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Une approche à base de variantes de prononciation

6.2 Réalisation du schwa

Un autre trait caractéristiques des accents du sud de la France est bien décrit dans la lit-térature : il s’agit de la réalisation de nombreux schwas [Durand et al., 1987]. En français standard, il a été montré que le style informel favorise l’élision du schwa [Boula de Mareüil, 2007] ce que nous pourrons vérifier sur les deux styles de parole du corpus PFC. Dans le système d’alignement que nous avons utilisé, les mêmes modèles acoustiques sont associés au /œ/ et au /@/ (cf. chapitre 2, p. 31).

6.2.1 Variantes proposées

Nous avons autorisé certains schwas à être optionnels dans le dictionnaire de prononciation. Les schwas concernés sont les schwas des monosyllabes (ce, que. . . ), ceux qui apparaissent en première syllabe de polysyllabes en consonne + schwa (cheveux), ceux qui apparaissent en syllabe intérieure de polysyllabe à condition que la règle des trois consonnes soit res-pectée (le schwa est optionnel par exemple dans samedi mais pas dans vendredi) et ceux qui apparaissent en fin de polysyllabe. Quand le schwa est maintenu, il peut être prononcé de manière canonique [@], ou être postériorisé en [O] voir en [o]. Par exemple, pour le mot

relier, les prononciations [Klje, K@lje, KOlje, Kolje] sont autorisées.

Le taux de schwas maintenus obtenu automatiquement a été comparé avec une annotation manuelle réalisée par des linguistes dans le cadre du projet PFC sur un sous-ensemble de nos locuteurs : une corrélation de 0,8 pour le taux de maintien du schwa par locuteur a été obtenue entre les deux méthodes, pour un total de plus de 100 locuteurs [Boula de Mareüil

et al., 2009]. Cette bonne corrélation renforce la validité des résultats obtenus en utilisant

l’alignement automatique.

6.2.2 Résultats

Les pourcentages de schwas élidés et réalisés comme [@], [O] ou [o] sont présentés dans le tableau 6.5 pour le corpus PFC. Mise à part la variété Sud, le comportement des locuteurs est assez uniforme : un schwa sur deux est élidé en lecture, et presque trois sur quatre en parole spontanée. Cette observation est conforme à l’hypothèse selon laquelle les schwas tombent plus facilement en parole spontanée. Quand le schwa est réalisé, il est souvent prononcé [@] (dans un peu plus de 40 % des cas — élision incluse — en lecture, et de 20 % en parole spontanée). Peu d’occurrences sont postériorisées. Les locuteurs du Sud prononcent plus de schwas que les autres. En lecture, le cas le plus fréquent est la réalisation [@] et non l’élision comme c’est le cas partout ailleurs ; le taux d’élision est pour les deux styles de parole moins élevé que dans les autres variétés de français. Les schwas réalisés par les locuteurs méridionaux sont, en proportion, plus nombreux, quelle que soit la prononciation.

Les résultats détaillés pour les points d’enquête du sud de la France sont présentés dans le tableau 6.6. Les deux groupes qui apparaissent sont un peu différents de ceux qui s’étaient formés pour les voyelles nasales : d’une part les locuteurs de Biarritz et de Rodez, qui élident un peu plus de schwas ; et d’autre part ceux de Douzens et de Lacaune, qui en élident moins. Marseille est à considérer à part, la lecture étant le seul style représenté pour ce point d’enquête : il est normal que les schwas réalisés soient plus nombreux. Mais que ce soit en matière de voyelles nasales ou de schwas, les deux points d’enquête du Languedoc (Douzens et Lacaune) apparaissent les plus conservateurs.

Les données du corpus CTS ont été alignées avec les mêmes variantes de prononciation ; les résultats sont donnés dans le tableau 6.7. Le comportement observé sur le corpus PFC se retrouve sur ces données : deux tiers des schwas tombent pour les locuteurs d’Alsace et de la variété standard, contre seulement moins d’un sur deux pour les locuteurs du Sud. L’écart entre variétés (13 %) est équivalent à celui mesuré sur le corpus PFC en lecture, mais moins important que celui mesuré sur la parole spontanée (environ 20 %), bien que le corpus CTS

#occ %élision %[@] %[O] %[o] le ctu re Standard 6 761 52 41 4 4 Sud 6 214 41 49 6 6 Alsace 1 560 53 42 2 3 Belgique 4 844 53 42 3 2 Suisse 1 635 56 41 3 1 sp o n ta n é Standard 20 098 73 21 2 4 Sud 15 757 53 35 5 7 Alsace 3 241 69 26 3 2 Belgique 12 247 75 20 2 3 Suisse 5 644 76 21 2 2

TABLEAU 6.5. Pourcentage de schwas élidés et réalisés comme [@], [O]

ou [o] dans le corpus PFC.

#occ %élision %[@] %[O] %[o]

Biarritz 5 250 57 34 5 5

Douzens 6 577 45 42 6 6

Lacaune 3 938 43 43 5 9

Marseille (lecture) 1 258 46 44 5 5

Rodez 4 944 54 34 4 7

TABLEAU 6.6. Pourcentage de schwas élidés et réalisés comme [@], [O]

ou [o] — détail pour les points d’enquête du Sud dans le corpus PFC, tous styles de parole confondus.

soit constitué de conversations informelles. L’origine moins controlée des locuteurs de ce corpus pourrait expliquer cette différence.

#occ %élision %[@] %[O] %[o]

Standard 66 713 60 33 4 3

Sud 40 924 47 42 6 6

Alsace 8 808 60 33 4 3

TABLEAU 6.7. Pourcentage de schwas élidés et réalisés comme [@], [O]

ou [o] dans le corpus CTS.

Comme la réalisation des voyelles nasales, la réalisation du schwa révèle donc un comporte-ment particulier pour les locuteurs de sud de la France, ce sur nos deux corpus. Nous allons la comparer à celle du /O/ dans ce qui suit.

6.3 Réalisation du /O/

Nous avons déjà étudié le timbre du /O/ à travers des mesures de formants dans le chapitre 4. L’étude que nous proposons ici, à travers des variantes d’alignement, aborde la question

d’une autre manière. Nous avons mesuré une antériorisation de ce phonème, notamment pour la variété standard. Les locuteurs du Sud avaient plutôt tendance à rapprocher les timbres de /O/ et /o/. Nous allons examiner si ces phénomènes se confirment également dans le choix des variantes. Cette approche est complémentaire de l’extraction de formants car elle manipule des classes symboliques qui sont intéressantes pour des interprétations catégorielles en phonologie.

6.3.1 Variantes proposées

Nous avons autorisé dans le dictionnaire de prononciation trois variantes : une réalisation canonique [O], une variante antériorisée [œ] ainsi qu’une prononciation [o] qui pourra rendre compte de la neutralisation de l’opposition phonologique /o/∼/O/ dans le Sud [Durand et Lyche, 2004]. Pour le mot sol, par exemple, les réalisations suivantes sont autorisées :[sOl, sœl, sol].

6.3.2 Résultats

D’après les résultats présentés dans le tableau 6.8 pour le corpus PFC, la prononciation ca-nonique [O] est la plus souvent choisie pour les locuteurs de la variété standard, de Belgique et de Suisse. Cette réalisation est un peu plus fréquente en lecture qu’en parole spontanée où la prononciation est moins surveillée. Ce sont les Suisses qui réalisent la plus forte pro-portion de [O] : 3/4 des occurrences en lecture et plus de la moitié en parole spontanée. Quand ils n’adoptent pas cette prononciation, ils ont tendance à antérioriser en prononçant [œ]. Les Belges antériorisent le /O/ en lecture et vont vers le [o] en spontané. Les locuteurs standard réalisent à peu près autant de [o] et de [œ] en lecture, et antériorisent davantage en parole spontanée, ce qui est cohérent avec les mesures de formants.

#occ %[O] %[œ] %[o] le ctu re Standard 1 339 55 21 24 Sud 1 355 35 5 61 Alsace 319 28 10 62 Belgique 986 50 20 7 Suisse 323 73 20 7 sp o n ta n é Standard 4 756 40 34 26 Sud 3 698 39 13 49 Alsace 749 38 21 41 Belgique 2 617 37 21 33 Suisse 1 326 55 31 14

TABLEAU6.8. Pourcentage de /O/ alignés comme [O], [œ] ou [o] pour les

locuteurs du corpus PFC.

En Alsace et dans le Sud, la prononciation la plus fréquente est [o], que ce soit en lecture ou en parole spontanée. Ce n’est pas surprenant pour les locuteurs du Sud, qui ont tendance à neutraliser l’opposition phonologique /o/∼/O/ ; ce phénomène apparaissait également sur les

triangles vocaliques. Les réalisations des Alsaciens sont difficiles à mettre en relation avec les mesures de formants, étant donné que ces derniers n’étaient pas aisément comparables entre l’Alsace et les autres points d’enquête (cf. chapitre 4). Pour autant, la prononciation [o] n’est pas aberrante en Alsace : [Walter, 1982] mentionne des opposition/O/∼/o/ fluctuantes chez certains de ses locuteurs alsaciens.

Comme l’Alsace ne constitue qu’un seul point d’enquête, nous ne pouvons pas détailler les résultats de cette variété. En revanche, nous pouvons le faire pour le Sud. Ces résultats détaillés sont présentés dans le tableau 6.9 : nous remarquons que les locuteurs de Lacaune réalisent une forte proportion de /O/ comme [o]. Viennent ensuite Marseille et Rodez, et enfin, les locuteurs de Biarritz et Douzens, qui réalisent le plus de [O] canoniques. La réali-sation [o] reste la plus fréquente pour les cinq points d’enquête méridionaux.

#occ %[O] %[œ] %[o] Biarritz 1 135 45 9 47 Douzens 1 498 43 11 46 Lacaune 927 24 11 65 Marseille (lecture) 283 36 6 58 Rodez 1 209 35 12 53

TABLEAU6.9. Pourcentage de /O/ alignés comme [O], [œ] ou [o] — détail

pour les points d’enquête du Sud dans le corpus PFC.

Les mêmes variantes ont été appliquées au corpus CTS (tableau 6.10). Les réalisations observées pour les trois variétés présentes dans le corpus sont très proches. Si le taux de [O] est effectivement plus bas en Alsace et dans le sud, et le taux de [o] plus élevé pour ces mêmes régions, les différences ne sont que de quelques pourcents. Sans aller dans le sens inverse des tendances du corpus PFC, ces résultats ne les renforcent que peu.

#occ %[O] %[œ] %[o] Standard 13 066 75 9 14

Sud 8 151 71 7 22

Alsace 1 826 74 7 19

TABLEAU 6.10. Pourcentage de /O/ alignés comme [O], [œ] ou [o] pour

les locuteurs du corpus CTS.

Les locuteurs du sud de la France et d’Alsace du corpus PFC ont tendance à préférer la variante [o], tandis que comparativement on observe davantage de [œ] en français standard. Cette tendance ne se retrouve que peu dans le corpus CTS. Pourtant, les triangles vocaliques montraient que les locuteurs des variétés Sud et Alsace antériorisaient moins le /O/ que ceux du français standard (voir chapitre 4). Dans le cas présent, ce sont les mesures acoustiques qui mettent en avant des différences plus marquées entre variétés.

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