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/ Une question de distance

Dans le document Habit(at) : espace du corps dans la textilité (Page 128-132)

3.2.1. Entre habitat oekoumène et système minimum A travers l’expression d’habitat-œkoumène qu’utilise Georges-Hubert de Radkowski, nous entendons un habitat dont les limites seraient confondues avec celles de notre planète. Avec le développement exponentiel du mode de vie néo-nomade, l’homme habite certes partout et tout le temps mais il ne le fait pas seul. Si l’on imagine que l’avenir de l’habitat réside dans le concept d’habitat- œkoumène, alors cela sous-entend que les plus de 7,556 milliards d’habitants de la Terre vont faire de leur chez-eux l’entière surface du globe. Nous tendrions donc vers une sorte d’habitat partagé, où le chez-soi serait aussi celui des autres, et donc un habitat dans lequel l’expérience collective est imposée et surtout permanente. En effet, lorsque l’on regarde le cas d’une habitation occidentale classique, par exemple une maison avec jardin dans un lotissement ou bien un appartement dans une résidence, l’expérience de l’habitat se résume aux premiers destinataires de ce lieu de vie. Nous pouvons alors imaginer ces destinataires comme une seule et même entité et ainsi considérer l’habitat comme un chez-soi individuel. Cet habitat peut ensuite devenir espace collectif. En laissant pénétrer le dehors, avec un degré

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de publicité plus ou moins important, l’entité habitante initiale choisit ou accepte à un moment donné de partager son espace d’intimité. Dans le cas de l’habitat- œkoumène, le public envahit le privé et chaque habitant se voit imposer la présence des autres dans l’espace qu’il habite. Cela signifie que les espaces à concevoir pour ce mode de vie soient des espaces hybrides, flexibles, et qui puissent s’adapter en fonction des besoins de chacun. Par conséquent, l’habitat ne pourra définir ici que la simple fonction de localisation mais ne pourra s’apparenter à un chez-soi exclusif.

La flexibilité que les individus recherchent est déjà en partie comblée par le numérique. Dans notre société hyper-connectée, l’essor des nouvelles technologies a permis à chacun de se doter d’interfaces digitales nomades qui accompagnent nos incessants déplacements. Grâce à elles, nous sommes en permanence « en contact » avec le reste du monde, quel que soit l’endroit dans lequel nous nous trouvons, et elles nous rendent également toujours disponibles. De fait, les limites du cadre professionnel et celles de la vie privée tendent à se confondre. Si avec le nomadisme contemporain l’habitat se dissout spatialement, les technologies modernes brouillent quant à elles les temporalités.

Parmi les conséquences néfastes de ces tendances, le stress détient une place importante. Au

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nom de plus de liberté, «

l’apprivoisement 

»115 des espaces

par les individus est nécessaire et implique un certain nombre de concessions et de compromis pour que chacun puisse vivre en harmonie avec l’environnement dans lequel il se plonge. Le stress de cette transition engendre alors le besoin d’un «

 recentrement du soi

»116.

Au milieu des lieux partagés, l’homme doit donc pouvoir avoir un espace particulier, une bulle de décompression, une enveloppe habitable par lui-seul et qui lui permettrait de s’extirper du monde qui l’entoure, sans pour autant remettre entièrement en question son mode de vie d’homme mobile. C’est dans cette recherche que nous inscrivons le projet du vêtement-habitat. Celui-ci deviendrait en effet une sorte d’habitacle au sens d’espace qui offre à l’homme toutes les conditions nécessaires à son développement, tout en lui assurant mobilité et détachement du site traversé. De plus, une enveloppe textile telle que le vêtement, entourant et protégeant le corps d’un environnement stressant, deviendrait le marqueur des limites d’un « chez-soi » au sens d’habitat minimum. Contrairement à l’architecture bâtie qui, de par ses proportions, autorise l’expérience collective de l’espace, le vêtement quant à lui est strictement personnel et individuel, Il est une seconde peau qui, même ample, ne peut contenir qu’un seul et unique corps. Par conséquent le vêtement pensé et conçu comme habitat, assurerait une mise à distance du dehors par rapport au 115 Ibid. Le néonomadisme, un phénomène bénéfique 116 Ibid. Le néonomadisme, un phénomène bénéfique

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corps contenu, et permettrait alors de retrouver la notion de véritable « chez-soi ».

En 2000, Jennie Pineus, une designer tout juste diplômée, présente ses Head Cocoons, des enveloppes de toiles suspendues dans lesquelles les visiteurs peuvent glisser simplement leur tête. A l’intérieur il n’y a rien, en revanche ces poches sont une invitation à l’isolement, à la déconnexion et au repos de l’esprit. Par le simple acte de se couvrir la tête en l’entourant d’une enveloppe textile, l’individu abrite son esprit et se met à distance des autres pour ne se concentrer que sur lui- même. La poche suspendue offre ainsi à chacun la possibilité d’une réunion avec son soi, dans une relation intime et exclusive. Nous cherchons dès lors à transposer cette expérimentation à l’échelle du corps entier, ce corps qui veut pouvoir rentrer chez lui.

La question de la distanciation de l’homme par rapport aux autres fait écho aux recherches d’Edward Twitchell Hall. Dans son ouvrage La dimension cachée, l’auteur cherche en effet à comprendre le rapport que l’homme entretient avec l’espace matériel qui l’entoure et introduit pour cela le concept de proxémie. Derrière ce néologisme, Edward T. Hall définit «

l’ensemble des

observations et des théories concernant l’usage de

Head Cocoon, Jennie Pineus, 2000

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