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Chapitre 3 Le choix de l’interlocuteur et la place du visuel

3.4 L’image comme source d’information

3.4.2 Réalité ou fiction?

Toutefois, il faut arriver à démêler la réalité de la fiction et, bien que cette histoire de lapin soit amusante et pas très grave, ce n’est pas toujours facile lorsque la personne a peur. Les films, télé-réalités et séries de fiction sont autant d’exemples faciles d’utilisation pour expliquer à l’interlocuteur de façon claire ce qui s’est passé d’étrange dans la vie de la victime. Mais les images vues peuvent teinter l’histoire racontée. Un film de fiction tel que

The Rite, est une histoire basée sur un fait réel, comme cela est inscrit au début du long

métrage, mais il n’en reste pas moins que le film présente les évènements selon une recette hollywoodienne permettant une latitude dans le récit et les ajouts dramatiques. «De tous les modes d’expressions de la peur, le cinéma est sans doute l’un des plus spectaculaires» (Roberge, 2004, p.51). Une source présente tellement d’exemples provenant de films ou de séries télévisées qu’il est difficile de déterminer où se situe la ligne entre l’expérience vécue et le visionnement de fictions. Le fait de prendre The Rite comme exemple en disant que c’était la réplique de ce qui s’était passé lors de son exorcisme, à l’exclusion des clous vomis par la victime, est un possible transfert de la fiction vers la réalité (La maison des démons). Le témoin a subi un exorcisme et ne peut l’expliquer qu’à travers une fiction, faute de preuves à présenter. Sylvain Lavoie, directeur du BEPP, explique que la majorité des gens ont besoin d’images pour représenter ce qu’ils voient. Ces images proviennent généralement du cinéma. «Le surnaturel apparaît dans le [cinéma] fantastique comme une rupture dans l’ordre des choses, une menace qui déstabilise l’équilibre quotidien» (Roberge, 2004, p.65). Il s’agit de la représentation de la réalité vécue par le témoin de phénomènes paranormaux sur un écran et, bien que l’histoire soit fictive, le témoin peut identifier son expérience personnelle à quelque chose de concret.

Les exemples proviennent presque exclusivement de films d’horreur et de séries télévisées de fiction. Les films d’horreur sont produits, dans une majorité de cas, pour créer de la peur et non pour la contrôler. L’effet pervers de l’imagerie d’horreur est que les représentations présentées peuvent amener les gens à croire qu’ils sont victimes de phénomènes. Bien des gens souffrent de cauchemars après avoir regardé un film d’horreur. On me suggère très souvent de regarder des films ou une série qui pourraient m’être utiles pour mes recherches. On me demande également si j’ai vu ce film qui décrit si bien ce qui a été vécu. Chez les

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informateurs plus âgés, ce sont des livres qui sont proposés, la plupart des romans dont le synopsis contient des allusions au surnaturel ou des histoires de fantômes.

Ici, je ne m’attarderai pas trop sur les tabloïdes puisqu’il s’agit d’une documentation disponible surtout aux États-Unis. Il s’agit donc d’une source d’information beaucoup moins utilisée au Québec. Toutefois, « the weekly circulation of these periodicals is immense, eclipsing those of nearly all mainstream magazines and newspapers when taken together» (Goode, 2000, p.200). Bien qu’il soit impossible de savoir si les éditeurs croient aux histoires qu’ils publient, il faut tenir compte du fait que les acheteurs de tabloïdes ne les payeront pas s’ils ne considèrent pas que le contenu présente une part de vérité. De plus, selon Goode (2000), les histoires relatées sont à la limite du possible, lorsqu’elles ne sont pas totalement farfelues.

Dans quelques cas, on me propose des émissions de télé-réalité telles que Ghost Hunters ou des émissions d’enquêtes utilisant des médiums ou des techniques scientifiques d’un autre type, comme Opération fantômes avec les frères Klinge. La plupart des émissions proposées sont celles que j’ai éliminées lors du choix des experts au début de mon étude. Les groupes dont la réputation a été entachée par un scandale ou de la mauvaise publicité sont éliminés également, mais malgré la mauvaise réputation de ces groupes, certains intervenants me les proposent comme source d’information. Certains de ces groupes ont produit des émissions de télévision dont la qualité fut rapidement qualifiée de douteuse autant par des néophytes que par des experts dans le domaine.

Un exemple très concret s’est produit au Québec en 2011 alors que l’animatrice Chantale Lacroix a tenté de faire connaître le phénomène des chasseurs de fantômes par une émission de télévision suivant les enquêtes d’un groupe appelé Paracontact. Le résultat fut accueilli par les railleries et la mauvaise publicité (Le Devoir : Baillargeon, 4 décembre 2010 et Deglise 7 avril 2011) ce qui amena le réseau de télévision à annuler la diffusion des derniers épisodes (TVA, Rencontres paranormales, 2011). Toutefois, le médium et fondateur du groupe a publié un livre sur son expérience de médium au service des victimes de phénomènes paranormaux. Sans connaître le tirage et le nombre de ventes, le fait que le livre ne soit plus disponible en magasin alors qu’il y avait des présentoirs entiers lors de la publication permet de croire que ce fut un succès de librairie. De plus, il m’a été

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dit par une de mes sources extérieures que l’émission a nui à l’organisation qui effectue un excellent travail et que c’est le besoin de sensationnalisme du réseau de télévision qui a causé du tort à l’équipe. Ici l’image détruit plutôt que de construire. Il est difficile de déterminer qui a raison dans ce fiasco. Est-ce vraiment le réseau de télévision qui a cherché le sensationnel ou est-ce l’organisation qui n’est pas crédible? Malheureusement, dans ce cas précis, c’est la victime qui paie.

L’idée de départ de cette recherche provient de l’émission Ghost Hunters. La plupart des informateurs connaissaient cette émission sans que je la nomme; ils la regardaient ou en avaient entendu parler. Bien que l’émission soit très connue, les opinions sur le contenu diffèrent énormément. Pour plusieurs, il s’agit d’une source d’informations. «C’est un peu comme mon école» (M. PVE). Les apprentis chasseurs de fantômes voient les membres de T.A.P.S. (The Atlantic paranormal society) comme des professeurs pouvant apporter des connaissances sur le monde paranormal et les enquêtes de démystification. Mais, il y a tout de même des doutes qui apparaissent. « J’me demande si c’est la meilleure émission-école» (M. PVE). Puisque les émissions de chasse aux fantômes foisonnent et que les techniques d’enquêtes diffèrent, il devient difficile de savoir quelle est la meilleure façon de faire pour les apprentis. Les livres deviennent donc des aides précieux pour faire la lumière sur les images pas toujours claires de l’émission. Dans le cas des chasseurs de fantômes, les livres suggérés sont des ouvrages de référence disponibles en librairie dans la section ésotérisme. Toutefois, un participant ayant rencontré les membres de T.A.P.S. est en mesure de présenter ce qui n’est pas visible lors du visionnement des émissions disponibles à la télévision canadienne. Là où les autres voient une image, lui peut passer outre et expliquer ce qui se trouve derrière la caméra. Il a accès à l’image et à sa signification réelle qui diffère grandement de ce qui est visible après le montage. Le montage peut être considéré comme une manipulation de l’image puisque le spectateur n’a pas accès à la totalité des heures enregistrées. Cela donne des arguments aux sceptiques qui voient d’un mauvais œil les enquêtes pseudoscientifiques.

Les sceptiques cherchent plutôt à trouver les erreurs et les falsifications. Ils regardent donc aussi certaines de ces émissions. Lorsque j'ai présenté une variante française de Ghost

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scientifique et présenté toutes les anomalies qui pourraient faire voir l’émission comme une fraude ou une fabrication. Il est également sceptique quant au traitement de Ghost Hunters et a été en mesure de prouver ses affirmations avec des preuves de fabrication d’évènements paranormaux par les membres de l’émission. En effet, des preuves de fraude ont été présentées sur internet par des sceptiques vérifiant les images de Ghost Hunters. Comment ne pas être sceptique lorsque la fraude est si évidente (Michel Toulouse des sceptiques du Québec). Il faut aussi mentionner que:

Discursive practices are used by members of a profession to shape events in the domains subject to their professional scrutiny. The shaping process creates the object of knowledge that become the insignia of a profession’s craft: the theories, artifacts, and bodies of expertise that distinguish it from other professions (Goodwin, 1994, p.606).

Michel Toulouse est un ingénieur en bâtiment possédant une expertise non négligeable. Il est difficile de ne pas tenir compte de sa vision des faits puisque les enquêtes présentées se déroulent dans des bâtiments et que même lui ne connait pas la réaction de tous les types de bâtiments aux intempéries. Puisqu’il est en mesure de prouver la fraude en analysant l’image tout en utilisant le langage faisant de lui un professionnel, la crédibilité des chasseurs de fantômes en prend un coup lorsqu’ils contredisent un professionnel ayant trente ans d’expérience sur le terrain.

Même sans connaître les faits, des informateurs ont affirmé ne pas vouloir avoir recours aux services de chasseurs de fantômes parce qu’ils diraient ce qu’ils souhaitent entendre et pas nécessairement la vérité (Le cellulaire vivant). En cela, ils deviendraient malhonnêtes et ne peuvent aider personne. Il est vrai que T.A.P.S. ne révèle pas toujours les conclusions exactes des enquêtes pour ne pas effrayer davantage les témoins. Il est possible de voir cela à l’écran. Lorsque le témoin doute déjà de la réalité de l’expérience vécue, les conclusions du chasseur de fantômes semblent biaisées dès le départ. Mathieu de La présence maléfique considère que toutes les explications ne permettant pas d’expliquer de façon logique l’expérience vécue ne seraient pas acceptables. S’il existe ne serait-ce qu’un doute, les explications données ne sont pas valables. Cette source fait confiance à la science et doute beaucoup du paranormal. Pour lui, il s’agit de croyances et il cherche l’explication logique. Le chasseur de fantômes ne serait crédible que s’il peut expliquer et faire comprendre les

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phénomènes en les nommant et les expliquant de façon à ce que le doute ne soit plus possible. Comme cela est peu probable, les chasseurs de fantômes ne présentent aucun intérêt (La présence maléfique). Son esprit analytique lui interdit de faire confiance à un expert qui se révèle ne pas détenir les informations.

Lors du visionnement de certains épisodes de Ghost Hunters, il est vrai que les membres de T.A.P.S. ne peuvent pas toujours expliquer ce qui se passe. De plus, les organisations offrant le service dans un but monétaire font également mauvaise presse chez les sceptiques. Celles-ci effectuent leurs recherches en demandant un salaire et le font pour gagner leur vie. Cela pourrait biaiser les résultats puisqu’il est raisonnable de se poser la question à savoir : quelle est la motivation principale des enquêteurs? Une de ces organisations, sise au Québec, offre des plans d’investigation. Les offres sont standards avec un nombre d’heures et d’enquêteurs pour chaque type de phénomènes. Bien que ce groupe offre également de l’aide psychologique, il n’en demeure pas moins que le fait de demander de l’argent à une personne en détresse semble moins désintéressé et les intervenants n’ayant pas une très haute opinion des chasseurs de fantômes y voient une preuve de cupidité. De plus, comme l’argent entre en ligne de compte, l’enquêteur peut être enclin à trouver des fantômes où il n’y en a pas pour mériter son salaire.

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