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Les réglementations somptuaires concernant le costume en Provence

1. Le luxe : définition et historiographie

1.2. Les règlements ecclésiastiques

Si les motifs invoqués pour l’établissement des réglementations sur le costume civil sont à la fois économiques et moraux, ceux formulés pour encadrer la tenue des clercs – dans les préambules lorsqu’ils existent ou dans les articles eux-mêmes – sont liés à la conception d’appartenance à un état et une dignité particulière. Du fait de la nature transnationale de la hiérarchie de l’Église, il n’est pas envisageable de séparer les statuts adoptés dans les conciles régionaux et synodes de ceux formulés lors des grands conciles, tels ceux du Latran, ou des lignes de conduite exprimées dans les décrétales papales. Les conciles sont des assemblées d’évêques, d’archevêques et théologiens convoqués pour statuer sur des questions de dogme, de liturgie, de morale ou de discipline. Quant aux synodes, ce sont des réunions d’ecclésiastiques appelés par l’évêque ou l’archevêque pour délibérer sur les affaires du diocèse ou de la province. Il y est souvent retranscrit les décisions des conciles. Certaines communautés religieuses dépendantes des évêques, archevêques ou directement du pape ont

212 Sur le discours moraliste des clercs, se reporter à Blanc 1989 et Zemon-Davis et Farge (dir.) 1991,

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également la faculté de statuer. Il en est ainsi pour l’abbaye de Lérins et ses prieurés qui, en 1353, règlementent la tenue des religieux215.

Distinguer les vêtements et ornements portés hors de l’enceinte de l’église, de ceux nécessaires à l’office divin peut paraître évident. Cependant, cette séparation n’est pas systématiquement réalisée dans les règlements ecclésiastiques provençaux. Régulièrement, les prescriptions ne spécifient pas le type de costume visé, et règlementent la tenue des clercs en général. Parfois, il est précisé que cette dernière est valable dans et hors de l’église : quod nullus ecclesiasticus de cetero audeat vel presumat in ecclesia vel locis publicis216. Certains canons spécifiques existent pour les accessoires textiles et vêtements du culte mais ils sont généralement peu précis et identiques d’un statut à l’autre. Ainsi, la même requête se retrouve dans les actes du synode d’Avignon de 1369217 et de 1509218 : Item, quod altaria, vestimenta, mappas et alia ecclesiastica ornamenta preparata, honesta et mundata teneatis...

De même, les canons peuvent concerner une partie des clercs, les chanoines, les prêtres, les clercs mineurs, etc. Les articles contenant des interdits sur les accessoires du costume s’adressent généralement à tous. Seules exceptions, dans le cadre du vêtement liturgique, la bague et l’agrafe de vêtement sont réservées à une partie du clergé.

D’une manière générale, dans les prescriptions de la première partie du Moyen Âge, le costume clérical est fondé sur la tradition et la distinction d’avec celui des laïcs. À partir du milieu du XIe siècle, suite à la réforme grégorienne, il devient la manifestation de l’honnêteté cléricale. Ceci intervient lors des prémices d’un renouveau économique qui accroît les biens temporels des clercs219. Les décrets s’emploient alors à stigmatiser le luxe et les usages mondains220, aveux de lascivité221, et contraires à l’idéal de tempérance qui doit guider l’homme d’église dans son âme et son comportement. Son paraître doit prêcher la sainteté et plaire à Dieu et aux Hommes comme l’annonce l’article IV du concile du Latran II, en

215 Morins 1905, p. 388.

216 Synode d’Arles, 1463 (Albanes et Chevalier 1901, pièce 3332).

217 Albanes et Chevalier 1901, pièce 2890.

218 Mansi et al. 1696-1902, t. 32, col. 542, canon XII.

219 Trichet 1986, p. 51.

220 Ceci entraîne par exemple l’interdiction des parfums au concile d’Aix-en-Provence de 1585, ut ecclesiasticos homines decet Unguentis, et omnibus odorum illecebrit abstineant (Mansi et al. 1696-1902, t. 32, col. 548).

221 Statuts de l’Église de Marseille : 27 mars 1230 : Probibemus eciam ne anulos portent in digitis, neque in indumentis botonos argenteos (sic) vel cristallinos, vel alterius modi, in quibus lascivia denotetur (sic) (Albanes et Chevalier 1899, pièce 246) ; 21 août 1271 : Prohibemus etiam ne annulos portent in digitis, nec in indumentis botonos argenteos, nec etiam cristallinos, aut alios in quibus lacivia valeat denotari (Albanes et Chevalier 1899, pièce 254)

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1139222. Cependant, c’est une lettre de Grégoire VIII adressée à tous les évêques en 1187223, qui va initier toute une série de règlements conciliaires et synodaux, dont la thématique susdite va déterminer la teneur. Peu de temps après, en 1209, le canon XVIII du concile d’Avignon reproche aux clercs de ne pas respecter l’honnêteté cléricale telle que le pape Grégoire VIII l’a définie, et donc de ne pas se conformer à leur état224. Ainsi que l’explique l’article XLVI du concile avignonnais de 1337, les clercs insolents contrevenant à cet idéal constituent des exemples scandaleux et poussent les laïcs à l’irréligion225. Ils ne représentent plus un exemple pour les fidèles et les rumeurs qu’ils provoquent portent préjudice à l’église en créant l’inimitié et en déclenchant des troubles226. Pour illustration, les statuts de 1230 du chapitre de Marseille font état des rumeurs persistantes et désagréables parvenues aux oreilles de l’évêque, arguant de la vie dissolue de ses chanoines et autres religieux227. Faute d’avoir pu régler le problème, et face aux conséquences engendrées, les prescriptions sont réitérées avec plus de précision en 1235228. Dans le discours sur la probité ecclésiastique, quelques réminiscences d’un discours plus ancien sont perceptibles. Ainsi, à Marseille, en 1235, un synode diocésain rappelle que le costume ecclésiastique doit être distinct du costume profane229.

Dans le concile d’Apt de 1365, ce ne sont plus les clercs eux-mêmes qui sont visés mais les valets de ceux qui en disposent, a fortiori les membres les plus éminents de l’église.

Il est reproché à ces serviteurs :

222 Mansi et al. 1692-1902, t. 21, col. 527.

223 Trichet 1986, p. 59-60.

224 …sed honestatem clericorum quae in decretali felicis memoriae Gregorii evidentius exprimitur, servent. (Mansi et al. 1692-1902, t. 22, col. 792).

225 Insolentias clericolum, que tam ex inordinato habitu, quam ex gestu deformi, dissolutiones ridiculas non solum gignunt in clero, sed apud ipsos laicos indevotionem pariunt et exempla scandalosa producunt… (Mansi et al. 1692-1902, t. 25, col. 1098).

226 Par exemple, canon XXXII du synode provincial d’Avignon de 1509 : Item, quoniam honestas et modestia clericorum et ecclesiasticarum personarum, quae in sacerdotio sunt assumptae, non solum interior virtulibus, sed etiam juxta sacrorum canonum dispositionem, exterior ornata esse debeat, ut eorum laici exemplo bene aedificentur et ne eis scandali et murmurandi occasio praebeatur… (Mansi et al., 1692-1902, t. 32, col. 548).

227 Quoniam frequens fama et clamosa insinuacio cleri et populi super inhonestate vite quorumdam canonicorum et clericolum sedis Massiliensis auribus nostris frequenter insonuit… (Albanes et Chevalier 1899, pièce 246).

228 Cum inter varias tempestates Massiliensis ecclesia longis retroactis temporibus diu et quasi continue fuerit multipliciter conturbata, et ab inimicis fidei, caritatis et pacis, lamentabilibus calamitatibus facessita, ita quod vix hucusque potuerimus (sic) respirare, vel pastorale officium circa reformationem et correctionem cleri et populi modo debito exercere (Albanes et Chevalier 1899, pièce 254).

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- de s’habiller à la dernière mode, celle des costumes courts et cintrés apparus peu de temps auparavant et révélateurs des formes du corps,

- d’avoir des souliers recourbés, à la poulaine,

- de porter des chausses bariolées ut facium histriones,

- de se présenter avec les cheveux frisés à la manière des femmes230.

Ce canon VIII, en préconisant une vêture très stricte à l’image de ceux qui ont prononcé leurs vœux, cherche à remettre les domestiques dans le droit chemin afin qu’ils soient en osmose avec leurs employeurs. Pour la femme, l’apparence peut être un signe extérieur de la richesse de sa famille231, pour les clercs, l’aspect de leurs domestiques est à l’image de leur honnêteté. Ainsi qu’il est encore précisé, le 25 novembre 1551, lors de la quatorzième session du concile de Trente, les clercs se doivent de porter « l’habit convenable à leur ordre afin que, par la décence qu’ils témoigneront à l’extérieur, ils fassent paraître l’intégrité de leurs mœurs232 ».