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CHAPITRE 2 : LA MÉTHODOLOGIE

2.4 Les limites de l’étude

Les dimensions explorées dans le cadre de cette étude sont susceptibles d’avoir ravivé des souvenirs ou des émotions négatives auprès des personnes interviewées. Malgré cela, nous avons constaté un très bel accueil du projet de recherche de la part des participants rencontrés. Ils se sont montrés agréablement surpris que quelqu’un, en l’occurrence une chercheure, s’intéresse à eux. Cet intérêt leur étant soudainement porté a certainement influencé la richesse et la profondeur des échanges que nous avons eus avec eux. Notons que quelques hommes interviewés n’avaient jamais eu l’occasion de partager leur vécu avec quiconque depuis l’imposition de leur peine.

Cette recherche a cependant présenté certaines limites. En méthodologie qualitative, les notions de subjectivité et de réflexivité sont au cœur du processus de production des données. Le but était de les contrôler, non pas en les neutralisant, mais en cernant leur effet sur la production du discours et en les utilisant pour l’approfondir (Laperrière, 1997). Nous n’avons donc pas considéré la relation chercheure-interviewé comme un biais, au contraire, nous avons tenté d’exploiter le fruit de cette interaction afin de nous rapprocher le plus possible du phénomène à l’étude. Il n’en demeure pas moins que nous avons dû faire une analyse constante de l’effet de nos choix théoriques et de leur implication subjective sur notre objet de recherche.

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Dans le contexte de notre étude, certaines de nos caractéristiques sociales ont été susceptibles d’influencer le discours des participants (Poupart, 1997). Le statut d’étudiante de la chercheure a probablement facilité l’élaboration du lien de confiance. Ne faisant pas partie des membres du personnel, nous n’étions pas perçue comme faisant partie du « système » carcéral. Le fait d’être une femme a également pu faciliter l’élaboration de ce lien de confiance, mais parallèlement, ceci a pu rendre mal à l’aise certains participants puisque nous appartenions au même groupe sociodémographique que plusieurs victimes. Le fait de devoir reconnaitre, même indirectement, des comportements sexuels violents commis à l’égard de jeunes femmes a pu gêner certains hommes interviewés. Nous avons tenté d’atténuer cet impact en précisant, dès le début de l’entretien, que les délits à l’origine de leur déclaration spéciale n’étaient pas un sujet que nous tenions à couvrir. Aussi, le fait que la chercheure accumule quelques années d’expérience comme criminologue clinicienne, indépendamment de cette recherche, a pu avoir une incidence sur la production du discours. Les participants ont pu davantage utiliser le « jargon carcéral » et moins expliquer certains aspects de leur expérience; prenant pour acquis que nous maîtrisions les concepts. Nous avons dû leur demander de bien préciser leur pensée. Il se pourrait que certaines informations aient pu être perdues considérant que les participants les ont trouvées si évidentes qu’ils n’en ont pas parlé. À l’inverse, notre expérience professionnelle13 a pu influencer certaines interprétations de notre part, ce que nous avons tenté d’éviter en validant, au besoin, notre compréhension de leur discours. Un travail personnel constant de détachement quant à notre mode de raisonnement professionnel a dû être fait afin de viser la plus grande objectivité possible. Nous avons effectivement tenté de diriger l’ensemble de notre attention sur l’expérience rapportée par les participants afin d’éviter de se questionner, par exemple, sur la lourdeur de leur cas ou de tenter d’évaluer s’ils méritaient ou non leur peine. Tout au long des entretiens, le choix des dimensions

13 Cette expérience professionnelle a été acquise à l’IPPM. De ce fait, il a été convenu qu’aucun patient avec qui nous avons eu des contacts dans le cadre de nos activités professionnelles ne pouvait être sollicité dans le cadre de cette recherche.

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explorées a été mené de manière à ce qu’elles reflètent des facettes de leur expérience, non pas d’assouvir une curiosité professionnelle.

D’autres limites ont aussi pu être issues de nos choix méthodologiques (Poupart, 1997). En ce qui concerne la délimitation stratégique et géographique des lieux de recrutement de notre échantillon, il semble qu’en privilégiant certaines institutions, notamment au Québec et dans la région métropolitaine, des participants potentiels ont été exclus. Comme les données l’ont démontré, c’est en Ontario que l’on retrouve le plus grand taux de déclarations de «délinquant dangereux » et au Québec, le plus grand taux de déclarations « délinquant à contrôler »(Sécurité publique, 2013). Il semble donc que les structures et l’application des normes, en l’occurrence le jugement social auquel les «délinquants» ont été confrontés, auraient pu s’avérer différentes selon la province.

Ne possédant que très peu d’informations sur les endroits où les hommes déclarés « délinquants dangereux » ou « délinquants à contrôler » purgeaient leur peine, nous avons sélectionné des milieux sur l’hypothèse qu’ils devaient s’y trouver. Avec le recul, il a semblé que d’autres établissements, accueillant un plus grand nombre de notre population à l’étude, se seraient avérés plus fructueux quant au nombre de participants recrutés. Nous aurions pu gagner en représentativité.

Le fait de s’être intéressée à un échantillon restreint (N = 19) a apporté une limite quant à la possibilité de généraliser nos résultats. En effet, des éléments nouveaux auraient pu rejaillir si nous avions poursuivi certains entretiens ou si nous avions décidé d’interviewer plus de candidats. Notre décision de mettre fin à la collecte de données s’est appliquée à chaque cas, indépendamment, selon l’accumulation des informations recueillies au cours des entretiens. Il s’avère néanmoins qu’à l’analyse du matériel recueilli, plusieurs éléments rapportés par les interviewés se sont recoupés. Ceci nous permet donc de croire le matériel recueilli reflète assez bien l’expérience pénale vécue par les individus faisant l’objet d’une déclaration spéciale.

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Une autre limite semble également provenir du fait que notre population englobait deux sous-groupes : les hommes déclarés « délinquants dangereux » et les hommes déclarés « délinquants à contrôler ». Il se peut qu’il y ait suffisamment de matériel à colliger dans chacun de ces sous-groupes pour que la recherche ne s’adresse spécifiquement qu’à l’un d’entre eux. Le choix de s’intéresser à cette population a été motivé par la crainte de ne pas être en mesure de recruter suffisamment de participants, notamment ceux ayant été déclarés « délinquants dangereux » puisqu’ils ne représentent qu’une très faible proportion de la population carcérale fédérale. Néanmoins, nos analyses montrent une belle cohérence et une complémentarité dans les propos que nous avons réunis dans cette étude.

Enfin, la sélection des participants a été largement influencée par les personnes- ressources et les intervenants impliqués dans le recrutement. Puisque la population à l’étude était considérée « à risque élevé de récidive », l’accès à certains sujets nous a été refusé. C’est ce que nous ont rapporté certaines personnes-ressources. L’échantillon des participants retenus pourrait donc avoir été constitué d’individus estimés « moins dangereux».

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