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Au travers de la logique du modèle, les structures-motif se penchent en effet sur un aspect des choses que les structures formelles ne font que nous montrer : leur morphogenèse et leurs accidents. Lorsque la structure formelle d’une chose s’exprime en tant que signifiante, qu’elle parle de ce qu’elle est en soi, il existe cependant toujours un motif, qui la rend présente. Ainsi, la surface d’une planète est quasi sphérique car l’agglomérat de matière sans contrainte spatiale donne une sphère tandis que ce même agglomérat sur une surface et soumis à la gravité d’un corps beaucoup plus massif donne un tas qui est l’approximation d’un cône (le cône est la loi de morphogenèse et les accidents sont ce qui en fait un tas et non un cône). Pourtant, nous disons rarement qu’une planète et un tas sont semblables car ils expriment la gravité mais plutôt que l’un exprime un cône et l’autre une sphère avec tout ce que les symboles culturels peuvent y ajouter. D’où la nécessite de mettre en évidence deux façons de parler de l’ordre d’une chose : sa forme (ici sphère) et son motif (ici gravitation). Au delà de vouloir donner une raison à chaque forme qui se présente à nous, s’intéresser aux lois de la morphogenèse peut ainsi nous mener à redéfinir la façon dont nous classons un ensemble de formes représentées voir en déterminer la source.

Et pourtant peu d’approches ont encore été réalisées en la matière, encore moins lorsqu’elles fussent mises en parallèle

17 Henri Zerner, Giovanni Morelli et la science de l’art, dans Écrire l’histoire de l’art, p.15

Figure 27 : Structures de turing

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avec l’histoire des arts plastiques comme tenta Riegl. C’est ainsi que “Turing souligne d’entrée le défi majeur auquel se trouve confrontée toute tentative d’expliquer la morphogenèse: comment passe-t-on d’un embryon initialement parfaitement symétrique (une sphère) à un organisme structuré?18

Il semble loin d’être facile de comprendre d’où surgit cet ordre, et pourtant le sens naît de partout à partir de rien : pose un crayon à la verticale sur une table en le retenant avec ton doigt. Pour le moment, l’objet n’a pas de direction dans le plan de la table. Si tu le regardes de haut, il est symétrique en tout point, mais dès lors que tu le relâches, sa chute l’entraînera dans une direction incertaine. Un accident est intervenu et a donné un sens à l’objet. On parle alors de brisure spontanée de symétrie.

On peut ainsi essayer de comprendre qu’un motif peut émerger d’un ensemble homogène de la même façon que le sens a pris au moment de la chute pour le crayon.

Ce processus imaginé par Turing est expliqué ici par Annick Lesne “Les différentes perturbations aléatoires subies par l’état homogène, complètement symétrique, vont avoir un devenir très différent. Certaines vont être amorties, d’autres amplifiées. La dynamique intrinsèque va ainsi sélectionner certaines fluctuations, dont les caractéristiques particulières vont se refléter dans la solution. Les autres fluctuations n’auront aucun effet. Ceci n’est rien d’autre qu’un phénomène de résonance, bien connu dans l’étude des pendules et autres oscillateurs. Une conséquence remarquable est que la perturbation ne détermine pas les caractéristiques des motifs mais seulement la possibilité de son émergence. C’est l’instabilité intrinsèque de la dynamique qui prescrit les caractéristiques du motif. L’idée

18 Annick Lesne, Directrice de recherche CNRS au Laboratoire de Physique Théorique de la Matière Condensée (CNRS-Paris 6) et à l’IHÉS (Bures- sur- Yvette), «Turing et la morphogenèse: les «structures de Turing»»

est remarquable : suivant le modèle de Turing, la formation des motifs est spontanée, elle ne nécessite ni patron préalable ni prescription extérieure.

Le modèle qu’il propose montre la richesse de structures qu’on peut expliquer en n’invoquant qu’un ensemble minimal de mécanismes uniquement physico-chimiques, sans avoir besoin d’arguments ou d’ingrédients spécifique19

Les motifs peuvent être ainsi interprétés comme solutions spatiales d’un espace de possibles, leur existence est due à un accident, à un événement spontané dans le cadre de la configuration d’un système. La question repose alors plus sur quels ensembles de formes possibles pour un modèle plutôt que de déterminer les raisons qui mènent à un motif.

Cependant, n’oublions pas que contrairement aux formes qui peuvent se décomposer en fragment, “les motifs résultent d’une dynamique globale: on ne peut supprimer une tache sans les supprimer toutes.”19

Ainsi parle Gyorgy Kepes du “sens de la structure, faculté de voir notre monde comme un ensemble conjugué”. Il ne s’agit plus de décrire l’arborescence de ce qui constitue les formes de notre monde mais de les conjuguer entre elles, de voir en chacune d’elle des lois qui en déclinent d’autres, observer en chaque forme, la solution d’une complexité plus large. De ne pas décrire l’intersection mais les espaces créant cette intersection.20

19 La simulation de formation d’une structure de Turing est proposée par le site du CNRS à l’adresse : «http://experiences.math.cnrs.fr/simulations/sysdyn-Morphogenese/

index.html»

20 Soit cette belle démonstration de Cyril Stanley Smith dans l’article Structure Substructure Superstructure : “Pour diviser l’espace en cellules tridimensionnelles, six interfaces bidimensionnelles au moins doivent se rencontrer à chaque point; et si la tension de surface domine, elles se grouperont en groupe de trois à un angle de 120° le long de lignes, formant des bords de cellule, qui se rencontrent symétriquement selon l’angle tétraèdre de 109.47° (soit l’angle dont le cosinus est -⅓). Cette configuration de jonction à trois, deux et une dimension est répétée à chaque sommet. Une courbure

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Par ailleurs, René Thom propose de concevoir cet espace de solutions comme des surfaces de réponses. Avec la théorie des catastrophes généralisée, il conçoit une façon d’étudier topologiquement les modèles.

Les points réguliers sont les points où l’analyse phénoménologique locale ne décèle aucun accident particulier, il peut y avoir des variations observables, mais ces variations sont continues. Au contraire, il y a des points où l’analyse phénoménologique révèle des accidents brutaux et discontinus, en particulier des discontinuités observables et c’est ce que j’appelle les points catastrophiques.”21

C’est motifs surviennent dans le cas où un équilibre est soudainement rompu et libère son potentiel. Le problème est qu’une forme A1 se transformant en une forme A2 ne peut le faire qu’en passant par une transition continue d’étapes. Et même si à l’œil ce changement est brutal, il est pourtant nécessaire et implique la coexistence à un moment donné de points remarquables comme les inflexions (J, K) de la fronce présentée ci-dessous.

est nécessaire pour relier des sommets adjacents et pour réconcilier des besoins à courte et à longue portée. Parce que les polygones (faces de cellules) doivent être en groupes qui enferment chaque cellule tridimensionnelle, le polygone moyen aura un nombre plus petit de côtés que l’hexagone qui emplit l’espace à deux dimensions. Aucun polygone plan ne peut remplir ces nécessités, car il faudrait qu’il ait 5.143 côtés afin d’avoir des angles de 109.47°. La meilleure solution qui ait été proposée correspond à un corps à 14 côtés possédant six faces planes à 4 côtés et 8 faces à double courbure hexagonales, le mélange de ces polygones ayant une moyenne de 5 1/7 côtés.

Ce curieux nombre irrationnel est d’une importance capitale, bien qu’il soit peu apprécié. Il est certainement responsable de la prédominance du pentagone dans la nature. Il est probablement derrière la symétrie quintuple des plantes et des cinq doigts et orteils que possèdent les animaux.”Dans la structure dans les arts et dans les sciences sous la direction de Gyorgy Kepes, p.36

21 Exposé de René Thom au Colloque international de Cerisy “Logos et théorie des Catastrophes” sep 1982, Annales de la Fondation Louis de Broglie, Volume 27 n ±4, 2002, p 575, http://aflb.ensmp.fr/AFLB-274/aflb274p575.pdf

La fronce : Catastrophe en dimension 2, comment passe-t-on de A1 à A2 dans chaque état t du système? Imaginons que cette fronce soit la représentation abstraite dans le temps d’un lac en montagne. A t0, la surface du lac est représentée par l’inflexion J et sa quantité est insuffisante pour dépasser le col représenté par K. Mais avec l’érosion, les points J et K (l’altitude de la surface du lac et du col) se rapprochent jusqu’à atteindre t1 où ils coïncident. C’est la catastrophe! L’eau n’étant plus retenue, elle se déverse en ruisselant sur le versant de la montagne, donnant ainsi

naissance à de nouvelles rivières (t2).22

D’après René Thom, pour un espace à quatre variables (soit les trois dimensions plus le temps), il ne peut y avoir qu’au plus 7 catastrophes élémentaires distinctes. Il y voit dès lors, sept motifs de base à partir desquels la nature forme sont langage.

22 Benoît Virole, 2015, «http://virole.pagesperso-orange.fr/cata.htm»

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