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La jurisprudence communautaire va devoir tenir compte de ces pressions, afin d’éviter que la primauté du droit communautaire ne soit mise en danger. Elle le fera à partir de 1969. Cette année-là, la

56 Arrêt du 29 mai 1974, Internationale Handelsgesellschaft/ EVGF, Solange I, BverfGE, 37, p.271, 279 et s. / Version française de l’arrêt, in RTDE, 23, 1987, p.537 et s. Notons qu’une ordonnance de 1979 (BverfGE du 25 juillet 1979, Steinike und Weinlig/ Ernährung und Forstwirtschaft, 187, p.202) apporta une précision quant au champ d’application de la jurisprudence Solange I. Interrogée sur la conformité à la Loi fondamentale des articles 92 à 94 du Traité CEE dans l’interprétation qui en avait été faite par la CJCE, la Cour constitutionnelle allemande s’est déclarée incompétente pour constater l’inapplicabilité en Allemagne du droit communautaire primaire.

57 La raison pour laquelle on appelle cela la jurisprudence “Solange“

(tant que), est simplement que la Cour constitutionnelle fédérale a choisi la formule suivante : “Tant que cela ne change pas, la CCF va continuer à exercer sa compétence“.

Cour, dans un arrêt Stauder, constate que “les droits fondamentaux font partie des principes généraux dont (... elle) assure le respect (...)“58. La mise en cause de l’effectivité de l‘application du droit communautaire par les Etats membres a forcé le juge communautaire à prendre les droits fondamentaux en compte afin d’éviter tout conflit avec ceux-ci. La jurisprudence ultérieure a confirmé cette orientation, en la développant. En outre, une réflexion sur l’élaboration d’un catalogue écrit des droits fondamentaux communautaires et une adhésion de la Communauté à la Convention européenne des droits de l’homme ont été amorcées.59

A partir de l’arrêt Nold (1974), les allusions à la CEDH se sont multipliées en jurisprudence60, ce qui a introduit à côté des constitutions, une référence “internationale“ nouvelle. Dans une déclaration commune, le Parlement européen, le Conseil et la Commission, soulignant l’importance fondamentale qu’ils attachent au respect des droits fondamentaux, ont d’ailleurs officiellement déclaré le 5 avril 1977 que, “dans l’exercice de leurs pouvoirs et en poursuivant les objectifs des Communautés européennes“, ils respecteront ces droits fondamentaux, “tels qu’ils résultent notamment des constitutions des Etats membres, ainsi que de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales“61.

58 Affaire 26/69, Erich Stauder c. ville d’Ulm, le 12 novembre 1969, p.419.

59 Voir notamment le mémorandum de la Commission du 3 mai 1979, Bull. CE, supplément 2/79, projet d’Union européenne du Parlement européen de 1984.

60 Arrêt du 14 mai 1974, Nold / Commission, affaire 4/73, Rec. p.491.

Il est à noter que la référence à la CEDH n’est encore qu’indirecte : “outre les principes généraux du droit et les traditions constitutionnelles communes des Etats, les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les Etats membres ont coopéré ou adhéré peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte dans le cadre du droit communautaire“.

61 J.O. n° C 103 du 27 avril 1977.

Suite à l‘arrêt Solange I, constatant la volonté progressive de la Cour de justice de renforcer la protection des droits fondamentaux, mais concluant sur un ton assez grave à l’absence de protection suffisante au système communautaire, la jurisprudence communautaire a réagi plus fortement dans un arrêt Ruttili, où elle visa explicitement la CEDH62. Notons qu’entre l’arrêt Nold et l’arrêt Ruttili, la France a ratifié la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui poussa certainement la CJCE à invoquer le respect de cette dernière.

Suite à ces avancées dans la jurisprudence communautaire, un changement d’attitude dans le chef de la Cour constitutionnelle allemande a pu alors être dégagé. Après avoir laissé ouverte, dans son arrêt “Vielleicht Beschluss“ de 197963, la question de savoir si les changements politiques et juridiques du droit communautaire pouvaient modifier son approche “Solange I“, la Cour constitutionnelle adopta une nouvelle approche dans son arrêt Solange II.64 : “Aussi longtemps que les Communautés européennes, et notamment la jurisprudence de la CJCE, garantiront d’une manière générale une protection efficace des droits fondamentaux face aux prérogatives de puissance publique des Communautés, cette protection étant comparable pour l’essentiel à la protection des droits fondamentaux que la Loi fondamentale impose à titre de garantie inaliénable et préservant surtout de manière générale la substance des droits fondamentaux, le Bundesverfassungsgericht n’exercera plus sa juridiction à l’égard de l’applicabilité du droit communautaire dérivé invoqué en tant que fondement juridique d’un comportement de tribunaux et d’autorités allemandes sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne et ne procédera donc plus au contrôle de ce droit au regard des droits fondamentaux de la Loi fondamentale ; les saisines effectuées à cette fin en application de l’article 100 §1 de la Loi fondamentale sont dès lors irrecevables“.

62 Arrêt du 28 octobre 1975, Ruttili/ Ministre de l’Intérieur, aff. 36/75, Rec.p.1219.

63 BverfGE, Vielleicht Beschluss, Vol.52, p.187.

64 Cour constitutionnelle, 22 octobre 1986, BverfGE, vol.73, p.339.

Il est à noter que la jurisprudence de la Cour de justice s’est concentrée à combler, par le biais des principes généraux, les lacunes dans la protection juridique des individus contre l’action des institutions communautaires et non contre les Etats membres.

Néanmoins, depuis la fin des années quatre-vingts, la Cour de justice a commencé à ajouter un caractère offensif à sa doctrine des droits fondamentaux, appréciant la compatibilité de certaines règles nationales avec les principes généraux du droit communautaire. La Cour a jugé dans son arrêt Cinéthèque que s’il lui incombait

“d’assurer le respect des droits fondamentaux dans le domaine propre du droit communautaire, il ne lui appartenait pas pour autant d’examiner la compatibilité avec la CEDH, d’une loi nationale qui se situe, comme en l’occurrence, dans un domaine qui relève de l’appréciation du législateur national“.65De même, dans l’affaire Demirel, mettant en cause le droit au regroupement familial des travailleurs turcs, la Cour a déclaré qu’elle “ne peut vérifier la compatibilité avec la CEDH, d’une loi nationale qui ne se situe pas dans le cadre du droit communautaire“.66 La Cour a rappelé et précisé cette limite dans l’affaire ERT. Ainsi aucun examen des mesures nationales se situant en dehors du droit communautaire n’est possible, en revanche, les mesures nationales appartenant à la sphère, au champ, au domaine ou à l’espace de la Communauté67 doivent être conformes aux droits fondamentaux. L’hypothèse visée est celle où un Etat agit pour et / ou pour le compte de la Communauté et met en œuvre une politique de la Communauté et, lorsqu’il invoque une dérogation aux libertés fondamentales du marché. Ainsi, dans l’arrêt ERT, la Cour de justice de Luxembourg a souligné que “... dès lors qu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application du droit communautaire, la Cour, saisie à titre préjudiciel, doit fournir tous les éléments d’interprétation

65 CJCE, Soc. Cinéthèque et a. / Fédération nationale des cinémas français, arrêt du 11 juill. 1985, aff. jtes 60/84 et 61/84, Rec., 2605.

66 CJCE, Demirel/Ville de Schwabisch Gmuend, arrêt du 30 sept. 1987, aff. 12/86, Rec., p.3719.

67 Voir J.H.H., Weiler et N., Lockhart, “Taking Rights Seriously : The European Court and its Fundamental Rights Jurisprudence“, 32, CML Rev., 1995, p.62.

nécessaires à l’appréciation, par la juridiction nationale, de la conformité de cette réglementation avec les droits fondamentaux dont la Cour assure le respect, tels qu’ils résultent, en particulier, de la CEDH“68.

Chapitre IV : Deux apports essentiels à la protection des droits