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C. Les allocations budgétaires

4. Réalisation progressive des droits de l’homme

L’obligation de réaliser progressivement les droits de l’homme signifie qu’un gouvernement doit consacrer des fonds aux domaines liés aux droits économiques, sociaux et culturels de manière à garantir la réalisation progressive des droits de l’homme (lorsque la réalisation des droits dépend de la disponibilité des ressources).

Réalisation progressive du droit de l’enfant à un niveau de vie suffisant

En 1998, l’Afrique du Sud a introduit une allocation de soutien à l’enfant. Il s’agissait essentiellement du paiement de la sécurité sociale destiné, notamment, à garantir un niveau de vie suffisant aux enfants les plus pauvres. Le montant mensuel initial de l’allocation était de 100  rand par enfant admissible jusqu’à l’âge de 7  ans. En 2000, deux groupes de la société civile, à savoir l’Institut pour la démocratie en Afrique du Sud et l’Institut de l’enfance, ont conclu qu’en raison de l’inflation, la valeur de l’allocation avait chuté en valeur réelle depuis son introduction en 1998. Cet argument a été avancé dans diverses observations présentées devant les ministères et comités législatifs

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concernés en 2000 et 2001. En juillet 2001, l’allocation est passée à 110 rand et, tous les ans jusqu’en 2010, son montant a augmenté à un taux égal à l’inflation ou légèrement supérieur.

La société civile a à maintes reprises utilisé l’analyse budgétaire pour démontrer que les ressources publiques existantes étaient suffisantes pour étendre l’allocation de soutien à l’enfant aux enfants et aux jeunes jusqu’à l’âge de 18 ans, ce qui pourrait faciliter la réalisation progressive de leurs droits. Les crédits budgétaires consacrés à cette allocation sont passés de 2,4  milliards de rand (315  millions de dollars des États-Unis) à 14,4 milliards de rand (1,89 milliard de dollars) entre 2001 et 2008, et le nombre de bénéficiaires est passé de 1,9 million en 2001 à plus de 9 millions en 2009, notamment du fait que l’âge d’admission à la subvention est passé de 7 ans lors de son lancement à 18 ans à compter de 201257.

Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a indiqué que l’obligation des États d’améliorer continuellement les conditions propices à la réalisation des droits de l’homme signifiait que les ressources allouées à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels devaient augmenter proportionnellement à toute augmentation générale des ressources58. S’agissant du budget de l’État, cela suppose que les allocations (et les dépenses) dans les domaines liés aux droits économiques et sociaux doivent augmenter au moins au même rythme que le budget global. En d’autres termes, si le budget global augmente de 5 % d’une année sur l’autre, le financement de domaines essentiels comme l’éducation, la santé et l’eau doit augmenter de 5 % ou plus.

Les augmentations budgétaires témoignent d’un véritable engagement

Entre 2000 et 2010, l’Afrique du Sud a connu d’importants problèmes de santé, notamment une épidémie de VIH/sida et des taux très élevés de mortalité infantile et maternelle. Pendant cette période, le budget de la santé du pays n’avait pas atteint l’objectif des 15 % défini dans

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L’augmentation du budget est indissociable de la régression

Une étude réalisée en 2010 par la Queen’s University Belfast (voir sect.  A) a détaillé l’élaboration d’une politique du Gouvernement du Royaume-Uni favorisant la propriété et non la location, ainsi que les partenariats public-privé pour la construction et l’entretien de logements sociaux. Après ce changement de politique, entre 2003 et 2008 (à l’exception d’une année), l’Irlande du Nord a augmenté le financement des logements et équipements collectifs. Toutefois, pendant la Déclaration d’Abuja (sur la santé comme part des budgets publics en Afrique). Malgré ce manquement, la santé était manifestement une priorité tant pour les autorités nationales que provinciales. La preuve en est qu’à mesure que le budget global et consolidé (national et provincial) du pays augmentait, les crédits alloués au secteur de la santé augmentaient également. Le plus frappant est que, pendant les deux périodes au cours desquelles l’économie globale a régressé, le gouvernement, à l’échelle tant nationale que provinciale, a eu recours au budget pour contrer la récession. L’augmentation du budget de la santé a alors progressé au même rythme que l’augmentation du budget global. Il est particulièrement important de le souligner, dans la mesure où c’est généralement lors d’une récession économique que les services publics sont les plus nécessaires59.

Pour déterminer si un gouvernement réalise progressivement un droit, il convient, de toute évidence, d’analyser un ensemble complexe de facteurs, et pas seulement le budget60. L’Institut d’études socioéconomiques, qui appartient à la société civile brésilienne, a souligné à quel point il était important que le gouvernement définisse des objectifs permettant la réalisation des droits de l’homme (énoncés dans les politiques et les plans) et des indicateurs pour évaluer la réalisation de ces droits61. Le rôle et la place centrale du budget de l’État dans un tel processus varieront non seulement d’un pays à l’autre, mais d’une situation à une autre au sein d’un même pays. Une augmentation du budget dans un domaine qui devrait permettre de faire progresser un droit donné n’aboutira pas systématiquement à une meilleure réalisation de ce droit.

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Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a également indiqué que conformément à l’obligation des États d’éviter des mesures régressives, il ne devait pas y avoir de réduction injustifiée des dépenses publiques consacrées à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels en l’absence de mesures compensatoires suffisantes pour protéger les personnes susceptibles d’être touchées par les réductions. Cela ne signifie pas qu’une fois introduit, un programme ou un poste budgétaire ne peut jamais être réduit ou supprimé. En effet, un programme peut ne plus être nécessaire et, en pareil cas, la suppression du budget correspondant ne constitue pas une mesure régressive. L’obligation de non-régression impose cependant au gouvernement de reconnaître que la réduction des allocations (en particulier celles qui sont liées aux dépenses renouvelables) limite généralement l’exercice de leurs droits par certaines personnes. Si dans une telle situation, le gouvernement ne prévoit pas de programme alternatif ou de moyen de compenser tout effet négatif dû à la réduction des allocations, il ne respecte pas son obligation de non-régression.

La nécessité de justifier les réductions budgétaires

En 2007, le gouvernement local de l’État du Maharashtra en Inde, conjointement avec un certain nombre de groupes de la société civile, a lancé un programme de conseils en matière de santé visant à améliorer les services de santé pour les femmes enceintes et les enfants à Melghat, une région tribale de l’État à faible revenu. Deux ans plus tard, une évaluation indépendante du programme a conclu qu’il avait permis des améliorations qualitatives et quantitatives des la même période, deux indicateurs révélateurs de lacunes dans le domaine du logement − les listes d’attente pour les logements sociaux et le nombre de ménages connaissant des difficultés de logement (risquant de se retrouver sans logement) − ont augmenté. En d’autres termes, malgré l’augmentation des dépenses pour les logements sociaux, le Gouvernement de l’Irlande du Nord n’avait pas obtenu de résultats conformes à son obligation de réaliser progressivement le droit au logement62.

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Dans des situations de recul économique, les gouvernements doivent veiller à procéder aux réductions budgétaires nécessaires pour faire en sorte, à titre prioritaire, que les plus vulnérables soient protégés64.

services de santé, notamment une augmentation de 13 % du nombre de patients bénéficiant de services en ambulatoire et en interne, alors que les dépenses avaient augmenté de moins de 5 %. L’évaluation a également constaté des améliorations dans les systèmes de renvois, les services d’ambulance et la qualité de l’alimentation pour les nourrissons souffrant de malnutrition grave. Malgré ces améliorations, les autorités ont mis fin au programme début 2010 sans aucune explication. Un groupe de la société civile a saisi la Haute Cour de Mumbai, invoquant une sous-utilisation des allocations dans des secteurs clefs en matière de soins de santé, l’insuffisance des fonds alloués au programme et le faible niveau de dépenses à Melghat par rapport à d’autres districts.

En décembre 2010, la Haute Cour a tenu une audience pour examiner le dossier et a ordonné le maintien du programme63.

Les réductions budgétaires touchent plus durement les plus vulnérables

Le budget de la santé de la République d’Irlande a été réduit de 800 millions d’euros (5 %) en 2010, de 746 millions d’euros (5 %) en 2011 et de 543  millions d’euros (environ 4  %) en 2012. Seuls 10  % des ménages appartenant à la population aux revenus les plus faibles disposent d’une assurance médicale privée, tandis que 55  % des ménages aux revenus plus élevés en sont dotés. Les soins de santé financés par le Gouvernement ayant été réduits en réponse aux contraintes budgétaires, les personnes qui dépendent davantage des services fournis par le Gouvernement risquent d’être plus durement touchées. Ainsi, les mesures régressives peuvent en outre être discriminatoires, ce qui est souvent le cas. En Irlande, les groupes vulnérables comme la communauté des gens du voyage, les demandeurs d’asile et les personnes handicapées, qui rencontrent déjà des difficultés d’accès à des services de santé de qualité, risquaient d’être plus durement touchés65.

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Le Portugal offre l’exemple d’un gouvernement prudent au moment de procéder à des réductions.

Faire en sorte d’éviter la régression

La Constitution portugaise prévoit un droit universel à la sécurité sociale. Pendant plusieurs années, le Gouvernement a versé une allocation familiale à toutes les familles, à savoir une prestation forfaitaire en fonction du nombre d’enfants dans la famille. Les allocations pour les anciens salariés provenaient d’un système de cotisations financé par les employeurs et les employés. Les fonds issus de la fiscalité générale couvraient les allocations en faveur des personnes qui n’avaient jamais cotisé au système susmentionné ou, si elles avaient cotisé, ne remplissaient pas les conditions d’accès aux allocations. Les enfants et les jeunes bénéficiaient d’une allocation pour enfant indépendamment de leur situation.

En 1997, en réponse à des contraintes fiscales partiellement dues à une baisse des cotisations au régime de sécurité sociale en raison du chômage, du sous-emploi et de changements démographiques, le Gouvernement a décidé qu’il était nécessaire de modifier le programme et d’accorder la priorité aux familles ayant le plus d’enfants. Les familles ont été classées par groupe en fonction de leurs ressources.

Dès lors que les ressources d’une famille augmentaient, le montant de ses allocations diminuait. Certaines familles dont les ressources étaient élevées n’avaient plus le droit de recevoir les allocations.

Le Gouvernement ne jugeait pas cette approche régressive. Il l’estimait nécessaire compte tenu du budget plus serré. L’échelle variable avait pour objectif de garantir que chacun continuerait de disposer du revenu nécessaire pour réaliser ses droits et le Gouvernement avait accordé la priorité aux plus vulnérables66.

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Allocations ni efficaces ni appropriées

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L’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit que «  [t]oute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine  ». Malgré cela, dans un rapport présenté en mars 2013, le Bureau conjoint des Nations Unies pour les droits de l’homme en République démocratique du Congo a expliqué que ce droit était exercé de manière ni efficace ni appropriée. Il fournissait à l’appui de cet argument des précisions sur le budget de l’État :

«  En premier lieu, […] la politique budgétaire du gouvernement concernant l’administration pénitentiaire ces dernières années apparaît pour le moins lacunaire ou incohérente. […] En examinant la part allouée à l’administration pénitentiaire dans les lois des finances portant budget de l’État pour 2009, 2010 et 2011, on s’aperçoit que seuls les 11 prisons centrales et trois camps de détention bénéficient d’un budget régulier. Il apparaît donc que les prisons de district, les prisons urbaines, les prisons de territoire, les prisons annexes et les autres camps de détention n’ont pas de budget alloué et reçoivent, dans le meilleur des cas, de l’argent de l’État (au niveau central ou provincial) de manière sporadique. […]

5. Des allocations voulues, efficaces et appropriées