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Comme on l’a précisé, les registres paroissiaux concernaient tous les libres, y compris, donc, les personnes de couleur qui dès l’origine sont inscrites sur les mêmes registres que

les Blancs. La page de garde du registre indique selon les cas « Libres » ou bien « Blancs

et Libres », parfois tout simplement « Blancs » mais, tout de même, avec inscription des

libres de couleur

224

. Les mentions de couleur sont consignées avec les termes consacrés :

« nègre », « câpre », « mulâtre », « métis », « quarteron », et très exceptionnellement

« griffe », « mamelouk », « sang-mêlé »

225

. Les Blancs ne sont jamais qualifiés

explicitement et individuellement comme tels, sauf à titre tout à fait exceptionnel, et

220 Arrêt du conseil Souverain du 13 mai 1758, ibid., t.2, acte n°226, art.IX, p.44-45. Ces dispositions sont identiques à celles de l’Edit de Saint-Germain. Les actes de mariage doivent présenter les mentions d’âge, de qualités et de demeure des contractants (ibid., art. XII).

221 Ordonnance concernant l’administration des Fabriques des paroisses, la réformation, la tenue des Registres des Baptêmes, Mariages, Sépultures…, ibid., n°552, art.V, t.3, p.379.

222 Sur quelques courtes périodes, des parents spirituels ont pu être omis, comme au Carbet de la mi-1681 à la mi-1682, puis occasionnellement en 1685-1686.

223 AD Martinique, reg. par. du Macouba.

224 AD Martinique, reg. par. du Trou-au-Chat, en 1779 et 1780.

225 L’orthographe des termes « câpre » et « métis » se fixe au cours du XVIIIe siècle. Le terme de « sang-mêlé » n’apparaît qu’au cours des années 1770.

lorsque l’identité de l’individu est inconnue (par exemple « un Blanc », pour désigner un

père inconnu)

226

. Pour les Indiens, les termes « Sauvage » et « Sauvagesse » disparaissent

au cours du XVIII

e

siècle au profit de « Caraïbe » et « Caraïbesse », voire d’expressions

comme « descendant des anciens naturels de ce pays »

227

. Les enfants issus d’une mère

indienne et d’un père blanc ou de couleur peuvent exceptionnellement être qualifiés de

« brésilien » ou de « métis » selon le cas. D’un point de vue légal, les ordonnances de 1773

et 1774 rappellent que la « qualification de gens de couleur » est obligatoire

228

. La

disposition est ensuite affinée en 1778 puisqu’il devient alors nécessaire d’indiquer « le

degré de couleur », puis peu avant la Révolution pour les enfants issus de parents

affranchis

229

. Malgré cette injonction, dans la pratique les termes sont utilisés avec une

rigueur et une régularité toutes relatives. Quelques curés utilisent l’ensemble des termes

évoqués, tandis que d’autres, encore peu familiarisés avec une terminologie nouvelle, se

contentent au mieux d’utiliser les plus courants. Le curé peut aussi se contenter de ne

préciser que la couleur de la mère, et non celle de l’enfant, surtout lorsque la naissance est

illégitime et que le père naturel n’apparaît pas dans l’acte. Dans le cas de baptêmes

d’enfants de couleur, la mention de couleur des parents spirituels est très irrégulière. Enfin,

quelques curés semblent avoir omis délibérément la couleur de certaines personnes,

comme au Macouba.

A partir de la Révolution, les luttes pour l’égalité des libres de couleur, jusqu’ici larvées

et simplement juridiques, deviennent ouvertement politiques. A juste titre, l’enregistrement

de la couleur est perçu comme un élément central de la consécration du système

discriminatoire. Le qualificatif égalitaire de « citoyen » n’ayant eu qu’une existence

éphémère, d’autres termes, comme « libre », apparu avant la Révolution, ou « de couleur »

continuent à marquer la distinction d’avec les Blancs. Temporairement, comme à

Case-Pilote vers 1800, ils peuvent remplacer les mentions de couleur, mais celles-ci n’en restent

pas moins toujours régulières en 1804-1805 (298 mentions pour 554 naissances de couleur,

226 Le curé de Basse-Pointe semble désigner une fois une femme de « Blanche », le 3 germinal An XII, lorsqu’une femme « Marguerite Barthe Blanche » donne naissance à un enfant d’un père de couleur inconnu. « Blanche » semble bien correspondre à la couleur, car on n’a pas repéré un tel patronyme, ni à Basse-Pointe ni en Martinique jusqu’à cette date.

227 Expressions rencontrées sur les registres de la paroisse du François, pour des habitants de Pointe Larose.

228 Ordonnance de MM. les Général et Intendant faisant défenses aux Gens de couleur de porter les Noms des Blancs, 6 janvier 1773, art.2, DURAND-MOLARD, Code de la Martinique, op.cit., t.3, n°472, p.151-152 ; Ordonnance concernant les gens de couleur libres qui prennent les noms des Blancs, leurs anciens maîtres ou protecteurs, 4 mars 1774, art.5, ibid., n°484, t.3, p.168-171.

229 Ordonnance concernant l’administration des Fabriques des paroisses, la réformation, la tenue des Registres des Baptêmes, Mariages, Sépultures…, ibid., n°552, art.VI, t.3, p.380 ; AD Martinique, registre du Conseil Souverain, B18, Règlement sur l’affranchissement et les gens de couleur libres, art.20, f° 235.

alors qu’il y en avait 303 pour 502 en 1763-1767). Les termes de couleur ne se raréfient

que progressivement, selon les habitudes et le bon vouloir du curé, devenu désormais

officier d’état civil. Ainsi, au Macouba, c’est à partir de 1809 que le terme « libre » se

substitue à tous les termes de couleur, qui disparaissent presque totalement. Mais le

processus est plus lent à Case Pilote (entre 1809 et 1814), et surtout au Marin, où les

mentions de couleur restent dominantes jusqu’en 1830. A partir de 1831, conséquence de

l’égalité des droits entre libres, elles sont totalement abandonnées.

La légitimité de la naissance est, sauf exception, toujours signalée. Lorsque l’enfant est

illégitime, l’acte ne signale généralement pas l’identité du père. Les prêtres doivent

chercher à obtenir des révélations à ce sujet, non par curiosité, mais parce qu’il s’agit d’un

moyen de prévenir la généralisation de ce type de naissance. On rencontre donc plusieurs

formulations, plus ou moins assurées, se fiant sur la déclaration maternelle, comme « a

déclaré être le père …» ou « a déclaré l’enfant être des œuvres de… »

230

. La déclaration est

parfois plus franche : « enfant naturel de [nom de la mère] et de [nom du père] ».

L’expression « qui a reconnu [ou « déclaré »] être le père de l’enfant » signale la présence

probable des deux parents lors de la cérémonie. Ces cas de reconnaissance paternelle

seront pris en compte par un codage spécifique, car ils relèvent plus d’une vie en

concubinage que d’une relation sans lendemain. Les différences constatées d’un lieu à

l’autre entre naissances illégitimes sans père connu et celles où le père l’est varient d’abord

sans doute en fonction du desservant de la paroisse. Ainsi, durant la décennie 1720, dans

toutes les paroisses, à l’image des Anses-d’Arlets

231

, les curés signalent le nom du père des

enfants illégitimes dans la plupart des actes. Cette pratique qui consiste à écrire le nom du

père des enfants illégitimes de sang-mêlé reste systématique au début de la décennie 1750.

L’intendant Hurson déplore même qu’« on oblige la mère à déclarer le père de l’enfant sur

le registre uniquement sur la déclaration de la negresse ou de la mulatresse »

232

.

L’inscription de l’identité du père suscite une polémique, nous y reviendrons, entre le

clergé et les autorités civiles.

Les titres, fonctions et professions n’apparaissent d’abord que pour distinguer les

personnes les plus en vue. La présence d’un titre honorifique (« Sieur », « Demoiselle »,

« Dame ») se traduit souvent par l’absence du nom de baptême de la personne concernée,

230 AD Martinique, reg. par. du Marin, 1709.

231 Les 17 naissances illégitimes (essentiellement de libres de couleur) sur un total de 67 naissances. AD Martinique, reg. par. des Anses-d’Arlets, 1721-1725.

232 ANOM, C8a/59, f°304. Mémoire particulier de M. de Hurson au sujet des registres des paroisses et baptêmes des mulâtres et métifs.

perte d’information dommageable en ce qui nous concerne. Parmi les autres informations

irrégulières, notons les indications d’origine géographique: origine provinciale pour les

Français (avec l’indication du diocèse), ou moins précise pour les étrangers (« Irlandais »,

« Anglais », et même « Africaine » pour quelques affranchies).

Jusqu’au début du XIX

e

siècle le contenu des actes dépend donc fortement des