• Aucun résultat trouvé

A quoi ressemble l’idée de la perception visuelle au regard de l’histoire? Selon Berthoz :

«A Babylone, le regard était mâle et se projetait ou femelle et recevait la lumière. Chez les grecs, le regard projetait un feu intérieur sur les objets qui rebondissait et revenait dans la rétine. Alahazen (Xeme siècle), pense que le cerveau produit des stimuli qui pénètrent dans l'œil et interagissent avec les ondes visuelles produites par les objets.

Au contraire, l'art de la Renaissance procède sur la découverte de la perspective. Le regard s'anime et devient point de vue sur le monde, déterminant les proportions

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

98 Complexité 1 : Discret/Continu La fabrique d’un monde componentiel 99

de l’environnement et se référer à une mémoire organisée donc plus légère en quantité d’information à stocker. Il nous paraît évident que la nature aura penché au fur et à mesure de l’évolution des espèces pour cette solution. L’hypothèse que le cerveau fait influence la construction du percept et la reconnaissance des formes au delà même des différences culturelles et de l’espace sémantique propre à chaque individu. D’après Alain Berthoz, "L'important ce n'est donc pas la liste de capteurs mais les questions que le cerveau curieux pose au monde à partir d'hypothèses qu'il élabore et de tâches qu'il se propose d'accomplir.”24 Ce que nous voyons n’est donc pas juste issu d’une somme de capteurs qui nous inondent d’information sensorielle en permanence mais la manière dont nous avons paramétré les composants qui vont inhiber ou renforcer cette information pour lui conférer un statut qualitatif en vue de vérifier nos hypothèses sur le réel.

La fenêtre des sens serait-elle une double idée reçue? Elle nous fait croire que nous voyons les choses telles qu’elles le sont alors que nous reconstruisons la réalité de ce que nous voyons mais en plus elle nous fait croire que nous voyons tout ce que nos yeux voient alors que nous faisons le choix de ce que nous souhaitons voir. Ainsi l’idée que nous pensons un monde componentiel ne naît peut-être pas seulement du fait que c’est en partie la manière dont se construit le percept mais aussi du fait que nous percevons toujours quelques fragments successivement de tout ce qu’on pourrait ressentir d’un seul instant.

24 Le sens du mouvement, p.270

de composition d’un orchestre d’instruments, transmettant ou inhibant l’information. Mais il va plus loin car c’est selon lui comme si ce qui était joué par l’orchestre et ce qui était écrit sur la partition s’interchangeaient, s’influençaient et se modifiaient réciproquement au fil de la musique.19

Si à première vue ce mécanisme permet au cerveau d’éviter un trop-plein d’information, il remet par ailleurs la subjectivité au cœur de la perception impliquant la nécessité de choix et de décision guidés par quelque chose, une expérimentation, un besoin d’éprouver le monde. On utilise souvent «éprouver» au sens de “j’éprouve de l'émotion” ce qui d’un côté peut paraître un défaut de langage (on devrait plutôt dire que les sens m’éprouvent) et d’un autre une confusion de sens. L’épreuve de l’émotion ne devrait pas être vue comme quelque chose d’émergent mais plutôt comme de l’action délibérée de mettre à l’épreuve notre regard sur le monde.20

Celui qui éprouve est un acteur et non un agent passif et c’est au cœur d’une action volontaire et délibérée que la reconnaissance des formes doit se situer et non pas dans une posture passive et réceptive21, 22, 23. Plutôt que d’archiver chaque instant de notre vie pour faire jurisprudence et savoir comment agir, faire des hypothèses et les éprouver permet au cerveau deux avantages considérables : s’adapter en cas de changements

19 «Cependant imaginé et exécuté n’est pas une dichotomie. Il y a une part d’imaginé dans chaque action. Il y a plusieurs degrés d’implication de l’imagination et de l’exécution.», Le sens du mouvement, p.232

20 «Le cerveau étiquette ses perceptions en fonction de ses intentions et de ses buts.», Le sens du mouvement, p.140

21 Les mouvements oculaires sont des topocinèses : ils sont dirigés vers un but spatial (Paillard, 1974).

22 «La perception est fonction non pas tant de l’intensité d’une stimulation que de la concordance de celle-ci avec une hypothèse faite par le cerveau.» Le sens du mouvement, p.61

23 “On perçoit que ce qui nous intéresse”, Le sens du mouvement, p.67

ECOLE

NATIONALE

SUPERIEURE

D'ARCHITECTURE

DE NANTES

DOCUMENT

SOUMIS

AU DROIT

D'AUTEUR

100 Complexité 1 : Discret/Continu La fabrique d’un monde componentiel 101

les esquimaux de la place de l’homme dans l’univers”, Paul Riesmann anthropologue (1938-1988) : “Il n’y a rien dans un caillou se trouvant sur le sol qui vous dise qu’il ne doit pas être jeté ou transformé en pointe de flèche. Le monde créé par l’homme dans ce sens est très différent du monde extérieur en ce que presque toute la matière se trouvant à portée est reconnue comme ayant déjà un but.”

Le monde des buts indique une piste complémentaire à celle de la combinatoire multisensorielle qui propose la notion d’environnement local (en opposition à l’environnement global (l’extérieur). Une adaptation où l’environnement doit être vu comme d’une part l’environnement global naturel (l’espace, le temps, les forces) mais d’autre part comme l’environnement local, le monde créé par l’homme (plus au sens de symbolisé qu’au sens de fabriqué) qui n’est pas dans les objets mais dans la culture. Aucun objet ne possède de but en soi, intrinsèquement. Nous possédons les buts des objets dans un ensemble que nous nommons culture et cette réalité bien qu’elle n'existe pas en dehors de notre espèce est tout de même partagée comme la réalité physique. C’est donc aussi un environnement auquel il faut s’adapter. Tel un double héritage. «L’héritage de l’homme est de deux types. L’un s’est accumulé à travers peut-être deux milliards d’années d’évolution et est codifié dans la structure moléculaire de sa composition génétique. L’autre a été édifié pendant approximativement un million d’années de communication et est codifié dans la structure symbolique de la connaissance de l’homme.

Tandis que l’homme évoluait selon un jeu réciproque entre la mutabilité génétique et la sélectivité de l’environnement, ses symboles créés par lui évoluaient selon un jeu réciproque entre sa flexibilité d’expression et sa sensibilité à distinguer.»27

27 Heinz Von Foerster, Du stimulus au symbole, l’économie du calcul biologique, dans Signe, image, symbole, sous la direction de Gyorgy Kepes, p.42

B Car il existe autant de mondes que d’êtres mais