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La question de l’innovation au cœur du développement économique

à des processus globaux

4.1. Une insertion dans des flux et des cycles d’innovation mondialisés

4.1.2. La question de l’innovation au cœur du développement économique

La question de l’innovation est au cœur de ces processus mondiaux car elle sous-tend les changements de cycles économiques et ainsi les évolutions des profils économiques des villes au cours du temps. Dans mes recherches, l’innovation peut se définir au sens large, comme une invention qui est acceptée socialement. Plus précisément, elle fait référence à un ensemble de nouveaux produits, de nouvelles activités ou encore de nouveaux métiers et aux pratiques sociales qui leur sont corrélées et qui apparaissent plus ou moins dans les mêmes temporalités. Il semble que, par ces corrélations entre les

multiples modalités du changement en cours, les cycles d’innovation constituent un véritable moteur dans l’évolution des systèmes urbains (Figure 39) tout en ayant un très large impact sur les différentiations fonctionnelles de ces systèmes (Hall et Preston, 1988).

D. Pumain, résume cette interprétation de la différenciation économique des villes et son évolution. L’image de marque qualifie le degré de tertiarisation de l’activité de chaque ville, l’innovation, sa plus ou moins grande capacité à s’adapter au changement en cours. Deux types stables d’évolution sont identifiés. Le premier associe diversité de l’activité économique en lien avec l’adaptation rapide à toutes les innovations : c’est le modèle des grandes villes. À l’opposé, se trouvent les villes qui n’ont pas pu se diversifier, capter l’innovation au moment où leur spécialisation économique n’était plus en phase avec le cycle du moment : c’est le déclin. Ces positions ne sont pas définitives, des bifurcations peuvent se produire. (Paulus, 2004)

Figure 39. L’évolution de la différenciation économique des villes : un modèle

Source : D. Pumain, 2007 Sur le temps long, la succession des cycles d’innovation (chapitre 1), depuis le XVIIe

siècle et la révolution des transports maritimes jusqu’au début du XXIe siècle et l’ère des NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), nouveau cycle en cours, est un processus quasiment mondialisé et repérable sur tous les territoires, dans des temporalités différentes. Il a été plusieurs fois démontré que sur ces territoires, les villes, systèmes ouverts et dynamiques, représentent des lieux de maximisation des interactions sociales (Claval, 1981), de l’innovation (Bettencourt, 2007) et de l’hybridation.

Inventors and innovators do not operate in isolation; the creation of new ideas is a process that very often involves the integration and recombination

of existing knowledge originating from different individuals, locations, institutions and organizations (Lenski, 1979, Mokyr, 2002 and Fleming, 2001). The size, density and compactness of urban centers foster interpersonal interactions, thus creating greater opportunities for enhanced information flows. As a result, historically cities have been the places where much innovation has occurred. (Bettencourt et al., 2007)

Les villes, notamment les plus grandes, sont en effet des matrices d’émergence de la créativité, par le niveau élevé d’information, de populations qualifiées ou encore la diversité et la capacité de leurs infrastructures. Au sein des villes, les populations urbaines et l’ensemble des acteurs, tels que les entreprises, les autorités locales, les citoyens, sont au cœur d’un processus compétitif et concurrentiel pour attirer, capter et adopter les innovations. Dans ces processus fortement encouragés par la circulation des savoir-penser et des savoir-faire, des modèles et des compétences, selon des sens de circulation très diversifiés (classiquement nord-sud dans les processus mondialisés mais de plus en plus sud-sud et également sud-nord), les villes sud-africaines sont fortement insérées et ce, depuis longtemps.

Mon objectif n’est pas seulement de savoir si l’urbanisation est un moteur de développement économique et d’innovation dans le cas sud-africain, même si cette question est particulièrement pertinente dans les pays en pleine émergence, comme l’Afrique du Sud et l’ensemble des BRICS38, notamment le Brésil, l’Inde ou la Chine (Turok, 2014), où l’urbanisation présente un rythme plus élevé que dans les pays du Nord39 (Tableau 7 et Figure 40). De nombreuses études s’intéressent à ces « positive feedbacks » entre croissance urbaine et croissance économique dans de très nombreux pays (Duranton et Puga, 2004 ; Scott et Storper, 2006 ; Henderson, 2010). V. Henderson, par exemple, confirme la forte corrélation entre urbanisation et revenu moyen pour un très grand nombre de pays, même si d’autres facteurs entrent en jeu.

38 The BRICS is a grouping of fast-growing, middle income, emerging powers to rival Europe and North America (Turok, 2014)

39 Le travail mené au sein de l’ERC GeoDiverCity et les publications récentes (ou en cours) représentent un apport de nouvelles connaissances dans le champ, encore peu développé, des études quantitatives appliquées sur les villes dans les BRICS, comme le notent Overman et Venables (2010) « They have been few quantitative studies of agglomeration economies in the BRICS and other developing countries ».

Tableau 7. Relation entre urbanisation et développement dans les BRICS

Figure 40. Relation entre richesse et urbanisation dans les BRICS

Source : Turok, 2014 Dans mes travaux, il s’agit également d’analyser le changement économique à l’échelle de l’ensemble du système des villes, de repérer les aménités urbaines favorables à l’émergence de l’innovation. Plus encore, je souhaite mettre en regard les permanences et les changements, c’est-à-dire les réactions des villes et du système de villes face aux perturbations observées dans la sphère économique et réfléchir aux moyens de mesurer et d’expliquer les processus qui sous-tendent les trajectoires urbaines.

Encadré. Appréhender la dimension économique des villes

Les recherches menées ont entrainé la construction de bases de données spatio-temporelles permettant de saisir la complexité du changement urbain dans ses dimensions économiques (et non plus seulement démographiques). Ces bases mesurent l’évolution de la répartition de la population active urbaine par secteurs d’activités (Industry) mais aussi la répartition de la population active par catégorie sociale (Occupational Group)40. Certaines de ces bases existaient déjà comme pour la France

40 Pour les catégories sociales, les bases de données ont été construites pour une seule date (aux alentours de 2000 selon les pays). Le projet d’une base spatio-temporelle sur la répartition de la population active par catégorie sociale pose un problème de faisabilité sur le temps long en raison

(Paulus, 2007). D’autres ont été élaborées plus récemment ; comme celle que j’ai réalisée seule sur les villes sud-africaines ou celle, en collaboration avec F. Paulus, sur les villes des États-Unis. Les deux premières bases ne soulèvent pas de fortes contraintes dans la collecte des données. Pour la France, 354 villes (aires urbaines) sont prises en compte et les données prennent en compte l’emploi pour six dates de recensement, de 1960 à 1999. Chaque ville est définie par la part de l’emploi dans une nomenclature de 32 secteurs économiques (NES-Nomenclature économique de synthèse, INSEE). Pour les États-Unis, 728 villes (définies comme Metropolitan and Micropolitan Areas) sont décrites avec des données similaires entre 1970 et 2000 (issues de la classification NAICS et du National Historical GIS de l’University of Minnesota). En revanche, construire une base de données similaire pour les villes sud-africaines est beaucoup plus complexe car l’accessibilité de ce type de données est rare pour les périodes plus anciennes (fichiers seulement sur papier ou versions numérisées lacunaires). Depuis la fin de l’apartheid, ces données sont désormais numérisées mais les dernières, celles du recensement de 2011, ne sont toujours pas accessibles à ce jour. Autre écueil, celui de l’échelon territorial auquel sont enregistrées les données de la population active. Hormis pour quelques aires métropolitaines importantes, nous ne disposons des données qu’à l’échelle du magisterial district41 pour les années de 1960 à 1991. Cela signifie que les données collectées ne sont pas à l’échelle des villes mais dans une maille plus large. Considérant que l’essentiel des emplois est concentré dans la ou les localités du magisterial district, on peut admettre que ces données sont un proxy pertinent de l’évolution économique des villes. Pour 2001, les données par Mainplace et Subplace étant disponibles, j’ai pu les agréger à l’échelle des agglomérations urbaines (304 entités). L’autre défi propre à l’Afrique du Sud concerne la mesure de l’informel. Les emplois relevant en effet du secteur économique informel, caractéristique des pays du sud et des pays émergents est difficilement mesurable (Vacchiani-Marcuzzo, 2004) si ce n’est par le prisme de catégories un peu floues du type « Undeterminable » ou « Not applicable ». Il est important de noter également que la part d’emplois dans le secteur informel ou « second economy » est relativement faible en Afrique du Sud (Kingdom et Knight, 2004), comparée à d’autres pays émergents (certaines mesures avancent un taux de 25% contre 45 % de l’emploi total au Brésil, 53 % en Chine et près de 90 % en Inde). Cependant, le taux de chômage (unemployment) est très élevé en Afrique du Sud (25%) alors que les autres pays émergents sont autour de 4% pour l’Inde et la Chine et 8% pour le Brésil. Cette réalité met en avant une différenciation, à caractère certainement idéologique, dans les mesures de l’emploi. Au final, la non prise en compte de l’informel dans les statistiques est-elle un biais ? Si l’on considère qu’il s’agit d’un circuit inférieur (Santos, 1975), celui-ci se retrouve partout et de manière non différenciée donc sa non prise en compte n’est pas vraiment un biais pour l’analyse des profils économiques des villes.