarés « délinquants dangereux ». Sans quoi, ces derniers disent craindre de devoir être maintenus incarcérés perpétuellement. Pour ce faire, certains hommes interviewés évoquent, par exemple, qu’ils doivent constamment faire attention aux propos qu’ils tiennent devant des membres du personnel, de manière à se montrer positifs et adéquats.

« Pour sortir, il faut que je reste… à chaque fois que je rencontre le monde du Service correctionnel Canadien, il faut toujours que j’aie en tête : “Attention à ce que tu vas dire!”. Je suis obligé de faire des efforts quand je les rencontre. » - Jannick

Les hommes déclarés « délinquants à contrôler », pour leur part, indiquent croire également que s’ils sont en mesure de démontrer leur cheminement, une partie de leur OSLD pourrait se dérouler à l’extérieur d’un hébergement en maison de transition. Plusieurs disent alors s’être efforcés de mettre de l’avant certaines de leurs qualités personnelles, par exemple en étant gentils et courtois avec les membres du personnel.

Quelques hommes interviewés racontent aussi avoir tenté d’appréhender les attentes de leurs agents afin de s’y conformer. Certains disent avoir participé à des programmes thérapeutiques et avoir offert une belle implication afin de démontrer le sérieux de leur démarche. D’autres mentionnent avoir même complété des programmes qu’ils n’étaient pas tenus de faire, mais qu'ils ont faits afin « d’être plus crédibles au moment de la Commission des libérations » (Gaspard). Karl, pour sa part, indique avoir pris l’initiative d’amorcer des rencontres avec son agente de libération conditionnelle (ALC) afin de lui offrir l’occasion de mieux le connaitre et de lui présenter son identité personnelle.

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« Regarde, j’ai été voir mon ALC. J’ai fait le bon gars d’une certaine manière, j’ai dit : “Regarde, tu ne me connais pas, avant de me connaitre, je vais faire une affaire avec toi, on va faire une rencontre, si ça ne te dérange pas, une fois par semaine ensemble. Tu me poseras les questions que tu voudras, je vais répondre à tes questions. Si ça va mal dans ma vie je vais t’en parler pi ci pi ça.”. C’est ça que j’ai fait, juste pour qu’elle apprenne à me connaitre. Ça, c’était sur une base volontaire. C’est moi qui ai été le proposer. » - Karl