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CHAPITRE 3 : L’EXPÉRIENCE PÉNALE

3.4 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons mis en lumière les principaux éléments des expériences pénales vécues et ressenties par les dix-neuf hommes déclarés « délinquants dangereux » ou « délinquants à contrôler », que nous avons rencontrés.

Il en ressort à priori que les émotions vécues avec le plus d’intensité chez les hommes interviewés se rejoignent sous l’aspect de la culpabilité face aux gestes qu’ils ont posés et paradoxalement, d’une insatisfaction quant à leur sentence. Les hommes interviewés témoignent, d’abord, d’un profond bouleversement intérieur, tout en remarquant que les médias et les experts désignés par le tribunal auraient plutôt privilégié de diffuser une image négative, voire apathique d’eux. D’une part ils rapportent une souffrance, un mal de vivre lié aux gestes qu’ils ont commis, principalement en ce qui concerne les délits de nature sexuelle, et c’est pourquoi plusieurs d’entre eux croient qu’ils méritaient d’être punis sévèrement. D’autre part, la majorité d’entre eux n’arrive pas à

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accepter la sentence qui leur a été imposée, soit leur déclaration spéciale, et ce sentiment est générateur d’une autre forme de souffrance, celle du sentiment d’injustice subie. Ils considèrent notamment avoir fait l’objet d’une injustice au moment des procédures judiciaires, en ayant l’impression que certains aspects extérieurs à eux auraient influencé la détermination de leur peine.

Les hommes que nous avons rencontrés partagent un parcours pénal difficile marqué par différentes formes d’exclusion. Rejet, rupture immédiate des contacts avec les proches, violence physique ou psychologique de la part de codétenus, ou encore fréquents commentaires dénigrants provenant d’agents ou de codétenus, leurs relations sociales semblent marquées par diverses attaques, selon eux principalement issues de leurs antécédents de nature sexuelle.

L’annonce de la peine a engendrée un choc, principalement parmi ceux ayant fait l’objet d’une déclaration « délinquant dangereux », puisqu’ils considèrent avoir reçu « la pire » des condamnations et doutent la mériter véritablement. En ce qui concerne les hommes déclarés « délinquants à contrôler », ce choc a davantage eu lieu au moment d’amorcer leur OSLD, alors qu’ils rapportent avoir été confrontés à un important niveau de contrôle, parfois perçu comme injustifié. Cette peine est aussi significative de discrédit. Nos interviewés indiquent avoir eu l’impression de ne plus avoir aucune valeur aux yeux d’autrui, d’être discrédités et discriminés.

Par ailleurs, les hommes rencontrés soulèvent un grand isolement social. Plusieurs hommes interviewés, particulièrement ceux étant incarcérés depuis une plus longue période, racontent s’être placés en retrait du groupe afin de cesser de subir des mauvais traitements. La plupart des hommes rencontrés évoque également avoir tenté de cacher la nature de leur peine à leurs codétenus, puisque ces déclarations spéciales sont, selon eux, associées à une criminalité de nature sexuelle et susceptibles d’engendrer de la discrimination. De plus, certaines mesures correctionnelles sécuritaires ont, selon eux, exacerbé leur exclusion. Il s’agit de décisions administratives

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mises de l’avant, sommairement, afin de mettre à l’écart les infracteurs de délits sexuels de l’ensemble de la population carcérale dite « régulière » engendrant par-là une privation de tout contact avec des codétenus.

Maintenus dans l’ignorance durant le processus légal, plusieurs hommes interviewés rapportent ne pas avoir été suffisamment informé des répercussions pénales que pouvaient engendrer une déclaration spéciale. Certains rapportent même avoir enregistré un plaidoyer de culpabilité alors qu’ils ignoraient qu’ils étaient susceptibles de faire l’objet d’une déclaration spéciale. Cette impression d’être maintenu dans l’ignorance a ensuite perdurée durant l’exécution de leur peine. Non informés de la durée d’incarcération minimale souhaitée par les personnes en autorité, des objectifs attendus ou encore de leurs réelles chances de libération, plusieurs rapportent avoir été mis à l’écart, abandonnés par le système correctionnel, par exemple en passant en dernier pour les inscriptions aux programmes thérapeutiques ou lors des transferts d’établissements. Cette incertitude face au futur est vécue comme une « torture mentale » par la plupart des hommes purgeant une peine d’une durée indéterminée qui auraient, semble-t-il, préféré se voir imposer une peine à perpétuité. En ce qui concerne les hommes déclarés « délinquants à contrôler », non consultés dans l’élaboration de leur plan de sortie, ils rapportent avoir été maintenus dans l’ignorance relativement aux modalités de supervision de leur OSLD ou des objectifs à atteindre pour obtenir un assouplissement de celles-ci, une fois leur liberté contrôlée amorcée. Ils rapportent ainsi l’impression que leurs opinions et intérêts ont été discrédités au point de perdre leur capacité d’autodétermination.

Enfin, les hommes que nous avons rencontrés indiquent que ces différents vécus les ont contraints à réagir. D’une part, quelques-uns rapportent avoir eu recours à des manœuvres, rectifications de certaines informations à leur égard; dévoilement d’attributs personnels par exemple, afin de se réapproprier une nouvelle identité et ainsi tenter de modifier la perception d’autrui à leur égard. D’autre part, certains hommes déclarés « délinquants dangereux » ont refusé d’attendre passivement

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l’expiration de leur peine – celle-ci étant indéterminée – et racontent par exemple avoir porté une attention continuelle à leur façon de se comporter socialement et avoir entrepris certaines initiatives de cheminement thérapeutique. Cette peine aurait ainsi favorisé un passage à l’action puisqu’elle a semblé exiger un changement chez eux s’ils voulaient envisager une libération.

Au final, la majorité des hommes interviewés expriment un profond désespoir quant à l’incertitude de leur situation, leur incapacité à se projeter dans le futur ainsi que l’impression de la fatalité de leur situation. Ultimement, un nombre significatif d’hommes rencontrés, notamment tous les hommes déclarés « délinquants dangereux », avouent entretenir des idéations suicidaires car ceci est perçu comme la seule alternative pouvant mettre un terme définitif à leur situation.

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