aux Antilles, car les délais de baptême y sont généralement plus longs qu’en Europe. Cette
difficulté, lourde pour le traitement démographique, reste peu handicapante pour celui de la
prénomination. Lors de la période révolutionnaire, l’enregistrement est extrêmement
perturbé, quand il n’est pas purement interrompu par l’exil du prêtre. L’exil temporaire,
voire définitif, de familles (surtout de Blancs créoles) laisse échapper une partie des
naissances, car le baptême a pu être dispensé ailleurs, particulièrement en Guadeloupe. On
en retrouve toutefois quelques-unes ultérieurement, si la famille revient sur place sans
avoir fait baptisé ses enfants entre temps. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la régularité
de l’enregistrement des naissances de libres de couleur, par exemple de 1763 à 1767. Les
libres de couleur ont tout intérêt à se faire enregistrer, car cela constitue une preuve de
208 Ainsi, de nombreux baptêmes de familles de Rivière-Pilote et de Fort-de-France sont enregistrés au Trou-au-Chat durant l’année 1793.
liberté par la suite, tant pour soi que pour sa descendance. Pour les curés, il s’agit d’une
obligation à la fois légale et religieuse. Les registres portent très souvent en première page
la mention « Blancs et libres », mais on rencontre parfois la simple mention « pour les
Blancs ». Pour autant, les registres en question comprennent des baptêmes d’enfants de
couleur. L’expression traduit simplement le fait que les Blancs constituent à ce moment la
majorité des libres (80,3% des actes au moins), mais aussi le fait qu’être blanc c’est être
libre. Par glissement de sens, tout individu libre, même de couleur, partage une
caractéristique qui l’assimile aux Blancs. Malgré tout, quelques paroisses sont suspectes de
n’avoir pas ou mal enregistré les naissances de libres de couleur de 1763 à 1767 :
Case-Pilote (aucune naissance d’enfant de couleur) et Grande Anse (une seule), peut-être le
Carbet et Sainte-Marie. Cependant, les effectifs sont faibles et le groupe des libres de
couleur semble assez mobile (enregistrement dans une paroisse voisine toujours possible).
Ainsi, on relève peu d’actes d’enfants de couleur pour Saint-Pierre Le Mouillage, mais il
s’agit sans doute moins d’un sous-enregistrement que d’une habitude consistant à les
baptiser dans l’autre paroisse de la ville, Saint-Pierre Fort
209. Il est tout à fait probable que
des enfants de libres de couleur nés dans une paroisse contiguë aient été baptisés à
Fort-Royal, où les baptêmes de libres de couleur sont très élevés au regard du nombre de
femmes
210. En conséquence, il semble qu’il n’y ait pas eu dans l’ensemble une mauvaise
déclaration des baptêmes des enfants libres de couleur durant cette période.
Le dernier facteur de sous-enregistrement est la confusion, limitée cependant, commise
par certains prêtres entre le registre des libres et celui des esclaves. Quelques actes,
initialement reportés parmi les esclaves, sont ultérieurement recopiés sur le registre des
libres. Il s’agit généralement de libres de couleur, dont la situation a pu prêter à confusion
pour le prêtre, à l’exemple de Marie Anne Angélique, « métive », « inscrite par mégarde
sur le registre des nègres » en 1763
211. Les prêtres pouvaient aussi se montrer peu
rigoureux en la matière, et inscrire des baptêmes de Blancs parmi les esclaves comme à
Case-Pilote où on lit en marge des actes de 1688 « porté au cayer suivant et au revers de la
feuille 4 quelques baptêmes qui se sont trouvés parmi ceux des nègres esclaves ». D’autres
actes de libres ont en outre été repérés sur le registre d’esclaves, sans que leur situation
209 Dans la paroisse du Mouillage, on a relevé 390 baptêmes de Blancs, 22 d’enfants trouvés, un de Métis, et de Mulâtre. Au Fort, 390 baptêmes de Blancs, et 89 libres de couleur.
210 Pour 55 femmes libres de couleur (en 1764), on compte 99 baptêmes de 1763 à 1767, soit proportionnellement deux à trois fois plus qu’au Robert et qu’à la Trinité. Une partie des baptêmes est donc probablement à imputer aux paroisses environnantes, particulièrement Case-Pilote.
211 AD Martinique, reg. par. de Basse-Pointe. En 1758, le curé du Marin signale dans le registre qu’il recopie quelques actes de libres inscrits sur le registre des esclaves (AD Martinique, reg. par. du Marin)
n’ait été régularisée par une nouvelle inscription sur celui des libres
212. Quelques actes de
libres ont donc pu être perdus, mais de façon très marginale. A contrario, quelques enfants
nés d’une mère esclave, et qui le sont donc eux-mêmes au regard du Code Noir, sont
inscrits sur les registres de libres. Ces erreurs sont cependant rares (3 seulement au Marin
du XVII
esiècle à 1805) ou concentrées sur une période courte (7 aux Trois-Ilets et 1 au
Carénage à Sainte-Lucie, en 1764). La monarchie impose par l’ordonnance du 24 octobre
1713 puis par la déclaration du 15 juin 1736 aux curés des îles une grande vigilance en la
matière
213. L’inscription sur le registre des libres est en effet un moyen privilégié utilisé
par quelques maîtres pour rendre leur enfant libre lorsque la mère est esclave
214. Tout
prêtre a donc « très-expresses inhibitions et défenses (…) de baptiser comme libres aucuns
enfants, à moins que l’affranchissement des mères ne soit prouvé auparavant par des actes
de liberté » écrits et authentifiés dont il sera fait mention dans les actes eux-mêmes
215.
Cette disposition doit encore être rappelée en 1761 car « tous les jours les curés sont
surpris par des fausses déclarations, contre lesquelles ils ne peuvent être trop en garde »
216.
La répétition des mêmes avertissements en 1768 montre à quel point les maîtres savent
jouer de leur influence pour favoriser leur descendance illégitime, face à des prêtres dont
l’inadvertance se distingue mal de la connivence
217. A la fin du XVIII
esiècle, le Conseil
Souverain constate toujours l’inapplication de la législation antérieure
218. L’acte de
baptême permet en effet de prétendre à la liberté, sa production étant nécessaire pour être
inscrit sur le registre particulier des affranchissements
219.
212 Sur les 5 cas récupérés, 2 impliquent un père esclave (Case-Pilote, 1758), 1 un ancien esclave (Carbet, 1848), et deux mères (une « libre de la Dominique » à Case-Pilote en 1828 ; une Mulâtresse au Trou-au-Chat en 1778).
213 PETIT (Emilien), Traité sur le gouvernement des esclaves, 2t, Paris : Knapen, 1777, t.1, p.114-116. L’ordonnance d’application est datée du 1er septembre 1736.
214 « Il y en a (…) qui font baptiser comme libres des enfants dont les mères sont esclaves, et qui, par ce moyen, sont réputés affranchis », Ordonnance du Roi concernant l’affranchissement des esclaves des îles françaises de l’Amérique, 15 juin 1736, n°142, p.397, DURAND-MOLARD, Code de la Martinique, op.cit., t.1, p.398.
215Ibid.
216 Ordonnance concernant les affranchis, 1 septembre 1761, n°241, DURAND-MOLARD, Code de la Martinique, op.cit., t.2, p.105.
217 Ordonnance concernant les libertés données aux esclaves sans permission du gouvernement, 5 février 1768, ibid., n°389, p.559. Un nouveau rappel est lancé en 1776 (ibid., n°508, p.258).
218 Arrêt du Conseil Souverain concernant les baptêmes des gens de couleur libres se disant libres, 10 novembre 1796, ibid., t.4, n°856, p.332.
219 Arrêt des Capitaine-Général et Préfet colonial qui ordonne la vérification des titres dont se trouvent porteurs les gens de couleur se disant libres, 15 mars 1803, ibid., t.4, n°997, p.587.