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Une question nouvelle : celle des « territoires »

3. QUESTIONS EN DÉBAT, CHANTIERS OUVERTS

3.1 SIX QUESTIONS VIVES DE LA CULTURE INFORMATIONNELLE

3.1.1 Une question nouvelle : celle des « territoires »

Dénommée « question des territoires » lors du premier séminaire de 2007 [Serres, 2007-1], la première question vive porte sur les relations entre les trois cultures et les trois éducations voisines : culture et éducation aux médias, culture info-documentaire et éducation à l’information, culture informatique et formation aux TIC. La réflexion sur les convergences et divergences entre ces trois cultures n’a cessé de se développer depuis, à la fois dans et hors du cadre restreint du GRCDI, comme en ont témoigné la table ronde du colloque de l’ERTé [Serres, 2008-2], la journée d’étude de l’ERTé du 14 mai 2009, ainsi que plusieurs publications. Lors de son séminaire de 2009, le GRCDI est revenu sur cette question

complexe d’une « transliteracy », en confrontant directement les réflexions de chercheurs de l’Informatique et de l’Education aux médias107.

La première étape de ce chantier de recherche, ouverte dès le séminaire de 2007, a été une tentative de délimitation (épistémologique, thématique, didactique…) des « territoires » de la culture informationnelle d’avec ses deux domaines voisins [Serres, 2007-2]. La perspective adoptée (poursuivie en 2008 lors du Colloque de l’ERTé [Serres, 2008-2]) a été de clarifier et de mettre à plat les convergences et les différences, les oppositions et les domaines partagés entre les trois « éducations à ».

Du côté des différences

Ont ainsi été identifiés comme principaux points de clivage :

- la notion d’information, avec la distinction canonique entre « l'info-data » d’une part et l'information « sociale » d’autre part, cette dernière regroupant à la fois « l'info-news » des médias et « l'info-knowledge » de la documentation, dont les points communs sont les notions de signification, de signe, d'interprétation, de connaissance… ;

- l’opposition, irréductible au plan épistémique (et consécutive de la première), entre les TIC d'un côté, les médias et l’information-documentation de l'autre, autour de la question centrale du sens et de l’interprétation108 ;

- la différence, la variation de degré entre l’information-documentation et l’information journalistique, autour de la catégorie d’événement et du critère de la durée de l’information :

« Là où les journalistes, les médias, travaillent prioritairement sur la fraîcheur, le caractère inédit de l'information, appréhendée d'abord en tant qu'élément de nouveauté, les documentalistes-bibliothécaires travaillent sur la durée, la conservation, la pérennité de l'information en tant qu'élément de connaissance. » [Serres, 2007-1]

- les institutions et la situation des acteurs : aussi bien l’histoire des trois cultures, les ancrages disciplinaires, les réseaux d’acteurs que l’état des forces témoignent de différences et de clivages assez profonds entre les trois domaines ; et les passerelles ou les rencontres entre les acteurs des trois cultures, par exemple entre les spécialistes de l'éducation aux médias, les enseignants d'informatique et les professionnels de l'information-documentation, restent encore trop peu nombreuses.

Du côté des convergences

Deux principales convergences ont été soulignées : l’hybridation des outils et des pratiques du numérique d’une part, les contenus didactiques d’autre part.

Le phénomène de la triple hybridation des documents, des outils et des pratiques informationnelles constitue sans nul doute le principal facteur de rapprochement des trois cultures, sous l’effet de la « révolution numérique ». Les compétences informationnelles, médiatiques et informatiques, mises en jeu aujourd’hui sur Internet, sont étroitement imbriquées, au point que l’élève ou l’étudiant ne sait plus toujours ce qui relève des médias,

107 Eric Bruillard, “Informatique et culture informationnelle” (support Ppt ), et Odile Chenevez, “Didactique des médias et démarche d’enquête”

108 Rappelons cette citation d’Y. Jeanneret : « l'information, au sens social du terme, a pour condition

l'interprétation, que l'information mathématique a pour bénéfice d'éliminer. » ; Yves Jeanneret, Y a-t-il vraiment

de l’informatique ou de la documentation. Les évolutions sociotechniques d’Internet, par leur rapidité, leur profondeur et leur impact, sont devenus les agents d’une convergence inéluctable des différentes cultures et literacies mobilisées sur les réseaux, donnant lieu à l’émergence même du concept de transliteracy chez les chercheurs anglo-saxons ; la transliteracy étant définie par eux comme « the ability to read, write and interact across a

range of platforms, tools and media from signing and orality through handwriting, print, TV, radio and film, to digital social networks. »109.

Si les compétences et les pratiques informationnelles spontanées constituent un facteur objectif de convergence de facto, si l’intrication des cultures documentaire, médiatique, informatique, numérique, communicationnelle est devenue un phénomène empiriquement observable, en voie de devenir un nouvel objet de recherche110, la détermination et la

définition de contenus didactiques communs relèvent d’une convergence à construire. Le premier travail de comparaison sur les principales notions, mené en 2007 [Serres, 2007-2], avait mis en évidence trois premiers résultats :

- la transversalité et la très grande porosité des notions info-documentaires par rapport aux deux cultures voisines ;

- un territoire notionnel commun, entre éducation aux médias et éducation à l'information- documentation, autour du problème crucial de l'évaluation de l'information ;

- un territoire partagé entre l'information-documentation et l'informatique, autour de la recherche d’information et de plusieurs notions propres à Internet.

Le chantier de la culture informationnelle rejoint ici celui de la didactique, par la réflexion sur les notions, les concepts, les savoirs communs ou spécifiques, mobilisés par les trois « éducations à… ».

Perspectives

Une culture informationnelle, à la fois différenciée et partagée, ne pourrait-elle englober ces trois « éducation à… » et constituer progressivement, sinon un territoire, du moins un socle commun ? La culture informationnelle ne pourrait-elle être alors utilisée comme une traduction possible de la notion de « transliteracy », pour désigner l’ensemble des literacies, des maîtrises nécessaires aux citoyens du 21ème siècle, maîtrise des médias, des outils et des

méthodologies de l’information et de la communication ? S’il ne nous revient évidemment pas de trancher cette question fondamentale, au moins aurons-nous tenté de la poser et de proposer une piste de recherche, qui reste à approfondir dans les années à venir.