• Aucun résultat trouvé

De la question du niveau des élèves en matière de lecture et l’intervention de ce

CHAPITRE 4 : Choix des textes et objectifs de l’adaptation : entretien avec les

4.4. De la question du niveau des élèves en matière de lecture et l’intervention de ce

Beaucoup de considérations qui sont en rapport avec le projet du pays, sa politique éducative, le citoyen qu’on veut former et l’image qu’on doit gérer devant la communauté internationale ; parce que nous rappelons que le manuel est en quelques sortes le reflet des valeurs culturelles et humaines, inculquées au peuple à travers l’école. La Loi d’Orientation sur l’Education Nationale (n°08- 04 du 23 janvier 2008) définit dans les termes suivants les finalités de l’éducation : « L’école algérienne a pour vocation de former un citoyen doté de repères nationaux incontestables, profondément attaché aux valeurs du peuple algérien, capable de comprendre le monde qui l’entoure, de s’y adapter et d’agir sur lui et en mesure de s’ouvrir sur la civilisation universelle.» C’est-à-dire la marge de liberté dans le choix des supports de lecture est assez restreinte « parce qu’il y a des évaluateurs… ça il ne faut pas l’oublier derrière. » Des fois, on a dû supprimer des fragments ou des termes qui « seraient suggestifs » ou même « sacrifier » des textes d’une grande valeur esthétique à l’exemple de l’extrait tiré de l’œuvre d’Albert Cohen, « Le livre de ma mère », éliminé à cause des origines de l’auteur.

4.4. De la question du niveau des élèves en matière de lecture et

l’intervention de ce paramètre dans le choix des textes-supports à la

compréhension de l’écrit

« Le choix d’un vocabulaire beaucoup plus à la portée de l’ensemble des élèves de tout le pays ». Comment on peut mesurer le niveau des élèves de tout le pays ?

Devant la question : Est-ce que les textes proposés dans les manuels de français sont à la portée d’un élève moyen ?, les conceptrices étaient concises dans leur réponse : «Nous le pensons et nous avons tout fait pour. Les textes proposés dans les deux manuels de 3AM et de 4AM, en général, sont à la portée d’un élève moyen qui est supposé avoir le profil d’entrée au collège, qui est indiqué dans le programme et le document d’accompagnement (…) » 46

Il est clair que le niveau des élèves n’a pas été jugé à la suite d’une évaluation diagnostic, sur le terrain, couvrant un échantillon représentatif, que ce soit quantitativement ou qualitativement. Le niveau des élèves en termes de compétences acquises est défini dans le document d’accompagnement sous le titre de « profil de sortie d’un élève de la 3AM » par exemple, qui est en même temps « profil d’entrée en 4AM ». A partir de ce profil, se conçoit le

107

manuel de la 4AM et se fait le choix ainsi que l’adaptation des textes qui le composent. C’est-à-dire, les textes proposés dans le manuel de la 4AM sont destinés à un élève qui est, normalement, « capable de comprendre/produire, oralement et par écrit, des textes narratifs qui relèvent du réel en tenant compte des contraintes de la situation de communication. » (D’après le Programme de français -3e AM. Novembre 2011 :9). Qui sait à l’écrit, analyser un récit pour en construire le sens. Qui a eu l’occasion de connaître un texte littéraire pendant toute la deuxième année moyenne.

Nous trouvons logique le fait de se baser sur un tel repère pour mesurer le niveau des élèves algériens puisque de toutes les façons, nous ne pouvons pas parcourir toutes les classes de toutes les régions du pays afin de définir le niveau réel des apprenants en termes de compétences acquises. Même si la bonne volonté existe, le temps ne le permet pas, à l’exemple des manuels de la 3AM et de la 4AM qui ont été élaborés en peu de temps « sachez que ce sont des manuels qui ont été faits en moins de quatre mois, dans des conditions très lamentables. » Confirme Mme AYAD Oum Elkhir.

Supposons que cette évaluation diagnostic des faits a eu lieu sur un échantillon représentatif (une école de l’Est, une autre de l’Ouest, une école du centre-nord, une autre de l’extrême Sud), les écarts de niveau des élèves seraient flagrants : le cursus scolaire d’un élève en termes de pré-requis dépend de plusieurs variables, des fois non maîtrisables, notamment, la qualité de la formation des enseignants et leur ancienneté et même l’environnement sociolinguistique de l’apprenant.

L’Algérie est un pays vaste, ce qui implique une différence de taille entre le français enseigné et/ou appris à l’Est et celui du Sud. On ne peut pas concevoir 4 manuels pour un seul pays ! Cela n’empêche que les conceptrices se mettent d’accord sur le fait que les élèves du sud algérien ont le droit à un manuel à part, vue l’environnement sociolinguistique dans lequel ils vivent et qui se distingue manifestement de celui du nord.

Face à cette réalité qui s’impose, nous n’avons qu’une seule solution : s’appuyer sur ces profils d’entrée et de sortie de chaque année dans la pratique de la conception des manuels ou de l’enseignement. Ainsi, tout enseignant doit tenir compte de ces profils des apprenants auxquels il a à faire. Si chaque enseignant prend en considération les capacités de ses élèves dès leur première année d’apprentissage du français, s’il envisage sa pratique dans l’intervalle

108

que permettent ces capacités, pas plus mais aussi et surtout pas moins, l’écart de niveau entre les élèves du même pays serait largement diminué.

Nous pensons que la formation des enseignants doit être non seulement continue mais aussi pointue et évaluée strictement, parce qu’au-delà de la mauvaise intention, il est possible aussi que l’enseignant ne comprenne pas convenablement ou ignore catégoriquement les directives du ministère de l’éducation qui ne cessent d’évoluer avec l’évolution des théories dans le domaine de l’éducation et l’évolution de la société aussi.

Tout de même, la liberté donnée à l’enseignant dans le choix des textes-supports à l’enseignement/apprentissage de la lecture est une arme à double tranchant.

« L’enseignant a la liberté de choisir d’autres supports qu’il juge pertinents et d’en adapter le contenu au niveau de sa classe sans perdre de vue le programme officiel. » (Guide du professeur, Langue française -3ème Année Moyenne : 3) Dans le choix d’un texte réside une grande part de subjectivité de la part de celui qui effectue ce choix, et par conséquent, directement ou indirectement cette subjectivité va influencer la vision de cet élève, citoyen de demain. On ne peut pas nier cette influence idéologique qu’exerce un texte sur un lecteur. Si le même enseignant choisit à son gré des textes tout au long de l’année (des fois pendant deux ou trois années), il influence la pensée47 de ces apprenants pour reprendre les termes de Mme BENTAHA. Tout enseignant a une vision du monde propre à lui et des goûts littéraires spécifiques. Dans ce cas, on aura des apprenants différents.

En outre, dans le choix d’un texte, il y a une décision, un jugement préalable. Chaque enseignant juge le niveau de sa classe et décide d’un texte qui convient à ces élèves. Il a même l’opportunité de l’adapter ! Or, d’une part, tous les enseignants ne sont pas de bons juges, il leur faut beaucoup d’expérience et un savoir linguistique important. En effet, on a souvent tendance à sous-estimer les apprenants. Ceux-ci sont beaucoup plus forts que l’on croit. On les prive de tant de beautés littéraires sous prétextes qu’ils ne vont rien en comprendre. D’une autre part, l’adaptation d’un texte au niveau des élèves nécessite de la part de l’adaptateur une certaine compétence. Il devrait avoir un vocabulaire très riche de peur qu’il substitue un mot par un autre mot qui ne porte pas la même charge sémantique. En fait, la notion des synonymes

109

est remise en cause48. La reformulation des phrases ou des passages de textes est une réécriture et tout le monde n’a pas le talent d’écrivain. On décide que le texte est difficile pour l’apprenant, on l’adapte à sa manière ! Le résultat est souvent désastreux. «Evidemment des textes mal adaptés ce sont des textes mutilés, ce sont des suppressions de passages-clés, peut-être, qui portent atteinte au sens du texte, des suppressions de passages-clés de manière brutale, irréfléchie et qui donne lieu à des textes tronqués, dénaturés, qui ôtent, qui enlèvent le sens, la beauté du texte littéraire. », s’emporte Mme AYAD.

A l’heure actuelle, nous assistons à une très grande hétérogénéité en termes de compétences et de qualité de formation dans le corps des enseignants d’un même palier. Prenant l’exemple des enseignants du cycle moyen à Tlemcen, 390149 d’enseignants dont 1310 sont P.E.F., 1872 P.E.M., 113 professeurs formateurs et 606 professeurs principaux. Une première distinction PEM/ PEF reflète à peu près l’ancienneté de l’enseignant. La plupart des anciens sont des PEF. Parmi les PEF, il y a des enseignants avec le Bac et d’autres sans BAC, rares sont les enseignants PEF avec un niveau universitaire au collège. Un PEF a fait l’ITE (deux ou trois ans de formation pédagogique). Cependant, ils ont un atout incontestable, l’expérience. Les PEM, sont pour la plupart des universitaires, généralement licenciés. Les PEF les nomment, parfois, péjorativement nouveaux. Le groupe de nouveaux contient des titulaires et des remplaçants, des recrutés suite à un concours écrit ou oral, sinon ils sont intégrés sans concours, juste parce qu’ils exerçaient au moment de l’intégration. Après le recrutement, il y a des nouveaux qui ont bénéficié d’une formation post-recrutement et ceux qui se sont retrouvés, à la sortie de l’université, brusquement dans une classe de langue étrangère sans aucune formation. Bref, il y a, malheureusement, ceux qui sont compétents et ceux qui ne le sont pas, c’est la réalité.

La liberté du choix des textes-supports à la compréhension de l’écrit, dans ce contexte déséquilibré, ne pourrait qu’engendrer des élèves de niveaux hétérogènes en matière de lecture. Des élèves qui n’ont jamais travaillé sur un texte authentique, qui ont toujours été lecteurs d’un ensemble de phrases, d’un texte fabriqué. Imaginons que ce comportement se renforce pendant six années d’enseignement/apprentissage de français, arrivant en 4AM ces élèves ne peuvent pas comprendre comme il se doit un texte proposé dans le manuel de la 4AM, ils le jugent très

48E. CHARMEUX, 2014

49D’après M. KEBBIB Rachid, 1er responsable aux services de statistiques pédagogiques à l’Académie de l’éducation et de l’enseignement/ Tlemcen, mai 2015.

110

difficile, voire inaccessible. Leurs enseignants le jugent comme étant un texte non à la portée de l’élève. Par contre, des élèves qui ont eu la chance d’avoir des enseignants privilégiant des textes authentiques ont la capacité d’affronter le texte proposé dans le manuel de la 4AM. Il leur paraitrait, peut-être, comme moyen. Et si encore ces mêmes élèves avaient la chance de grandir dans un milieu sociolinguistique favorable à l’apprentissage du français, ils trouveraient le texte du manuel facile et abordable.

Donc, la question du niveau des textes par rapport au niveau des apprenants en Algérie est une question relative.

Nous pensons qu’il est préférable que les enseignants travaillent avec leurs élèves les mêmes textes dans tout le territoire national, des textes choisis et adaptés par des gens du domaine dignes de ce genre de tâches. A ce moment-là, les paramètres qui nourrissent la décadence du niveau des élèves diminueraient sensiblement. Arrêtons de sous-estimer nos élèves, s’écrie Mme AYAD, nos élèves sont aptes à apprendre. Au contraire, nous devons remettre en question nos méthodes d’enseignement et nos convictions, nous devons placer la barre haut: « notre souci est d’élever le niveau de nos apprenants, de ne pas les sous-estimer. Et pas l’inverse.»

111

CHAPITRE 5