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Population et anthroponymie en Martinique du XVIIe s. à la première moitié du XIXe s.

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Academic year: 2021

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Population et anthroponymie en Martinique du XVIIe s.

à la première moitié du XIXe s.

Vincent Cousseau

To cite this version:

Vincent Cousseau. Population et anthroponymie en Martinique du XVIIe s. à la première moitié du XIXe s. : Etude d’une société coloniale à travers son système de dénomination personnel. Histoire.

Université des Antilles et de la Guyane, 2009. Français. �tel-01243251�

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UNIVERSITE DES ANTILLES ET DE LA GUYANE Faculté des Lettres et Sciences Humaines

Groupe de recherche AIHP (Archéologie Industrielle Histoire Patrimoine) - EA-929

Thèse de doctorat d’histoire présentée par Vincent COUSSEAU

Population et anthroponymie en Martinique du XVII

e

s. à la première moitié du XIX

e

s.

Etude d’une société coloniale à travers son système de dénomination personnel

Thèse dirigée par Madame le Professeur Danielle BEGOT

présentée et soutenue publiquement le 3 décembre 2009 à Schoelcher, Martinique

Jury :

Madame Danielle Bégot (Professeur à l’université des Antilles et de la Guyane) Monsieur Jean-Luc Bonniol (Professeur à l’université d’Aix-Marseille III)

Madame Denise Turrel (Professeur à l’université de Poitiers)

Monsieur François-Joseph Ruggiu (Professeur à l’université de Paris IV)

Monsieur Erick Noël (Professeur à l’université des Antilles et de la Guyane)

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REMERCIEMENTS

Mes remerciements s’adressent tout d’abord à ma directrice de recherche Danielle

Bégot, qui m’a toujours accordé sa confiance et a permis la réalisation de ce travail. Mes

pensées vont aussi à mes collègues modernistes du département d’histoire de l’université

des Antilles et de la Guyane, notamment Dominique Rogers et Frédéric Régent, à tous

ceux dont les discussions informelles ou les encouragements m’ont fait avancé,

particulièrement Catherine De Firmas et François Regourd, ainsi qu’à mes collègues

historiens de l’université de Limoges. Le personnel de salle des archives départementales

de la Martinique, Mme Thévenard et M. Martinel, se sont toujours montrés attentionnés à

mon égard. Caroline, ma femme, et Françoise, ma mère, ont participé activement à ce

travail pour la saisie des données et les relectures. Leur apport a été décisif. Mes pensées

vont aux maîtres, qui de l’école élémentaire à l’université de Tours, ont su entretenir ma

passion pour l’histoire. Enfin, je dédie ce travail à tous ceux, enfants, parents et amis, à qui

j’ai retiré de mon temps pour la réalisation de ce travail, et à la Martinique, cette île

étourdissante que me fît découvrir mon ami Philippe Baretto de Souza il y a 20 ans.

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SIGLES ET ABREVIATIONS

AD : Archives Départementales AN : Archives Nationales (Paris)

ANOM : Archives Nationales de l’Outre-Mer (Aix-en-Provence) Arch. : Archives

BNF : Bibliothèque Nationale de France (Paris) Cart. : Carton

Ds. : Dossier

DPPC : Dépôt des Papiers Publics des Colonies E.c : Etat civil

Reg. par. : Registre paroissial

FM : Fonds Ministériels

SG : Série Géographique

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SOMMAIRE

REMERCIEMENTS 3

SIGLES ET ABREVIATIONS 4

SOMMAIRE 5

INTRODUCTION 7

PARTIE I : CHAMP D’ETUDE, SOURCES, METHODOLOGIE 21 CHAPITRE I.PRESENTATION DU CHAMP DETUDEDE LA DENOMINATION 23 CHAPITRE II.PRESENTATION CRITIQUE DES SOURCES DISPONIBLES 67 CHAPITRE III.LE PROTOCOLE DE RECHERCHE: DU RECUEIL DES DONNEES AU TRAITEMENT STATISTIQUE 113 PARTIE II : CONSTRUCTION ET MUTATIONS D’UNE POPULATION INSULAIRE 151

CHAPITRE I.OCCUPATION ET PEUPLEMENT DUN TERRITOIRE 155 CHAPITRE II.FORMATION ET DIVERSITE DUNE SOCIETE COLONIALE ESCLAVAGISTE 201

CHAPITRE III.DES INFLUENCES CULTURELLES VARIEES 251

PARTIE III : POPULATIONS EN EQUILIBRE: FAMILLE, METISSAGE ET PARRAINAGE . 293

CHAPITRE I.LE MOUVEMENT NATUREL DE LA POPULATION 295

CHAPITRE II.FAMILLES, ILLEGITIMITE ET METISSAGE 331

CHAPITRE III.LE PARRAINAGE : UN REVELATEUR DU SYSTEME DE RELATIONS SOCIALES 417 PARTIE IV : CORPUS ET SYSTEME DE PRENOMINATION 469

CHAPITRE I.DE LA NOMINATION AU CORPUS 471

CHAPITRE.II.LE SYSTEME DE PRENOMINATION 548

PARTIE V. LA NOMINATION, MIROIR DES APPARTENANCES 621 CHAPITRE.I.LE NOM, EXPRESSION DES INFLUENCES CULTURELLES 625

CHAPITRE.II.L’INNOVATION ET SES CHEMINEMENTS 671

CHAPITRE.III.NOMS USUELS ET APPELLATIONS 725

CONCLUSION 771

SOURCES 793

A.SOURCES IMPRIMEES 793

B.SOURCES MANUSCRITES 798

(7)

BIBLIOGRAPHIE 804

A.HISTOIRE DE LA MARTINIQUE ET DES AMERIQUES 804

B.IDENTITES ET PARENTES 815

C.LA PRENOMINATION, NOM ET METHODOLOGIE 818

ANNEXES 827

TABLE DES MATIERES 892

TABLE DES ANNEXES 903

TABLE DES TABLEAUX, GRAPHIQUES, CARTES ET FIGURES 905

(8)

INTRODUCTION

Tout individu venu sur Terre reçoit une dénomination qui le construit comme entité autonome, « Grand ou petit, il n’est point d’homme si ignoré qui n’ait reçu un nom au moment où sa mère l’a mis au monde »

1

. Le nom individuel relève de l’évidence et son attribution est si banale, qu’en faire un objet d’étude a longtemps semblé incongru.

L’histoire s’ouvrant à l’examen des pratiques sociales et des mentalités dans la lignée de l’Ecole des Annales, son caractère universel s’est mué en atout. L’étude des noms attribués à la naissance fait partie de ces champs dont Marc Bloch entrevoit le premier, dès 1932, l’intérêt prévisible : « les résultats seront merveilleux lorsque nous en posséderons vraiment la technique »

2

. Les travaux menés depuis lors ont confirmé tout le potentiel de l’étude du nom individuel comme signe et révélateur social et culturel. L’attribution du nom résulte de facteurs et d’arbitrages variés où entrent en jeu les motivations des donateurs et leur environnement. A l’époque moderne, on voit ainsi le prénom témoigner des sensibilités religieuses dans une vaste étude collective sur le Limousin, ou encore agir comme un signe d’appartenance à l’échelle d’une communauté protestante minoritaire

3

. L‘étude historique des prénoms est aussi un moyen de découvrir les structures familiales ou d’appréhender les mouvements de mode et d’opinion, particulièrement à partir de la période révolutionnaire. Selon les époques, les groupes et les terrains, on ne saurait en attendre partout les mêmes apports. Revers de la richesse du sujet, la complexité du nom individuel et la diversité des approches en la matière ont été et restent un frein à la généralisation des études sur la « prénomination ». En outre l’incertitude est grande quant à la possibilité d’engranger à coup sûr des résultats explicites et tangibles au-delà des

1 HOMERE, L’Odyssée, VIII, 552-553, Paris : Garnier, 1961, p.119.

2 BLOCH (Marc), « Noms de personnes et histoire sociale », p.67, Annales d’histoire économique et sociale, IV, 1932.

3 PEROUAS (Louis), BARRIERE (Bernadette), BOUTIER (Jean), PEYRONNET (Jean-Claude), TRICARD (Jean) et le groupe Rencontre des Historiens du Limousin, Léonard, Marie, Jean et les autres. Les prénoms en Limousin depuis un millénaire, Paris : Editions du CNRS, 1984 ; COUSSEAU (Vincent) « Sociabilité, parenté baptismale et protestantisme, l’exemple de Preuilly (1590-1683) », Bulletin de la Société d’Histoire du Protestantisme Français, t.141, 1995, p.234-241.

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simples comptages, d’autant que si le matériau est aisément accessible sa collecte est fastidieuse et ingrate.

Ces raisons contribuent sans nul doute à expliquer qu’aucune enquête de grande ampleur sur la prénomination n’a été menée sur les sociétés esclavagistes de l’Outre-Mer français, même si quelques contributions montrent que le caractère innovant du thème n’a pas échappé à tous. Pourtant la question du nom individuel de naissance semble particulièrement pertinente pour ces espaces colonisés. Elle permet d’abord d’entrer au cœur du fonctionnement social des sociétés coloniales sans avoir à en passer par les fourches caudines des discours et des postures des commentateurs contemporains. Le thème permet surtout de répondre à des interrogations propres à une société en cours de formation et d’un type nouveau, dans laquelle les équilibres antérieurs connus par les populations sont balayés ou fortement perturbés. Dans la cascade de recompositions nécessaires, les repères anthroponymiques restent pour les uns familiers, pour les autres s’imposent comme une nouveauté complète. Pour tous cependant, le nom individuel constitue une marque signifiante d’une position sociale redéfinie. Ainsi la circulation des biens symboliques permet-elle de tracer les contours des différents groupes humains, de mesurer quels sont les échanges entre eux et ainsi d’entrevoir une porosité si souvent refoulée. En effet, du milieu du XVII

e

siècle à l’abolition de 1848, la Martinique est structurée par l’institution esclavagiste, socle d’une société sous tension et juridiquement fragmentée. L’organisation sociale est inscrite sous le sceau de la loi, qui fixe chacun dans des obligations inégales. L’île connaît pourtant de profondes mutations de son organisation sociale au cours de ces deux siècles. D’une société duale, fondée sur l’opposition binaire colon européen/esclave africain, on passe à une société créolisée et profondément complexifiée. Le renouvellement de la population, avec l’apparition de la nouvelle classe d’hommes des libres de couleur, la multiplicité des échanges culturels internes et externes ou encore les aléas économiques et politiques entraînent l’île dans un processus de renouvellement permanent.

Dans une société nouvelle où rien n’est a priori évident pour personne, chaque groupe

constitutif de la société est en phase d’adaptation sociale et culturelle. La réalité même

d’une société martiniquaise ne va pas de soi tant les intérêts et les modes de vie semblent

divergents et prennent support sur une législation et des réflexes discriminatoires. A l’orée

du XIX

e

siècle, le préfet colonial P.-C. Laussat, songeur suite à une tournée dans l’île,

laisse échapper cette réflexion : « En parcourant ces maisons, ces campagnes, une réflexion

(10)

assaille l’esprit : c’est que ce n’est vraiment pas un Peuple »

4

. La Martinique n’est-elle toujours qu’une juxtaposition de populations plus ou moins antagonistes et étanches ? L’insularité, les échanges nécessaires et quotidiens entre tous les acteurs de la société, créent pourtant de fait une société, agrégat d’habitations surtout, mais aussi de bourgs et de la ville de Saint-Pierre. La longévité de cette société, qui n’avait certes rien d’inscrit, invite à s’interroger sur l’organisation de son système de relations sociales et d’échange, à son fonctionnement et à ses adaptations. On peut se situer soit au niveau de la société insulaire prise dans son ensemble, tout en se montrant en l’espèce très attentif aux différences internes, soit au niveau de chaque ethnoclasse (colons et leurs descendants, libres de couleur et esclaves). Chacune d’elles possède une cohérence sociale et raciale plus ou moins affirmée qui la distingue des deux autres. Elle est formalisée par la réglementation et la législation dès le XVII

e

siècle, qui par leur « puissance performative » contribuent au maintien de leur homogénéité

5

. Cependant, ces trois ethnoclasses distinguées au XVIII

e

siècle, ne sont pas aussi étanches que d’aucuns ne le souhaiteraient. L’existence même du groupe des libres de couleur par le métissage en constitue la meilleure illustration. Le découpage strict de la société en trois groupes correspond à une lecture particulière de la société qu’il est nécessaire de relativiser. En effet chacun connaît une diversité interne qui transparaît avec régularité. De plus, et inversement, la cohérence de chaque ethnoclasse, si elle est établie par la loi jusqu’à la monarchie de Juillet et à l’abolition, peut continuer d’exister sans elle. Quel que soit l’ordre juridique qui organise la société, chaque individu peut continuer à s’identifier, volontairement ou non, à la vision du monde dominante du milieu duquel il est issu. Aussi, davantage que des groupes définis par un statut juridique, nous les considérerons au sens sociologique et selon le périmètre qu’en propose Pierre Bourdieu

6

. L’étude de la société martiniquaise engagée ici se propose de caractériser chacun des groupes de population par la façon dont ils se constituent, se maintiennent et se projettent en relation avec les fonctions et usages de la prénomination. Le signal envoyé

4 ANOM, C8a/111, f°111. Rapport de M. Laussat au Vice-Amiral Decrès, ministre de la Marine et des colonies, 20 prairial An XII.

5 Pour G. Noiriel, « Lorsque les représentants d’un Etat élaborent et appliquent une loi, ils mettent toujours en œuvre un double processus de catégorisation et d’identification des personnes, grâce auquel les décisions qu’ils ont prises affectent concrètement les individus qu’ils visent » (préface de l’ouvrage de SAADA

(Emmanuelle), Les enfants de la colonie. Les métis de l’Empire français entre sujétion et citoyenneté, Paris : La Découverte, 2007, p.8).

6 « S'il est exclu que tous les membres de la même classe (ou même deux d'entre eux) aient fait les mêmes expériences et dans le même ordre, il est certain que tout membre de la même classe a des chances plus grandes que n'importe quel membre d'une autre classe de s'être trouvé affronté en tant qu'acteur ou en tant que témoin aux situations les plus fréquentes pour les membres de cette classe ». BOURDIEU (Pierre), Le sens pratique, Paris : Editions de Minuit, 1980, p.100.

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par le choix du nom individuel doit permettre de mesurer la nature et la fréquence des échanges qu’ils tissent entre eux et vis-à-vis de l’extérieur, et par là même de reconstituer en partie le système de relations sociales.

Ces objectifs nécessitent d’avoir recours non seulement à la production scientifique historique, mais aussi à l’anthropologie. Or ces deux disciplines ont été jusqu’à nos jours profondément marquées par les débats coloniaux primitifs sur l’esclavage. Ainsi la familiarité avec la diversité des interprétations inspira sans doute à l’un des premiers historiens de la Martinique, le renoncement à une objectivité estimée impossible. Pour E. Rufz de Lavison, on n’écrit jamais l’histoire que de son propre point de vue

7

. Exact contemporain d’Auguste Comte, il devient l’un des premiers détracteurs du positivisme naissant. Avec une subjectivité assumée, il n’est guère étonnant que certains attendent de celui qui travaille sur l’histoire antillaise d’expliciter ses intentions ou ses objectifs

8

.

Les sciences humaines insistent depuis longtemps sur les dysfonctionnements de la société esclavagiste et sur sa violence intrinsèque. Dans une lecture binaire de la société coloniale esclavagiste où l’opposition est inexorable, toute la vie de l’esclave est orientée par un conflit fondamental, exprimé ou considéré comme sous-jacent quand il ne se manifeste pas ouvertement. Les actes des esclaves ne correspondant aux normes ou comportements voulus par les maîtres ont été unifiés sous le concept de « résistance » : empoisonnements, infanticides, suicides, marronnage. Etendu à d’autres champs d’action de l’esclave (le concubinage servile, la danse ou la langue créole) et à toute la population, le concept postule que les esclaves tendent en permanence vers la restitution de leur liberté volée. Pour les philosophies occidentales de l’émancipation comme le libéralisme, les socialismes et l’anarchisme, tout individu ou groupe dominé ne peut avoir comme préoccupation profonde que de tendre vers son affranchissement. L’esclave exemplaire devient l’esclave marron, révolté, ou qui s’échappe des normes et préjugés des dominants en trouvant refuge dans ses racines africaines. La démarche a contribué à construire une représentation exactement inverse de celle du « bon esclave » soumis et docile. Les attitudes des esclaves intégrant les règles, notamment ceux attachés au service du maître, sont au contraire unifiées par le concept « d’aliénation ».

7 « La prétention de rendre la vérité vraie, de s’élever à l’impartialité ou de posséder une compréhension globale des événements doit mettre en défiance contre celui qui veut l’afficher ». RUFZ DE LAVISON

(Etienne), Etudes historiques et statistiques sur la population de la Martinique, Saint-Pierre : Carles, 1850, préface.

8 En 2004, un maître de conférences de l’UAG me demandait ainsi si j’allais écrire une histoire favorable aux

« békés » ou aux « Antillais ». Beaucoup d’auteurs présentent leurs travaux comme une offrande aux victimes de l’esclavage, ou comme une révélation d’un passé occulté.

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La dialectique résistance/aliénation doit son succès à son utilité pratique, puisqu’elle a permis dans un premier temps de justifier et de donner sens à des actes jusque-là jugés déviants, et à sa pertinence ensuite par l’interprétation des comportements d’une population dominée. Elle permet de relier de nombreux actes des esclaves à un objectif d’émancipation qui ne trouve qu’à titre exceptionnel une manifestation publique. L’esclave réifié devient l’objet d’un discours cohérent où il est cantonné au rôle de la victime maltraité par le colon cupide, lui-même aliéné par l’exercice de sa propre domination. Il se trouve que cette situation malsaine se trouve déjà énoncée dans le théâtre des Lumières

9

, et a été reprise de façon nuancée par les abolitionnistes. Il s’agit donc d’une représentation féconde, à la fois terrible et rassurante par son systématisme, dont les origines apparaissent à la fois littéraires et scientifiques.

Les résultats accumulés par cette dialectique de la domination sont nombreux, mais il faut se demander aussi jusqu’à quel point elle n’est pas devenue un réflexe et une simple commodité

10

. Des évolutions majeures comme le métissage, la christianisation et même la créolisation ont bien du mal à s’intégrer totalement à cette grille de lecture. Le témoignage d’Eugène Sue lors de son voyage en Guadeloupe, partisan résolu de l’abolition, montre l’étonnement face à une réalité complexe, rétive aux explications mécanistes

11

. Comprendre comment une société fondée sur l’exploitation et la domination fonctionne durablement nécessite de faire intervenir d’autres concepts en complément. S’intéresser exclusivement aux lignes de tension ne semble pas suffisant, car si « dire qu’une société fonctionne est un truisme, dire que rien ne fonctionne est une absurdité » (Claude Lévi- Strauss). Le concept d’accommodation a l’avantage de partir du quotidien de l’individu et de son vécu. Il est cependant moins héroïque puisqu’il attribue à l’esclave une forme d’acceptation de la situation qui lui est imposée. Toute description ou anecdote qui tend à montrer la normalité du fonctionnement social peut être perçue comme un argument contre l’émancipation, et est effectivement utilisé comme tel dans les textes favorables au

9 MARIVAUX (Pierre de), L’île des esclaves, 1725.

10 F. Affergan met en garde contre les limites du binarisme logique pour l’étude des sociétés ultra-marines contemporaines. (« Vers une anthropologie du post-colonialisme ? », Ethnologie française, 2002, n°2, t. XXXVII, p.587).

11 Il assiste à la veillée mortuaire d’un « nègre marron », qui s’était enfui « dans la crainte du supplice », à laquelle colons et esclaves se trouvent paradoxalement réunis pour la prière du soir autour du défunt. Il s’avoue en outre surpris par le comportement des esclaves qu’il croise : « Leur gaieté m’étonne : je ne conçois pas comment des gens vivant dans l’esclavage peuvent paraître aussi contents de leur sort ». Ces propos sont publiés dans la Revue des Deux Mondes, revue abolitionniste qui n’omet pas d’en souligner l’ambiguïté. SUE (Eugène), « Lettres sur la Guadeloupe », lettre n°2, in Revue des Deux Mondes, octobre- novembre-décembre 1830 (cité par SHMIDT (Nelly), Abolitionnistes de l’esclavage et réformateurs des colonies. 1820-1852. Analyse et documents, Paris : Karthala, 2000, p.101-102).

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maintien de l’esclavage. Révéler des fonctionnements non fondés sur l’exercice d’une domination brutale reste ainsi ambiguë jusqu’à aujourd’hui. Le système colonial repose certes sur la domination, mais ses ressorts ne sont pas toujours conscientisés par ceux qui en profitent ou en sont les organisateurs. L’Eglise, par exemple, est parcourue de contradictions à ce sujet, et ses membres interviennent tantôt comme une force de consolidation de l’ordre en vigueur, tantôt comme une force émancipatrice et égalitariste.

Ce que l’on qualifie d’aliénation ou d’accommodation repose sur toute une série de transferts symboliques plus volontiers repérés en anthropologie qu’en histoire.

La littérature anthropologique antillaniste utilise principalement comme matériau des observations postérieures à 1848 (attitudes, contes, enquêtes et observations) le plus souvent du XX

e

siècle même, ou se limite aux quelques chroniqueurs de l’époque moderne les plus connus. Ses objectifs sont distincts de la discipline historique, mais l’une comme l’autre ont à veiller à ne jamais considérer la documentation de l’époque post-esclavagiste comme a priori opérante pour la connaissance des fonctionnements de la période antérieure et à ne les utiliser alors qu’à titre d’hypothèse. La démarche inverse, qui consiste à partir de la culture d’arrivée, contemporaine, n’est pas valide d’un point de vue historique. Partir des réalités postérieures à 1848 pour comprendre la période esclavagiste n’est ni plus ni moins que s’adonner à la téléologie. En revanche, il est nécessaire de connaître les cultures d’origine des populations arrivées aux Antilles pour comprendre les recompositions à l’œuvre. C’est pourquoi on a eu recours à l’anthropologie antillaniste de façon sélective, en privilégiant les auteurs qui ont développé une approche historique en parallèle à leur activité d’anthropologues. La bibliographie proprement historique utilisée se concentre sur les Antilles françaises et particulièrement la Martinique. Les espaces autres n’ont pas fait l’objet d’une investigation approfondie, l’objectif étant seulement de recueillir quelques éléments de comparaison, d’où l’absence de toute exhaustivité pour les îles anglaises les plus proches et pour celles sous souveraineté française, et une sélectivité accrue pour les titres portant sur les espaces hispaniques, lusophones et nord-américain.

Outre les difficultés d’ordre épistémologique, l’enquête menée soulève aussi des difficultés spécifiques d’ordre documentaire. Depuis le XVIII

e

siècle, les sources descriptives et les témoignages à propos des Antilles sont articulés autour des nombreux débats et avis contradictoires émis sur la nature et la légitimité du régime colonial.

La Martinique a la chance d’avoir abrité deux chroniqueurs scrupuleux pour le XVII

e

siècle avec le Père Du Tertre et le Père Labat. Il faut attendre ensuite l’ouvrage de J.-B.

Thibault de Chanvalon, dans la décennie 1750, pour obtenir d’autres descriptions publiées

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traitant de la société antillaise. Ensuite le débat sur l’esclavage déteint sur une grande partie de la documentation produite du dernier tiers du XVIII

e

siècle à l’abolition, et se double de celui sur la situation des libres de couleur. La plupart des témoignages conservés s’en trouvent profondément biaisés, même si certains, par leur caractère privé, restent d’un apport tout à fait précieux, comme les mémoires de P.-C. Laussat et le journal du colon Pierre Dessalles

12

. Les descriptions et remarques sur l’organisation de la société coloniale produites à l’époque considérée gravitent en permanence autour de ces thèmes au point de rendre la plupart d’entre elles difficiles à manipuler pour notre objet. Les avis se multiplient sur les politiques qu’il convient de mener en matière économique et de défense des « intérêts coloniaux », ou à propos de groupes particuliers comme les Blancs créoles, les esclaves ou encore des libres de couleur. Toute la littérature abolitionniste, de l’abbé Raynal à Schœlcher, et pro-esclavagiste, de Du Buc à Granier de Cassagnac, ne s’adresse pas aux populations coloniales, qui les connaissent pourtant par de multiples canaux. La plupart des témoins sont des Français de métropole qui écrivent pour le grand public en espérant créer ou renforcer des courants d’opinion favorables à leur position, voire à atteindre directement les sphères dirigeantes. La littérature de combat, assumée ou dissimulée sous le masque commode du voyageur impartial, pose toujours question quant à la fiabilité de l’information factuelle.

La partialité de ces sources rend par exemple délicate la description des conditions de vie matérielle de la population servile. On le constate dès 1776 au moins, avec la comparaison entre esclaves et paysans français

13

. Peu avant la Révolution, ce problème est débattu entre Condorcet, qui écrit sous le pseudonyme de Schwartz, et Malouet

14

. Au XIX

e

siècle, ce thème est développé chez certains esclavagistes, qui comparent le niveau de vie moyen du prolétariat français à celui des esclaves, afin de peindre un esclavage doux. Du côté abolitionniste, V. Schoelcher insiste au contraire sur leur condition dégradée

15

. Il préfère cependant replacer la question de l’esclavage sur le terrain de la morale et des

12 AD Martinique, Fonds Laussat, 24J/1-2, mémoires de Pierre-Clément Laussat ; DESSALLES (Pierre), La vie d’un colon à la Martinique au XIXe siècle, présenté par Henri de Frémont et Léo Elisabeth, 4 t., Fort-de- France : Désormeaux, 1980-1987.

13 ANOM : F3/90, f°169, Du traitement des nègres dans les colonies, 1776.

14 CONDORCET (Jean Antoine Nicolas de Caritat, Marquis de), Réflexions sur l'esclavage des nègres, par M. Schwartz, Neufchâtel : Société typographique, 1781, chap.XII, p.77-78 : « Si on excepte les tems de calamités ou les malheurs particuliers, la vie du journalier la plus pauvre est moins dure, moins malheureuse que celles des Noirs esclaves », affirmation dont l’auteur réfute la pertinence ; MALOUET (Pierre-Victor), Mémoire sur l'esclavage des nègres : dans lequel on discute les motifs proposés pour leur affranchissement, Neuchâtel, 1788. Sa réponse à la quatrième objection cherche à démontrer que « Le Nègre, en Amérique, n’est pas plus subordonné que le soldat, et jouit d’un sort plus doux que le Journalier », p.36.

15 SCHOELCHER (Victor), De l’esclavage des Noirs et de la législation coloniale, Paris : Paulin, 1833, chap.V : « Dire que les esclaves de colonies sont plus heureux que nos paysans, c’est soutenir l’absurde ».

(15)

droits humains

16

. Comme on le voit, une question prosaïque prend immédiatement un tour politique et polémique.

Le même type de problème se retrouve avec la question du rapport des libres de couleur à la terre dans les années 1830-1840, sujet en apparence secondaire dans le débat sur l’abolition. On ne dispose que rarement de témoignages croisés sur le même lieu, comme dans l’exemple suivant en Guadeloupe. A. Granier de Cassagnac, comme les autres écrivains pro-esclavagistes, pointe l’inertie des libres de couleur qui fainéantent à longueur de journée au lieu de cultiver leurs carrés de terre

17

. A l’inverse, le curé abolitionniste Dugoujon, insiste sur l’ardeur au travail de ces hommes

18

. Tandis que l’un pointe leur impréparation, l’autre insiste au contraire sur les éléments qui montrent la maturité des libres de couleur. Dans le premier cas, le souci est de justifier la prépondérance des Blancs créoles, les plus à même de gérer la colonie, dans le second cas il s’agit de montrer que la liberté encourage un rapport sain au travail. Parfois, l’interprétation prend le pas sur la réalité : ainsi, V. Schœlcher prétend-il que les affranchis, en Martinique se détachent de la culture de la terre car elle leur rappelle leur état d’esclavage. L’avis tient avant tout à l’observation, au demeurant exacte, que beaucoup de libres sont artisans, mais cela ne permet pas pour autant d’affirmer qu’il s’agit là d’une réaction liée au traumatisme de l’esclavage. Cette prétendue défiance vis-à-vis de la terre est infirmée par d’autres témoignages et s’explique d’abord par des facteurs socio-économiques qui semblent essentiels dans cette spécialisation artisanale. Encore ne s’agit-il là que des expressions conscientes, car derrière les affirmations de chacun se découvrent aussi des points de vue personnels, voire des erreurs de diagnostic liés à l’application rapide d’une grille de lecture idéologique de la société coloniale. Ces exemples montrent que la littérature de combat, qu’elle soit abolitionniste ou esclavagiste doit être manipulée avec une extrême prudence à chaque fois qu’il s’agit de décrire les conditions de vie des populations et leur rôle dans la société. Plus le thème observé a des incidences sur le débat sur les inégalités de castes, plus

16 C’est ainsi que V.Schoelcher s’en prend à M. Bourgoing, qui prétend, dans le numéro d’octobre 1844 de L’Atelier que la condition matérielle des esclaves est meilleure que celle du prolétariat rural de France. La comparaison est « un blasphème, une calomnie contre la liberté au profit de la servitude », V.SCHOELCHER, Histoire de l’esclavage…, op.cit., t.1, p.265-266. L’abolitionniste ne réfute pas les faits soulignés par le journaliste, au demeurant anti-esclavagiste, mais souligne que cette idée ne peut que desservir la cause de l’émancipation et n’arrangera en rien le sort souvent misérable de la classe paysanne.

17 Lors d’une journée entière, les affranchis des Grands-Fonds en Guadeloupe « ne sont levés que deux fois, pour aller cueillir quelques bananes qu’ils ont mises sous la cendre. Voilà leur vie. Quelques-uns ont défriché un peu plus de terrain, et le travaillent ; ceux-là sont riches ». A.GRANIER DE CASSAGNAC, op.cit., t.1, p.78.

18 L’abbé Dugoujon, fervent abolitionniste, voit au même endroit une population de couleur qui « jouit en général, d’une aisance inconnue aux blancs (…) [ils] embrassent volontiers des métiers et ne dédaignent pas de manier la bêche pour cultiver la propriété qui environne leurs cases » (Abbé DUGOUJON, Lettres sur l’esclavage dans les colonies françaises, Paris : Pagnerre, 1845, p.49-50).

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la fiabilité de l’information est douteuse. Même si elles ne sont pas délibérément inexactes, les descriptions de la réalité coloniale publiées au XIX

e

siècle ne peuvent être manipulées qu’après avoir été replacées dans l’argumentaire contemporain. Cette relative richesse sur l’organisation sociale de la Martinique pose autant de problèmes qu’elles ne peuvent en résoudre et nous en apprennent plus sur les conceptions que sur la réalité vécue par la population elle-même.

Au contraire, la documentation administrative, surtout lorsqu’elle n’est pas destinée à être rendue publique, apparaît d’un niveau supérieur de fiabilité. Beaucoup de ses auteurs (juges de paix, gouverneurs..) n’ont pas l’altération de jugement propre à celui qui se trouve trop impliqué dans la société qu’il décrit et dont le décentrement ethnologique et politique est trop difficile

19

. Mais là encore, même lorsque ces hommes déclarent éviter tout parti pris, ils expriment d’abord une vision administrative souvent éloignée du quotidien du plus grand nombre et donc restrictive. De plus, il reste qu’une partie de la documentation peut souffrir d’un parti pris vu, selon V. Schœlcher, « la connivence des fonctionnaires de nos îles avec les créoles »

20

.

Pour dépasser des visions exprimées in fine par un tout petit nombre d’hommes, le recours aux sources du quotidien, quoique plus difficiles d’accès et plus arides, reste indispensable. Parmi elles les sources notariales et les hypothèques offrent de belles collections, mais qui remontent au mieux au dernier quart du XVIII

e

siècle. L’investigation s’est donc portée sur une source qui puisse faire parler aussi ceux qui n’ont jamais la parole : les registres paroissiaux et d’état-civil et, dans une certaine mesure, les listes de recensement. Leur étude ne peut pas toujours être menée de façon approfondie mais permet de mettre en place ce qui forme l’armature de la société : la population. Une approche de démographie statistique ne permet pas, toutefois, de saisir les relations qui se tissent entre les groupes et de définir le contour de ces dernières. Nous disposons pour cela de l’approche par le biais de la prénomination. Les problèmes évoqués à propos des sources, n’atteignent pas le prénom, signal certes ténu mais qui possède des caractéristiques uniques :

19 Au XIXe siècle, les colons nourrissent une suspicion envers les visiteurs européens décrivant la société coloniale. Ils mettent en avant leur ignorance du terrain local pour s’autoproclamer les authentiques connaisseurs de cette société. Leur objectif apparaît clairement politique dans la mesure où ces préventions s’expriment envers ceux dont les idéaux remettent en cause la spécificité coloniale dont ils tirent profit.

20 SCHOELCHER (Victor), Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années, Paris : Pagnerre, 1847, t.1, p.165. Une partie d’entre eux sont, du reste, des Blancs créoles

(17)

1°) L’attribution d’un nom personnel est une pratique qui concerne tout le monde, le

« prénom étant un bien gratuit dont la consommation est obligatoire »

21

. La sélectivité des sources est effacée, chaque individu n’étant nommé qu’une seule et unique fois quel que soit son milieu. Il ne s’agit plus simplement d’écouter quelques témoins, mais d’observer une pratique universelle qui délivre un message et résulte de choix. L’ensemble des noms attribués aux enfants offre comme un spectacle de la voûte étoilée où chaque nom correspond au scintillement d’une étoile.

2°) Chaque prénom est un marqueur social et culturel. Il classe l’enfant dans un groupe, selon des critères divers (sexuels, familiaux, géographiques ou encore statutaires).

L’ensemble des attributions produit un discours d’auto-classement qui dessine les contours des groupes sociaux et matérialise les rôles sociaux des individus. Par ce moyen le porteur se voit signifié sa position par les donateurs, ce qui fait du nom individuel un élément qui participe du mécanisme de reproduction ou de transgression sociale.

3°) Le prénom est une entité vivante qui naît, se répand puis disparaît selon des étapes qui permettent d’en dresser l’écologie. Comme tout phénomène de mode, il pose la question des causes initiales des apparitions et des sources de l’innovation. La circulation de ce bien symbolique révèle potentiellement quelles sont les lignes d’organisation de la société, dans notre cas principalement sur le plan spatial et socio-ethnique.

Face à cette complexité, il faut se garder de tout systématisme dans l’interprétation du sens des attributions. Les choix autour de la prénomination semblent rétifs aux causalités simples, qu’elles soient d’ordre religieux, culturel ou familial. La raison en est que nous sommes en présence d’une pratique qui met en branle des ordonnancements de nature et de niveau différents. Le nom individuel participe à la fois du passé (traditions familiales), du présent (facteurs sociaux) et de l’avenir (destin de l’enfant). Cette collusion prend corps dans un présent, lors du moment ritualisé de la dation. Le milieu et les acteurs qui nomment l’enfant, produisent par la nomination un acte synthétique d’une subjectivité transitoire. Le nom de l’enfant apparaît dans une instantanéité créatrice au caractère à la fois fugace et pérenne. En exprimant une volonté réfléchie et verbalisée, le choix du nom individuel draine tout un arrière-plan inexprimé. L’acte de nomination se situe de la sorte à la confluence des structures conscientes et inconscientes. En ce sens son étude se situe à la croisée des investigations historique et anthropologique.

21 BESNARD (Philippe), « Pour une étude empirique du phénomène de mode dans la consommation des biens symboliques : le cas des prénoms », Archives Européennes de Sociologie, 1979, n°XX, p.347.

(18)

Le paradoxe du nom individuel est qu’en construisant une identité particulière, il délivre un message sur l’identité collective. Prise à cette échelle, la prénomination apparaît comme un discours dont il faut décrypter la grammaire et comme le langage d’une « rationalité secrète ». Le système de prénomination constitue ainsi un miroir du fonctionnement social, familial et culturel et une résultante des structures sociodémographiques, que ce soit dans les processus de choix ou dans les modalités de transmission. Il est étroitement connecté à ces structures sous-jacentes, au point d’en être parfois une étroite émanation, par exemple dans le Quercy ou encore dans l’île grecque de Karpathos

22

. Lorsque ces structures changent, le système dénominatif s’en trouve automatiquement affecté. Le système de prénomination fonctionne donc comme un sous-système de l’organisation sociale. On voit par là qu’il est illusoire de chercher à le comprendre sans avoir précisé au préalable quelles sont les populations et familles concernées et l’organisation socio-économique dans laquelle elles évoluent.

Le système dénominatif a pourtant aussi une existence propre, qui rend légitime son étude pour lui-même. En tant que tel, il possède une cohérence et des règles qui lui confèrent une certaine autonomie et une inertie. Ainsi, des bouleversements sociaux et politiques majeurs peuvent-ils n’avoir aucune traduction, ou n’influer que durant un temps court avant qu’un cours ancien ne reprenne ses droits, comme on le voit en France avec la période révolutionnaire. Le système de prénomination étant relié aux structures sous- jacentes, son étude particulière permet de repérer quelles sont les connexions et d’en saisir l’ampleur, sachant qu’elles peuvent s’atténuer ou s‘interrompre et que de nouvelles peuvent se créer.

En histoire, pour des raisons d’ordre historiographique et méthodologique, le thème reste puissamment relié à la démographie. Pour Jacques Dupâquier l’étude de la prénomination « doit permettre de mesurer des comportements de la société traditionnelle et de saisir le vécu des structures familiales », objectifs en grande partie communs à ceux de la discipline démographique

23

. Elle s’impose comme son complément et son extension naturels vers une histoire sociale et culturelle. L’étude historique des prénoms comporte en amont une investigation démographique, ou tout au moins prend appui sur des résultats

22 VERNIER (Bernard), « La circulation des biens, de la main d’œuvre et des prénoms à Karpathos : du bon usage des parents et de la parenté », Actes de la recherche en Sciences sociales, 1980, no31, p.63-87 ; SANGOÏ (Jean-Claude), « Transmission des prénoms et reproduction sociale en Bas-Quercy. XVIIIe-XIXe siècle », Annales de démographie historique, 1987, p.263-294.

23 DUPAQUIER (Jacques), Introduction p.6-7, dans : J.DUPAQUIER (Jacques), BIDEAU (Alain), DUCREUX

(Marie-Elizabeth) et al., Le prénom, mode et histoire. Les entretiens de Malher 1980, Paris : Editions de l’EHESS, 1984.

(19)

solides en la matière. Ainsi, Le Temps des Jules est-il conçu dans le prolongement de la vaste enquête démographique de l’EHESS dite « TRA », portant sur 3000 familles et l’ensemble du territoire français

24

. La monographie d’Haveluy menée par G. Tassin se déroule en trois volets ayant pour trait l’étude de la population, du parrainage et de l’anthroponymie

25

.

Il serait très réducteur d’entreprendre l’étude d’un système anthroponymique indépendamment, en ignorant ce que l’on sait par ailleurs de la société étudiée. Sa compréhension prend tout son sens lorsqu’on parvient à le relier à la société et aux populations qui le produisent. C’est par une série de descriptions circonstanciées et par le repérage des enchaînements que l’on peut saisir les enjeux de la prénomination, cerner les connexions ou encore évaluer le degré de conscientisation des acteurs. Or, en l’état actuel, les données collectées sur la Martinique dans les domaines socio-économique et démographique avant 1848, sont issues de quelques ouvrages

26

. S’appuyer sur les travaux historiques existant n’a permis, vu les exigences méthodologiques spécifiques au thème, de ne dresser qu’un portrait partiel de la population et de la famille antillaise. L’arrière-plan apparaissant incomplet et parfois absent, des investigations complémentaires dans les sources manuscrites sur ces thèmes se sont révélées indispensables, particulièrement pour les lieux et périodes faisant l’objet d’une observation plus attentive. Certains aspects démographiques posent à leur tour des problèmes méthodologiques complexes et originaux, qui ne sauraient être éludés. On ne peut non plus faire l’impasse sur une éventuelle dimension sociopolitique de la nomination pour une partie de la population

27

. Par exemple, les revendications à l’égalité des libres de couleur, peuvent trouver une traduction anthroponymique, tel un révélateur culturel d’un positionnement politique. Pour tous les groupes, le choix des prénoms révèle le bain culturel des donateurs et permet d’exprimer leur positionnement socioculturel. Aussi, plusieurs éléments permettant d’éclairer ce qui forme les grandes lignes de ces domaines se doivent d’être rappelés.

24 DUPAQUIER (Jacques), PELISSIER (Jean-Pierre), REBAUDO (Danièle), Le temps des Jules. Les prénoms en France au XIXème siècle, Paris : Christian-CNRS, 1987.

25 TASSIN (Guy), Anthroponymie et changement dans une société villageoise. Les noms de personne à Haveluy au XVIIIe siècle, préfacé par André Burguière, Paris : L’Harmattan, 1997. L’auteur étudie également en amont la fécondité et le parrainage (dans Parrains et marraines à Haveluy au XVIIIe siècle, Valentiana n°15, Valenciennes, juin 1995, p.5-26), thèmes complétés par l’étude de la mortalité et de la nuptialité (Qui épouser et comment. Alliances récurrentes à Haveluy de 1701 à 1780, préfacé par Françoise Héritier, Paris : L’Harmattan, 2007).

26 Voir en bibliographie les références des travaux de L. Chauleau, et L. Elisabeth pour les aspects démographiques, M. Cottias pour la famille.

27 Pour F. Affergan, en Martinique, « l’analyse ethnologique ne parvient jamais à se soustraire à une anthropologie du politique dont elle semble indétachable », F.AFFERGAN, art.cit., 2002, p.582.

(20)

Le thème de la dénomination est un champ exploité par plusieurs disciplines de sciences humaines, mais abordé par des voies diverses (partie I.1). Son étude suppose dans un premier temps de sélectionner parmi les sources disponibles les documents les plus adaptés (partie I.2). Dans un deuxième temps, il convient de mettre au point un protocole de recherche adapté à la documentation et à l’exploitation projetée. En effet, les similitudes avec le système administratif et religieux français ne doivent pas faire illusion. Même s’il ne faut pas oublier des similitudes, surtout de forme, l’enregistrement des actes et la production des listes nominatives présentent de réelles particularités. Pour chaque source, il faut remonter au mode de construction, afin d’appliquer des méthodes de traitement adéquates. On a donc pris le parti de détailler les choix méthodologiques opérés, avec le souci d’évaluer les marges d’erreur des résultats exposés (partie I.3). Le système de nomination, nous l’avons vu, est la partie émergente des structures sous-jacentes d’une société, qu’il est nécessaire de présenter (partie II). Son étude suppose de connaître aussi précisément que possible le substrat sur lequel il se développe, à savoir l’origine des populations (partie II.1.A, peuplement et migrations), en nous intéressant aux spécificités des paroisses au cœur de l’enquête (II.1.B, profils des quartiers) et l’organisation socio- économique (II.2, sur la formation d’une société selon hiérarchisée le statut et la couleur, mais diversifiée par ses structures sociales). Les différents facteurs d’acculturation et le degré d’ouverture culturel des différents groupes feront l’objet d’un examen particulier (partie II.3). Cette partie II aura comme objectif de poser les bases de l’organisation sociale et culturelle en privilégiant les périodes et les lieux étudiés dans le cadre de la dénomination. Comme la documentation conservée ne permet pas toujours d’éclairer exactement la période et les lieux considérés, il faut se résoudre sur plusieurs points à élargir l’observation à des lieux ou des périodes hors échantillons.

L’évolution des structures démographiques et familiales s’avère déterminante (partie

III), car elle constitue l’échelon intermédiaire qui fait le lien entre les structures

d’organisation de la société et son système de dénomination. Les dynamiques de

populations (partie III.1, le renouvellement de la population) donnent des repères sur les

capacités de renouvellement de chaque groupe. Le système de relations sociales, établi sur

ces structures démographiques, s’organise largement autour à partir de la famille (III.2.A),

qui souffre parfois d’une instabilité (III.2.B, illégitimité), souvent associée au métissage

(partie III.2.C). La circulation d’un bien symbolique comme le prénom, se réalise selon des

règles complexes, dont le canal principal est le parrainage (partie III.3). Le choix du

parrain et de la marraine expose l’état des relations sociales d’une population, tant réel que

projeté. Par ce cheminement, il devient envisageable d’aborder le système de

(21)

prénomination comme un révélateur de l’organisation sociale et des sentiments

d’appartenance. Il n’en est pas pour autant une simple traduction, car sur le choix du nom

vient se greffer toute la complexité des influences culturelles. Le nom est aussi un

marqueur des échanges à l’intérieur de l’île mais aussi vis-à-vis de l’extérieur. Son

attribution obéit ainsi à des règles tacites qu’il nous appartiendra de mettre en évidence, et

qui forment un système de prénomination évolutif (IV). Mais une part de créativité existe,

et permet de donner libre cours à des choix originaux qui révèlent l’état transitoire de la

subjectivité du donateur et son positionnement socioculturel (V.1 et 2). Le processus

nominatif ne s’arrête pas à l’attribution du nom de baptême. Parfois jugé trop rigide et peu

dynamique, le nom attribué peu après la naissance selon une procédure normée peut subir

des mutations au cours même de l’existence de l’individu. Le nom employé au quotidien

révèle l’insuffisance et les ambiguïtés de l’identification par le seul nom de naissance. Les

surnoms, diminutifs et sobriquets, répandus et fréquemment utilisés, constituent des

marqueurs évolutifs et originaux que la documentation permet de restituer et d’étudier

(V.3).

(22)

PARTIE I : CHAMP D’ETUDE, SOURCES,

METHODOLOGIE

(23)
(24)

C HAPITRE I. P RESENTATION DU CHAMP D ETUDE DE LA

DENOMINATION

A. Approches et épistémologie

1. Des approches différentes au sein des sciences humaines

a. L’anthroponymie

La question de l’origine des noms de personnes est une préoccupation ancienne que l’on perçoit déjà à la fin du XVI

e

siècle

28

. Au XVII

e

siècle, paraît l’un des plus anciens ouvrages publiés sur le sujet

29

. Dès la fin du XIX

e

siècle, l’étude des noms s’est détachée de l’histoire pour former une discipline spécifique. Davantage tournée vers les aspects événementiels et politiques, l’histoire n’intègre que très peu, pendant des décennies, les apports de l’anthroponymie, qui se cantonne dans un rôle de science auxiliaire. Cette discipline s’engage dans un vaste programme de classement et d’interprétation des noms et de leur évolution. Les ouvrages d’Albert Dauzat constituent, pour l’anthroponymie française, des synthèses de premier ordre qui, rééditées à plusieurs reprises, font encore autorité aujourd’hui dans le domaine

30

. Son entreprise de classification et d’analyse étymologique des noms de personnes sera poursuivie par bien d’autres, dont le Belge Eugène Vroonen, qui signe une première synthèse générale sur le sujet

31

. Avec ses objets propres, ses méthodes propres, l’anthroponymie s’intéresse toujours prioritairement aux patronymes. Les historiens de l’antiquité et du peuplement ont été les premiers bénéficiaires des résultats de ces recherches, en l’utilisant comme un marqueur d’origine.

Plus tard, les médiévistes ont pris eux-mêmes en charge le thème d’étude des patronymes, devant les riches perspectives ouvertes pour la période allant du XI

e

au XV

e

siècles

32

. Malgré tout, le nom de famille, reste privilégié au détriment des noms individuels. La

28 MONTAIGNE (Michel Eyquem de), Essais, Livre I, Chapitre XLVI (« Des noms »), Paris : Garnier- Flammarion, 1993.

29 LA ROCQUE (Gilles André de), Traité de l’origine des noms et des surnoms…, Paris : E. Michallet, 1681 1681. L’auteur s’intéresse essentiellement aux aspects liturgiques et à l’anthroponyme nobiliaire.

30 DAUZAT (Albert), Dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de France, Ed. revue et augmentée par Marie-Thérèse Morlet, Paris : Larousse, 1989 (1ère ed. 1951).

31 VROONEN (Eugène), Les noms de personnes dans le monde. Anthroponymie universelle comparée, Bruxelles : Editions de la librairie encyclopédique, 1967.

32 BOURIN (Monique) et CHAREILLE (Pascal), dir., Genèse médiévale de l’Anthroponymie Moderne, t.1 à 5, Publications de l’Université de Tours, 1989-2005.

(25)

simple consultation des tables de la Nouvelle Revue d’Onomastique confirme le peu d’attrait que les noms individuels exercent dans la discipline

33

. Aussi, lorsque les anthroponymistes ont abordé l’étude des noms individuels, c’est souvent pour se limiter à de simples comptages, consignés dans des tableaux reprenant des typologies définies a priori. Or, dans les sociétés occidentales modernes, le nom de famille est imposé aux individus selon des mécanismes de transmission codifiés. Ils sont donc imposés, subis, et ne relèvent pas de prises de décisions des familles ou des individus.

Des anthropologues ont tiré un bilan peu reluisant des travaux menés : Françoise Zonabend, par exemple écrivait en 1980 que ces travaux, pourtant abondants et documentés, ont été menés avec un traitement uniforme. L’effet a été « d’aplanir un système multidimensionnel », comme celui des noms de personnes, en ne disant rien sur ses usages sociaux

34

. L’idée selon laquelle l’anthroponymie serait passée à côté de l’essentiel est reprise également dans des travaux de linguistique. Christian Bromberger déclarait ainsi, en 1982 : « on peut se demander si les tenants de la méthode historico- philologique ont véritablement pris la mesure de leur objet d’étude, de sa définition, de ses fonctions », en concluant qu’il s’agissait d’ « une discipline vouée à l’auxiliariat »

35

. Plus de vingt ans après, force est de constater que l’anthroponymie, bien que toujours active, ne s’est pas engagée dans une voie interdisciplinaire alors qu’elle en avait pourtant la vocation. De même, ses approches, pour ce qui est de l’étude des noms individuels, se sont assez peu renouvelées. Hors du champ de l’histoire culturelle, ignorante des apports du structuralisme, l’anthroponymie classique s’apparente plus à une discipline auxiliaire dont le statut scientifique est discuté.

b. La dénomination comme thème périphérique

Pour la plupart des sciences humaines le nom de personne est abordé incidemment, par le biais d’un autre thème d’étude : l’Etre chez les philosophes, le Moi et l’identité chez les psychologues et psychanalystes, le nom propre chez les linguistes. La multiplicité des angles d’approches rend difficile pour l’historien, voire périlleuse, l’exploitation des apports de ces disciplines. Les termes employés peuvent avoir des sens éloignés, apportant leurs lots de contresens et de malentendus. La philosophie et la psychologie sont d’ailleurs

33 La Nouvelle Revue d’Onomastique est publiée depuis 1983, succédant à Onomastica (1947-1948), puis la Revue Internationale d’Onomastique (1949-1977). Depuis, la quasi-totalité des articles porte soit sur la toponymie, soit sur l’anthroponymie.

34 ZONABEND (Françoise), « Le Nom de personne », p.7-9, dans : L’Homme, 1980, XX, n°4.

35 BROMBERGER (Christian), « Pour une analyse anthropologique des noms de personnes », Langages, juin 1982, n°66, p.104.

(26)

davantage des sciences humaines que sociales, ce qui ne favorise pas le dialogue avec les historiens.

La philosophie a pris en considération les noms de personne dès l’antiquité grecque, avec Platon. Le thème est abordé ensuite épisodiquement, Montaigne énonçant à la fin du XVI

e

siècle quelques principes qui préfigurent les avancées de la linguistique saussurienne

36

. Plus récemment des philosophes comme Jacques Derrida, s’interrogeant sur l’individu, ont pris en considération la fonction de la nomination, mais selon des perspectives éloignées des sciences sociales

37

.

Les psychologues s’interrogent sur les effets et la place du nom dans la formation de la personnalité, en prenant comme angle d’approche l’identité personnelle

38

. Le rapport de l’individu à son nom et l’évolution de ce rapport au cours de l’existence est l’un des points privilégiés de la psychologie. Plusieurs articles de l’ouvrage collectif dirigé par Alice Chalanset et Claudine Danziger traitent de ces aspects, de même que plusieurs ouvrages de psychanalyse

39

. Sigmund Freud a tracé la ligne d’interprétation dans ce champ disciplinaire en considérant le choix du prénom comme le résultat conscient d’un processus inconscient.

Le résultat, verbalisé par le donateur, ne représente que la partie consciente et secondaire des représentations et affects liés à ce prénom. Dépourvus de la dimension temporelle et même collective, ces travaux ne sont pas directement exploitables par les historiens, mais rappellent que l’échelle individuelle doit être prise en compte à chaque fois que cela est possible. On peut d’ailleurs appliquer le diagnostic freudien à une échelle plus large : lorsque S. Freud estime que le nom attribué révèle avant tout le destin fantasmé sur l’enfant, il s’agit aussi du destin social de l’enfant.

En ce qui concerne la linguistique, l’étude de la dénomination s’intègre dans un champ plus vaste qui est celui de l’étude des noms propres. Or il se trouve que ce champ a été exploré assez tardivement, essentiellement à partir de la fin des années 60

40

. Les linguistes s’interrogent sur la nature du nom propre et sur sa place dans le système de la langue. Dans cette optique, le nom de personne n’est pratiquement jamais étudié en tant que tel, mais

36 MONTAIGNE (Michel Eyquem de), Essais, op.cit., « Des noms ».

37 Le thème est évoqué dans : BERTON (S.) et GUIBAL (F.), Altérités. Jacques Derrida et Pierre-Jean- Labarrière, Paris : Osiris, 1986 ; il est traité plus spécifiquement dans : DERRIDA (Jacques), Sauf le nom, Paris : Galilée, 1993.

38 MASSONAT (Jean) et HURTIG (Marie-Claude), « L’identité de la personne », Psychologie Française, Paris : Dunod, 1990, t.35/1.

39 CHALANSET (Aline) et DANZIGER (Claudie), dir., Nom et prénom. La règle et le jeu, Autrement, Série Mutations n°147, 1994 ; OFFROY (Jean-Gabriel), Le choix du prénom, Marseille : Hommes et perspectives, 1993.

40 KRIPKE (Saul A.), La logique des noms propres, Conférences données à l’université de Princeton, en janvier 1970 traduites par Pierre Jacob et François Recanati, Paris : Editions de Minuit, 1982.

(27)

traité sur le même plan que les autres noms propres, particulièrement les noms de lieux. On le constate dans des ouvrages collectifs consacrés aux noms propres, comme celui dirigé par Salih Akhin

41

, ou encore dans les communications du Colloque de Brest de 1994

42

. Leurs travaux rappellent aux historiens que le nom est avant tout un mot : ses fonctions, ses emplois sont en conséquence à replacer dans leur environnement linguistique. Les linguistes ne prennent cependant pas en compte les dimensions sociales et familiales, sur lesquelles ils ne travaillent pas. S’ils ont clairement identifié l’objet de l’étude, ils le laissent à la lisière de leur recherche en invitant les autres sciences sociales, notamment l’anthropologie, à l’investir.

c. La dénomination comme thème à part entière

L’observation critique des mœurs de ses semblables dans le domaine de l’attribution des noms individuels est attestée dans la seconde moitié du XVII

e

siècle

43

. On raille alors les modes autour du nom de baptême, qui se font jour dans certains milieux sociaux par souci de distinction religieuse ou sociale. Dans les milieux aristocratiques on retrouve la volonté d’éviter le conformisme, comportement caractéristique du mouvement de la mode. A partir du XIX

e

siècle au moins, l’utilisation du prénom comme outil de distinction sociale se répand très largement, ce qui suscite des interrogations pour une masse toujours plus grande de donateurs et par contrecoup, d’observateurs. On voit ainsi en 1888 apparaître les premières statistiques françaises de fréquence des noms individuels, mais on en reste au stade du simple constat. En sociologie, l’étude scientifique des noms de personnes a été assez tardive, puisque les premières recherches voient le jour dans les années 1960, selon des angles d’approches divers

44

. Une approche socio-psychologique d’abord, a établi qu’il existait, dans les sociétés contemporaines, une corrélation positive entre la fréquence et la préférence déclarée dans le choix des noms individuels. La sociolinguistique ensuite s’intéresse à la façon dont sont employés les prénoms dans un milieu restreint

45

. Le terrain d’étude du Languedoc permet de montrer les variations en fonction de l’origine des

41 AKIN (Salih), dir., Noms et re-noms: la dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires, Presses de l’Université de Rouen, 2000.

42 Nom propre et nomination, actes du colloque de Brest du 21 au 24 avril 1994, Diffusion Klincksieck, Paris : Noailly, 1995.

43 THIERS (Jean-Baptiste), Traité des superstitions selon l’écriture Sainte, les Décrets des Conciles et les sentiments des Saints Pères et des Théologiens, Paris, 1695 ; LA BRUYERE (Jean de), Les Caractères, ou les mœurs de ce siècle, Paris : Mignot.

44 Voir à ce sujet : BESNARD (Philippe), « De la sous-exploitation des prénoms dans la recherche sociologique », dans DUPAQUIER (Jacques), BIDEAU (Alain), DUCREUX (Marie-Elizabeth) et alii, Le prénom, mode et histoire. Les entretiens de Malher 1980, Paris: Editions de l’EHESS, 1984.

45 LEON (Monique), “Of Names and First Names in a Small French Rural Community: Linguistic and Sociological Approaches”, Semiotica, 1976, n°17/3, p.211-231.

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