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Une approche à base de variantes de prononciation

6.1 Réalisation des voyelles nasales

La prononciation des voyelles nasales a fait l’objet d’études aussi bien pour le fran-çais standard [Martinet, 1945; Malécot et Lindsay, 1976; Malderez, 1991; Léon, 1993; Delvaux et al., 2002; Montagu, 2004] que pour le français du Sud [Martinet, 1945; Walter, 1982; Thomas, 1991; Binisti et Gasquet-Cyrus, 2003; Clairet, 2005]. Les locuteurs méridionaux sont connus pour prononcer fréquemment des voyelles partiellement, voir

to-talement dénasalisées et suivies d’une consonne nasale. Cet appendice nasal s’articule au même lieu que la consonne suivante.

L’étude des voyelles nasales est complexe du point de vue acoustique. Ces voyelles se prêtent mal à l’analyse formantique : le couplage du conduit nasal et du conduit oral fait apparaître des paires de formants et anti-formants qui rendent difficile la détection du for-mant oral. De plus, les effets de la nasalité sont variables selon la voyelle et le locuteur. L’alignement automatique, qui permet d’aller au-delà du simple phonème et d’apparier par exemple /˜A/ et [a]+[n], est donc particulièrement bien adapté à l’examen des voyelles na-sales, exclues de l’analyse menée au chapitre 4.

6.1.1 Variantes proposées

Nous voulons proposer pour les voyelles nasales des variantes éventuellement dénasalisées, avec un appendice consonantique nasal optionnel. Il convient de préciser que, dans notre système d’alignement pour le français, nous ne disposons pas de modèles acoustiques pour le /N/ et le / ˜œ/, or la question de leur utilisation peut se poser ici.

Nous avons mené une première expérience en introduisant des xénophones (phonèmes issus du système phonémique d’une autre langue) pour /N/. Mais que ce soit en utilisant un /N/ provenant de modèles acoustiques anglais ou allemands, nous n’avons pas observé de diffé-rence notable entre les variétés standard et Sud, ce qui nous a amenée à ne pas conserver le /N/ dans la suite de ce travail. La neutralisation de l’opposition entre / ˜œ/ et /˜E/ dans des paires minimales comme brun∼brin est aujourd’hui bien accomplie à Paris [Malécot et Lindsay, 1976] ; mais leur distinction peut être conservée dans le Sud, en Belgique et en Suisse. Nous avons donc autorisé les variantes [œ] + appendice nasal dans les mots orthographiés avec ‘un’ ou ‘um’ : une vingtaine d’items comme un, lundi ou parfums. Nous autorisons ainsi pour le mot faim les prononciations [f˜E, f˜En, fEn] tandis que pour le mot lundi nous autori-sons [l˜Edi, l˜Endi, lœndi]. En laissant libre les variantes avec [E]/[œ] + appendice nasal pour les /˜E/ et les / ˜œ/ sous-jacents, [Boula de Mareüil et al., 2009] ont vérifié que les dénasalisa-tions les plus fréquentes des /˜E/ et / ˜œ/ sont bien /˜E/→[En] et / ˜œ/→[œn] pour des variétés du nord et du sud de la France.

voyelles nasales

/˜A/→[˜A]∼[˜An]∼[˜Am]∼[an]∼[am] /˜E/→[˜E]∼[˜En]∼[˜Em]∼[En]∼[Em] /œ/→[˜E]∼[˜En]∼[˜Em]∼[œn]∼[œm]˜

/˜O/→[˜O]∼[˜On]∼[˜Om]∼[On]∼[Om]

TABLEAU 6.1. Variantes de prononciation autorisées pour les voyelles

nasales.

Nous avons donc considéré quatre voyelles nasales, pour lesquelles nous avons autorisé des variantes éventuellement dénasalisées, avec un appendice consonantique nasal : les va-riantes sont données dans le tableau 6.1. Dans tous les cas, les vava-riantes avec [m] sont restreintes à un contexte droit en p ou b.

6.1.2 Résultats

Le tableau 6.2 montre le pourcentage de voyelles nasales alignées (en lecture et en parole spontanée) comme voyelle nasale, voyelle nasale avec appendice consonantique ou voyelle orale avec appendice consonantique. Deux comportements apparaissent : les locuteurs du sud de la France réalisent davantage d’appendices nasaux, tandis que les autres locuteurs n’en réalisent que très peu. Quand ils prononcent un appendice consonantique nasal, soit dans un peu moins de la moitié des cas, les locuteurs méridionaux réalisent plus souvent une voyelle orale qu’une voyelle nasale. Mis à part dans le Sud, pour lequel les résul-tats sont comparables quel que soit le style de parole, les locuteurs ont tendance à réaliser plus d’appendices nasaux en parole spontanée qu’en lecture. En lecture, de 90 à 94 % des voyelles nasales sont réalisées de manière canonique en français non-méridional ; en parole spontanée, de 85 à 89 % sont dans ce cas. Rappelons que nous englobons sous l’étiquette « spontané » des entretiens guidés et des conversations libres.

#occ %VN %VN+CN %VO+CN le ctu re Standard 9 546 92 6 3 Sud 8 896 55 12 33 Alsace 2 072 90 4 5 Belgique 6 500 93 3 4 Suisse 2 126 94 3 3 sp o n ta n é Standard 44 156 85 9 6 Sud 29 582 56 11 33 Alsace 5 502 89 4 7 Belgique 21 504 88 5 7 Suisse 9 910 88 7 5

TABLEAU6.2. Pourcentage de voyelles nasales réalisées comme voyelle

nasale (VN), voyelle nasale + appendice consonantique nasal (VN+CN), voyelle orale + appendice consonantique nasal (VO+CN) dans le corpus PFC.

La réalisation des voyelles nasales est particulièrement intéressante pour les locuteurs du sud de la France, c’est pourquoi nous avons voulu étudier le comportement propre de chacun des points d’enquête réunis dans la variété Sud du tableau 6.2. La réalisation des voyelles nasales détaillée pour chaque point d’enquête de la variété Sud apparaît dans le tableau 6.3. Nous observons une différence de comportement entre Marseille et Biarritz d’une part, Douzens, Lacaune et Rodez d’autre part. Les deux premiers points d’enquête se comportent plus conformément au standard que les trois derniers. Cette différence pourrait s’expliquer par le substrat dialectal occitan (pour Douzens, Lacaune et Rodez), mais également par une opposition urbain/rural (la grande ville de Marseille face au petit village de Douzens par exemple). Il faut également rappeler que nous n’avons analysé que la lecture du texte pour le point d’enquête de Marseille.

Les résultats de l’alignement du corpus CTS, présentés dans le tableau 6.4, vont dans le même sens : dans le Sud, les locuteurs réalisent plus d’appendices nasaux qu’ailleurs. L’écart entre les variétés est toutefois un peu moins marqué que dans le corpus PFC, comme

#occ %VN %VN+CN %VO+CN Biarritz 5 198 72 12 15 Douzens 5 097 45 10 44 Lacaune 3 120 49 13 37 Marseille (lecture) 867 78 10 10 Rodez 4 956 48 12 39

TABLEAU6.3. Pourcentage de voyelles nasales réalisées comme voyelle

nasale (VN), voyelle nasale + appendice consonantique nasal (VN+CN), voyelle orale + appendice consonantique nasal (VO+CN) — détail pour les points d’enquête du Sud dans le corpus PFC, tous styles de parole confondus.

précédemment pour d’autres traits de prononciation : dans le Sud, seules un peu plus de 20 % des occurrences comportent une consonne nasale, et dans ce cas la répartition entre voyelle nasale et orale est équilibrée. Les résultats pour le français standard et l’Alsace sont quasi identiques, avec 90 % de voyelles nasales réalisées sans appendice consonantique.

#occ %VN %VN+CN %VO+CN

Standard 52 015 90 7 2

Sud 30 192 77 12 11

Alsace 6 225 90 7 3

TABLEAU6.4. Pourcentage de voyelles nasales réalisées comme voyelle

nasale (VN), voyelle nasale + appendice consonantique nasal (VN+CN), voyelle orale + appendice consonantique nasal (VO+CN) dans le corpus CTS.

En conclusion, la réalisation des voyelles nasales semble être un indice robuste permettant de distinguer le sud de la France, où un appendice consonantique nasal est produit plus souvent qu’ailleurs, et ce pour nos deux corpus.

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