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81 Espèces d’espaces, Paris, Galilée, 1974

Dans mon parcours, la bifurcation en direction d’autres terrains que sont les États-Unis et la France a rendu possible ce retour sur l’Afrique du Sud, terrain investi précédemment. C’est justement parce que j’ai mené des recherches sur les transformations des villes dans d’autres contextes territoriaux, que j’ai pu poser un nouveau regard sur les villes sud-africaines et apporter des éléments de réponse originaux aux questionnements posés, et notamment avancer que le système des villes, sur ce territoire, est hybride. La comparaison s’est révélé un prisme d’analyse déterminant qui a guidé la démonstration menée dans ce volume en deux temps.

Tout d’abord, les logiques qui sous-tendent la mise en place du peuplement sud-africain, sur le temps long, sont assez semblables à celles observées dans d’autres contextes territoriaux, mais elles ont articulé certains aspects seulement de chacune de ces histoires, qu’il s’agisse des États-Unis (colonisation de peuplement, fronts pionniers, rôle du chemin de fer dans la systémogenèse urbaine) ou des pays européens anciennement urbanisés (semis urbain relativement dense, distance interurbaine faible, niveaux intermédiaires de la hiérarchie urbaine développés) ou encore des pays émergents (rythme de croissance fort et rapide, mobilités élevées entre espaces rural et urbain). Pour analyser ces logiques, j’ai privilégié des approches issues d’univers conceptuels et méthodologiques divers, afin de croiser les regards sur l’analyse de la mise en peuplement des territoires. Cela m’a permis de mettre en avant l’existence de singularités irréductibles dans le fait urbain en Afrique du Sud, tout en démontrant que cela n’interdit pas la recherche des généralités et que cela révèle le caractère hybride de l’urbain, qui est une dimension de sa propriété fondamentale d’adaptabilité. Dans un second temps, l’analyse des transformations des profils socio-économiques des villes pendant les dernières décennies met en avant les évolutions parallèles des fonctions urbaines en Afrique du Sud vers des activités innovantes, socle de la New Economy, proches de celles observées dans d’autres pays, tout en révélant des décalages temporels et des spécificités qui viennent renforcer l’intermédiarité des situations observées. Là encore, différentes approches méthodologiques ont été mobilisées pour mener cette démonstration.

D’autres chercheurs, avant moi, ont observé les changements survenus dans les villes sud-africaines, mais souvent à d’autres échelles et suivant d’autres méthodes. La question de l’hybridité émerge de temps en temps dans ces travaux pour tenter notamment d’expliquer la situation « post »-apartheid, davantage dans un contexte d’analyse postcoloniale. Elle est alors utilisée pour désigner la situation territoriale qui, en même temps qu’elle se transforme rapidement, laisse visibles les traces du passé (et celles de l’apartheid tout particulièrement), ou encore pour aborder les télescopages spatio-temporels que l’on observe dans les transformations socio-spatiales. Si ces points de vue sont tout à fait pertinents et apportent des éléments convaincants, je n’inscris pas

mes recherches dans la même temporalité. C’est sur des temps plus longs que la seule période post-apartheid et sur des processus plus larges que j’ai tenté de démontrer l’hybridité des villes sud-africaines, l’intermédiarité de leurs dynamiques démographiques et économiques, qui en soi, les rendent spécifiques. Outre ces différents courants, qu’ils soient conceptuels ou méthodologiques, j’aimerais surtout avancer que le croisement des regards et la multiplicité des approches sont toujours complémentaires et féconds dans l’appréhension des dynamiques spatiales. Si certains vont privilégier une entrée par le terrain, par les acteurs, par les processus sociaux ou politiques, je suis davantage guidée par le souci de la mesure et de la temporalité des processus qui affectent l’espace, par un besoin de les démontrer et de les valider, même s’il s’agit parfois d’évidences. Je suis convaincue que seule une approche multidimensionnelle permet d’expliquer la complexité observée.

Au-delà de la dimension scientifique, je souhaiterais que les réflexions contenues dans ce volume interagissent avec des questions de politique urbaine et régionale. Il me semble en effet opportun d’établir un lien plus fort entre les recherches fondamentale et appliquée dans les réflexions et les mises en pratique sur le futur des villes, en Afrique du Sud mais aussi dans d’autres pays émergents. En Afrique du Sud, le développement et la gouvernance des villes sont au cœur des préoccupations des acteurs locaux, notamment dans un contexte nouveau, celui d’une sortie du post-apartheid caractérisée par l’arrivée de nouvelles générations, nées après 1994, davantage tournées vers l’avenir que sur les héritages. Informer les décideurs et autres acteurs sur les trajectoires économiques des villes, de leur passé à leur futur possible, peut grandement contribuer à la dimension prospective.

In fine, s’arrêter un instant et réfléchir au chemin parcouru, à la cohérence de la trajectoire des diverses recherches réalisées (ou aux bifurcations inexpliquées), aux contributions que l’on souhaite apporter à la discipline, qu’elles soient théoriques, empiriques ou méthodologiques mais aussi (et surtout) réfléchir à tout ce qui n’a pas été fait mais qui reste à faire, à toutes les pistes simplement ouvertes mais encore non empruntées, telle est, en quelques mots, mon idée de l’habilitation telle que je l’ai pensée et mise en œuvre.