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1.2 La transition de la quiescence à la prolifération

1.2.1 Une question de cinétique

Un mécanisme particulier semble se mettre en place afin que les cellules puissent sortir de leur état quiescent et entrer en prolifération. Il a pu être

observé que lorsque des LT naïfs CD4+ transgéniques (spécifiques d’un peptide

de l’hémagglutinine présenté par le CMH I-Ed) sont stimulés in vitro avec des

CMH II chargés et des anticorps (Ac) anti-CD28 (Iezzi et al., 1998) ou lorsque des LT sont activés de manière polyclonale avec un mélange d’Ac anti-CD3 et anti-CD28 (Viola and Lanzavecchia, 1996), un temps de latence est nécessaire pour induire le premier cycle de division et une faible prolifération est visible à 72h. Cette durée peut être diminuée si des APC sont utilisées, en particulier des DC matures ou des fibroblastes exprimant de forts niveaux de molécules d’adhérence telles que ICAM-1 ou LFA-1 (Ding et al., 1993; Lanzavecchia et al., 1999; Lee et al., 2002). Une fois l’engagement du programme prolifératif établi, les LT sont capables de proliférer sans autre signal stimulant et se divisent environ toutes les 4 à 6h (Delon and Germain, 2000). La capacité des cellules naïves à entrer dans le premier cycle de division est généralement décrite comme étant dépendante de la « force » et de la durée du signal induit par le TCR et l’ensemble des co-récepteurs. Ce temps de latence permettrait donc aux LT d’intégrer l’ensemble des signaux nécessaires à leur activation.

Dans ces études in vitro les cellules sont constamment en contact avec la source de stimulation. Dans des conditions physiologiques, il n’est pas clairement établi que les LT soient soumis à une stimulation ininterrompue sur une si longue période. Les LT sont donc capables d’intégrer et d’additionner plusieurs signaux provenant de sources différentes.

En utilisant des techniques de microscopie, différents comportements décrivant l’interaction LT/DC dans un ganglion ont pu être mis en évidence. Par exemple, une fois que le LT reconnait une DC chargée avec un peptide d’intérêt, la cellule T peut se lier à la surface de la DC pour une longue période allant jusqu’à 15h (Stoll, 2002). D’autres études montrent que des intéractions courtes mais répétées peuvent activer et induire la prolifération des LT (Underhill et al., 1999; Gunzer et al., 2000). Les interactions LT/DC ne durent alors qu’une

1.2. LA TRANSITION DE LA QUIESCENCE À LA PROLIFÉRATION 45 dizaine de minutes et la durée cumulative de ces interactions au cours des 24 premières heures est de moins de 2h. Aucune synapse immunologique stable ne se forme mais les LT sont capables de proliférer (Gunzer et al., 2000). Une autre

étude montre que la stimulation des LT se produit en trois phases

distinctes (Mempel et al., 2004). Ainsi, lors de la première phase (durant 8h), les LT contactent de manière courte et répétitive les DC. Durant les 12h suivantes, les LT ralentissent leur mouvement et forment des contacts longs avec les DC. Enfin, lors de la troisième phase, les LT retrouvent leur mobilité et commencent à proliférer. Ces résultats amènent à penser que les LT sont capables de « mémoriser » plusieurs signaux de stimulation. En 2005, une étude montre qu’une stimulation sous optimale de LT primaires naïfs (5-7h de stimulation) permet d’observer trois sous-populations. La première se compose de cellules capables de se diviser sans avoir recours à d’autres signaux stimulants. Les deux

autres, appelées cellules G1 et G0 ne se divisent pas. Après une période de repos

pouvant aller jusqu’à 2 jours, les cellules G1, mais pas les cellules G0, se divisent

rapidement si elles recoivent un autre signal sous optimal de stimulation (Munitic et al., 2005). La capacité des LT à enregistrer plusieurs signaux pourrait être un moyen d’intégrer des signaux provenant de différentes sous-populations de DC.

La présence de cellules ne se divisant pas après un premier stimulus sous optimal mais capables d’être rapidement mobilisées après un second signal rappelle la description du point de restriction faite par Pardee (cf. Avant-propos). Jusqu’alors non décrit dans les LT, une étude réalisée en 2003 démontre son existence (Lea et al., 2003). Ce point de transition à partir duquel la cellule va entrer en cycle est atteint 3 à 5h après la stimulation par des Ac anti-CD3 et

anti-CD28 dans des LT humains CD4+et CD8+. Le passage de ce point nécessite

la formation d’un complexe CDK6/4-Cycline D. En effet, les gènes essentiels

pour la progression dans la phase G1 et l’entrée en mitose sont transcrits lors de

la transition G0-G1. Ce mécanisme requiert plusieurs complexes contenant une

kinase dont l’activité dépend de la présence et de l’association à une cycline particulière. Les cyclines de type D associées aux CDK4 et CDK6 initient donc la

phosphorylation de pRb, première étape de la progression en phase G1. Ces

complexes peuvent également, plus tardivement en G1, séquestrer les inhibiteurs

p21cip et p27kip1 permettant de lever l’inhibition de l’activité du complexe

CyclineE/CDK2 qui phosphoryle alors pRb sur des sites additionnels. Ceci entraîne donc la libération des facteurs de la famille E2F et la transcription des gènes indispensables à l’entrée en phase S (Figure 1.3). Il est intéressant de noter une différence dans la mise en place de ce réseau moléculaire entre les LT naïfs et mémoires. En effet, une quantité importante de complexes cycline D/CDK6 est pré-synthétisée et déjà assemblée dans les LT mémoires, contrairement aux LT naïfs. Cependant, étant séquestrés dans le cytoplasme, ils ne peuvent induire la

progression dans le cycle. De plus, l’expression de l’inhibiteur de cycle p27kip1 est

beaucoup plus faible dans les LT mémoires comparés aux LT naïfs et est préférentiellement associé aux complexes cycline D/CDK (Grayson et al., 2001;

Veiga-Fernandes and Rocha, 2004). Ceci pourrait en partie contribuer à la différence de réactivité entre des LT naïfs et mémoires de même spécificité suite à une stimulation antigénique.

Figure 1.3 – Rôle central de pRb dans la progression du cycle cellulaire (D’après

(Coller, 2007))

L’entrée en phase S est caractérisée par la phosphorylation de pRb par les complexes Cycline D/CDK4, Cycline D/CDK6 et Cycline E/CDK2. La phosphorylation de pRb entraine la libération du facteur de transcription E2F, qui active ensuite les gènes nécessaires pour la progression du cycle cellulaire.

Il est également intéressant de noter que, même en prenant en compte ce temps de latence, la durée du premier cycle de division reste plus importante que la durée des cycles suivants. Une étude publiée récemment apporte une réponse intéressante

(Mishima et al., 2014). Dans cette étude basée sur des LT CD4+stimulés avec de la

PMA et ionomycine, les auteurs montrent que les phases « Gap », phases décrites comme étant nécessaires à la croissance de la cellule et à la préparation de la

phase S (phase G1) ou de la phase M (phase G2), sont quasiment absentes lors du

deuxième cycle. Ceci permet ainsi à la cellule de se diviser de manière très rapide.

Les LT CD4+ doivent donc posséder un mécanisme de régulation unique pour

compenser le raccourcissement de ces phases G1 et G2 et maximiser leur vitesse

de prolifération.

En 2014, une équipe propose quant à elle un modèle de « cycle cellulaire élastique » (Dowling et al., 2014). Cette étude est basée sur l’utilisation de LT issus d’une souris transgénique exprimant un reporteur fluorescent rouge durant

la phase G1 et un reporteur vert à partir de la phase S jusqu’à la fin du cycle. Ils

proposent un modèle de cycle cellulaire au cours duquel la durée de chaque phase individuelle varie en proportion directe par rapport à la durée totale de la division. Ce modèle suppose la présence d’un facteur partagé et transmis aux cellules filles qui affecte la progression à travers toutes les phases du cycle cellulaire. Différents candidats peuvent être envisagés. En effet, les changements

1.2. LA TRANSITION DE LA QUIESCENCE À LA PROLIFÉRATION 47 de durée des phases du cycle cellulaire peuvent être dus à des niveaux différents de protéines régulatrices telles que les cyclines ou les CDK ou à des modifications épigénétiques contrôlant le niveau de synthèse d’ARNm.

Le degré de quiescence des LT, inhérent à leurs propriétés intrinsèques, pourrait donc influencer le temps nécessaire pour passer le point de restriction et entrer dans le cycle cellulaire.