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La question récurrente des fondements épistémologiques

3. QUESTIONS EN DÉBAT, CHANTIERS OUVERTS

3.1 SIX QUESTIONS VIVES DE LA CULTURE INFORMATIONNELLE

3.1.4 La question récurrente des fondements épistémologiques

La quatrième question vive est plus classique en Sciences de l’Information et de la Documentation et en sciences humaines et sociales, car elle concerne la réflexion sur les notions d’information et de culture et les différentes questions, d’ordre épistémologique, que pose l’étrange syntagme de culture informationnelle.

Les catégories et confusions de l’information

En nous fondant sur les travaux menés dans le champ des SIC depuis longtemps, il s’agissait pour nous de poursuivre l’explicitation des présupposés de l’information et la réflexion, sans cesse à approfondir, sur les différentes facettes de ce mot-valise, en liaison notamment avec la « question territoriale », les relations entre les différentes cultures et surtout les conséquences pour le projet éducatif de la culture informationnelle [Serres, 2008-2], [Serres, 2008-8].

Comme nous l’avons évoqué plus haut, l’une des premières questions porte sur la confusion de sens, largement répandue, entre les diverses catégories de l'information, entre « l'information-machine » (l'« info-data ») et « l'information sociale » (comprenant « info- news » et « info-knowledge »). Comme le rappelle Daniel Bougnoux : « Information (...) est

un caméléon intellectuel particulièrement vicieux puisque le même mot peut désigner tantôt les nouvelles (news), tantôt les données (data) et tantôt le savoir en général (knowledge). »120

Si la culture informationnelle concerne, selon nous, ces trois grandes catégories de l'information, et par là même les trois cultures qui lui sont liées, encore convient-il de bien établir les délimitations épistémologiques, entrevues plus haut. Et d’en tirer toutes les conséquences au plan éducatif, en explicitant sans cesse ces distinctions fondamentales, aujourd’hui brouillées plus que jamais par le numérique.

Perspectives

Une piste de recherche et de réflexion pourrait être justement constituée des conséquences de cette hybridation socio-technique des trois catégories de l’information, poussée toujours plus loin par les innovations techniques permanentes : qu’il s’agisse du phénomène, aujourd’hui massif, de l’agrégation de contenus de presse, ou bien de certaines inventions spectaculaires121

en Intelligence Artificielle, l’intrication des différentes catégories de l’information ne cesse de progresser, obligeant à redéfinir constamment les lignes de partage entre l’humain et ses techniques, entre traitement automatisé et regard interprétatif, entre donnée et information au sens social. Et toujours se posera la même question : de quelle information parle la culture informationnelle ?

Les acceptions de la culture

La deuxième question épistémologique porte sur l’autre terme du syntagme, également hautement polysémique : de quelle conception de la culture s’agit-il ? Jean-Claude Forquin122

relevait cinq acceptions principales de cet autre mot-valise, clarification particulièrement utile

120 Daniel Bougnoux, La communication contre l’information, Hachette, 1995, p. 5 121

Voir par exemple l’article d’Yves Eudes, L'ère des robots-journalistes, Le Monde, 9 mars 2010, décrivant des nouveaux logiciels permettant de composer automatiquement des articles de presse.

122 Forquin J.C., École et culture : le point de vue des sociologues britanniques, Paris, Éditions universitaires,

pour savoir de quelle culture nous parlons lorsque nous parlons de culture informationnelle. Développées par Yolande Maury dans l’Introduction au chapitre 1 des actes du colloque ERTé [Serres, Maury, 2010-1], et par A. Serres dans l’introduction au numéro des Cahiers du numérique sur la culture informationnelle [Serres, 2009-2], ces cinq acceptions de la culture en dessinent le « spectre sémantique », en large partie applicable à la culture informationnelle :

- la culture dans son acception philosophique, opposée à la nature et constitutive de l’humanité, acception peu adaptée à la culture informationnelle ;

- la culture au sens anthropologique ou sociologique, i.e. comme ensemble de savoirs tacites, d’usages, de pratiques sociales, etc. ; dans cette perspective, la culture informationnelle peut être considérée comme l’ensemble des savoirs tacites, des usages spontanés, des pratiques, des représentations de l’information dans notre société ou dans un collectif déterminé (on parlera de la culture informationnelle des jeunes, des enseignants, etc.) ;

- l’acception « perfective », individuelle et normative de la culture ; selon cette acception traditionnelle, la culture informationnelle serait avant tout individuelle et peut désigner par exemple la culture professionnelle des bibliothécaires et documentalistes ;

- la culture comme transmission d’un patrimoine, au sens d'un ensemble de savoirs, de productions intellectuelles, artistiques, scientifiquement ou socialement légitimés ; « Jean- Claude Forquin montre bien, à ce propos, en quoi la fonction de transmission culturelle de l’école ne peut se satisfaire, ni de l’approche descriptive de la culture, ni de l’acception

traditionnelle de « l’homme cultivé ». C’est dans cette mise en tension de deux pôles opposés de la notion de culture, le pôle descriptif et le pôle « perfectif », que se tient l’approche « patrimoniale », qui se révèle ici féconde pour notre culture informationnelle. Celle-ci ne pourrait-elle pas constituer, sinon un véritable « patrimoine » de savoirs et d’institutions (étant d’origine trop récente), du moins un ensemble émergent de connaissances, de compétences, de concepts et de valeurs sur l’information, susceptible de faire l’objet d’enseignement, de formation, donc de transmission ? » [Serres, 2009-2]

- enfin la culture au sens « différentialiste », identitaire, variante de la culture patrimoniale, dont l’une des caractéristiques fondamentales est d’être « à la fois objet de mémoire,

composante essentielle des identités nationales et opérateur de différences » [Serres, 2009-2].

Enfin, dernière question sur les fondements épistémologiques : dans quelle mesure culture et information sont-elles des notions compatibles, complémentaires ? Leurs rapports ne seraient- ils pas plutôt contradictoires, voire antagonistes ? La culture, dans son acception traditionnelle « perfective » (la culture de l’homme cultivé), est avant tout affaire de choix, de sélection parmi un ensemble d’œuvres, d’objets, d’auteurs... Elle ne peut, en aucun cas, être réduite à une simple « information » et se situerait même aux antipodes de celle-ci. Comme le dit Barbara Cassin, en s’inspirant d’Hannah Arendt, « la culture ne se caractérise ni par la

connaissance, ni par l’information, mais par les œuvres et par le goût. Tout revient finalement à la question du « choix » »123.

Une autre piste de réflexion s’ouvre ici, pour les acteurs et chercheurs du champ : les rapports, complexes et contradictoires, entre information, connaissance et culture, aujourd’hui souvent confondues dans les représentations et dans certains discours dominants sur Internet.

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3.1.5 Une question brûlante : les nouveaux enjeux et usages