• Aucun résultat trouvé

Un fait remarquable de notre appréhension du monde au travers de la reconnaissance d’objet est la cohérence.2 Cohérence qu’on construit à partir de la répétition des situations qui se présentent à nous. Cependant, il semble bien que cette cohérence s’établisse par admission des variations plus qu’elle ne se construit sur l’observation d’invariants. Nous n’admettons

1 Le sens du sens, dans Manière d’écrire l’histoire de l’art, Henri Zerner, p.104 2 Voir le chapitre 3 «comment le cerveau construit-il une cohérence entre corps et espace», Alain Berthoz, le sens du mouvement.

pas que les choses soient statiques, nous admettons les caractères momentanés, situationnels des objets que nous observons pour augmenter la cohérence d’un univers que nous présupposons statique. De sorte que nous nous faisons l’idée d’un monde statique sur lequel on s’éprouve à y reconnaître les variations, où reconnaître prendra cette fois-ci le sens d’admettre, de raisonner sur ce que nous voyons. Par exemple, les différentes formes que peut prendre une feuille de papier suivant le point de vue duquel on la regarde doivent être admises par l’observateur, d’une part en présupposant que ce n’est pas la feuille qui change mais sa situation et d’autre part en intégrant ces variations dans un modèle interne de représentation mentale des transformations géométriques (translation, rotation, échelle). L’idéal se construit ainsi sur une somme de situations relatives propres à des contextes uniques, tandis que ces contextes permettent de dégager ce que n’est pas l’idéal (un point de vue peut ainsi être construit à partir d’une forme donnée).

Einstein en fit la belle rencontre en qualifiant vers la fin de sa vie la constante cosmologique qu’il avait ajouté à son modèle décrivant la géométrie d’un univers statique de plus grosse erreur de sa vie.3 Il ne pouvait se faire à l’idée que l’univers soit dynamique et ajouta donc une constante pour que ses équations conservent un caractère statique. La société du moyen-âge à du admettre que la terre n’était pas le centre de la terre mais se déplaçait autour du soleil, la terre n’était pas statique, elle tournait, sur elle même et autour du soleil! L’introduction du temps comme dimension variable de l’espace n’a guerre plus d’un siècle, les lois de la thermodynamique, deux cents ans4. Le

3 Francis Bernardeau, Jean-Philippe Uzan, CNRS, «La constante cosmologique» [Article en ligne], 2016, http://www.cnrs.fr/publications/imagesdelaphysique/couv-PDF/ IdP2008/03-Bernardeau.pdf

4 Sadi Carnot est considéré comme le pionnier de la thermodynamique, y énonçant le second principe en 1824 : l’entropie d’un système augmente à travers le temps. Les choses vont en se dégradant

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

112 Complexité 2 : Idéal/Relatif Les formes du calme 113

fait que l’univers n’a pas toujours été là mais possède sa propre histoire est un concept scientifique seulement récemment adopté (moins d’un siècle!).

D’un côté il doit exister des caractéristiques qui nous poussent à envisager le monde comme statique, de l’autre, ces caractéristiques doivent être indépendantes de l’univers si celui-ci est en mouvement permanent. Elles ne seraient donc que des idéals, propres à nous. Autrement dit, il existe une réalité extérieure, récurrente, qui agit de sorte à ce que l’on y voit comme des pointillés dessinant le caractère permanent des choses, des pointillés sages, dont rien au monde ne viendrait perturber la sérénité. Symétrie parfaite, Répétition, Ordre, Réseaux, Génératrices, Arborescences, Groupes, ces pointillés se répètent dans chaque forme organisée qu’ils articulent. Ainsi nous sommes capables de voir un arbre dans un arbre mais aussi dans une phrase. Ces pointillés silencieux seraient-ils maillage, textile composite adéquat au caprice des formes qui cherchent leur peau?

Riegl à lui même envisagé ces caractéristiques au travers des lois de la cristallisation. Ouvrons à nouveau Grammaire Historique des arts plastiques : “Ce qui distingue les choses inorganiques des choses organiques, c’est le mouvement qui caractérise les premières -qu’il soit produit par la seule croissance ou par leur volonté de se déplacer. [La présence de mouvement caractérise chez Riegl les choses organiques et les choses immuables sont inorganiques, inertes.] Parallèlement à cette différence essentielle on constate également une différence évidente dans leur forme. Si nous regardons un arbre ou un quadrupède de côté, rien - à première vue - ne nous fait penser à la cristallisation [propre à l’inorganique]. Nous constatons l’absence de symétrie rigoureuse en même temps que celle de

surfaces planes délimitant la forme.»5

Les symétries et les surfaces planes sont de l’ordre de la cristallisation et de l’ordre d’un caractère statique (mais bien seulement apparent) de l’univers. Cependant la forme du système solaire est aussi considérée comme stable parce qu’a une large approximation, seuls les processus cycliques demeurent. On peut donc distinguer deux caractéristiques de l’univers lui donnant une apparence statique :

La première est celle de l’inorganique formulé par Riegl, la minimisation d’énergie potentielle totale d’une structure. On parlera parfois d’équilibre, de symétrie, d’équivalence. C’est un équilibre provenant de la chose. L’autre est que la première puisse s’exprimer relativement à un observateur donc à une échelle particulière. Autrement dit elle n’est pas fondamentale mais approximative. L’univers doit porter en lui des caractéristique d’équilibre approximatif d’où naissent les formes telles que le cercle qui donne les cycles et la nature ondulatoire des choses ainsi que les symétries qui se soumettent au lois naturelles (par exemple la loi de la gravitation donne aux corps massifs une forme approximativement sphérique et donne aux troncs d’arbre une symétrie approximativement radiale).

Heinrich Wölfflin nous dira : « Partout le style prend appui sur les éléments solides et durables de la forme. La nature est un cosmos et la beauté en est la loi révélée.»6

Pourrait-on y voir ici un principe de conformité entre les styles des arts plastiques et les mécanismes de la perception? Ce qu’on cherche, c’est un univers “modèle” qui sera et a toujours été lui même (même si il peut évoluer à l’intérieur de lui même).

5 Grammaire Historique des Arts Plastiques, chapitre 3 : les motifs, p.66

6 Principes Fondamentaux de l’Histoire de l’Art, Heinrich Wölfflin, chapitre III : Forme fermée/Forme Ouverte, p.151

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

114 Complexité 2 : Idéal/Relatif Les formes du calme 115