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6.2 Quels indicateurs pour mesurer l’utilité sociale ?

Dans le document Connaissance des associations (Page 70-73)

6.2.1. Une synthèse des différentes approches

Le choix des indicateurs de mesure est indissociable des critères retenus pour qualifier les activités associatives d’utilité sociale. L’exercice le plus complet et le plus formalisé dans ce domaine est celui qui a été réalisé dans le rapport de Jean Gadrey. Il répertorie trente-cinq critères élémentaires qu’ils classent dans une grille de onze critères globaux eux-mêmes regroupés en cinq thèmes d’utilité sociale :

Thème 1 Critères globaux Critères élémentaires

Moindre coût collectif Réduction indirecte de coûts

Richesse économique créée ou économisée

Contribution au taux d’activité Contribution au dynamisme économique

Utilité sociale à forte composante économique

Territoire

Animation du territoire, du quartier

Pour cette thématique, l’utilité sociale de l’activité d’une association peut être caractérisée objectivement par sa capacité à produire à moindre coût, des services identiques rendus par les entreprises des secteurs lucratif et public. L’indicateur naturel est la différence entre les coûts de

production entre organisations associatives et autres organisations.

Des travaux, issus des milieux universitaires ou autres (DREES), comparant quantitativement et plus qualitativement un même type de service selon qu’il est rendu par une entreprise standard, une association ou un établissement public seraient souhaitables (domaines d’investigation possibles : l’insertion, les services à la personne, les maisons de retraite…). Ce type de comparaison a déjà été fait, en particulier pour comparer la « valeur ajoutée » des établissements scolaires publics et privés non lucratifs. (C. Thélot113).

D’autres critères renvoient à une réduction indirecte des coûts collectifs. C’est notamment le cas de l’activité associative de réinsertion des personnes sans emploi, qui a pour résultat de réduire les dépenses publiques d’indemnisation du chômage. Dans ce cas, un indicateur pourrait être la dépense

publique d’indemnisation économisée.

Thème 2 Critères globaux Critères élémentaires

Réduction des inégalités sociales Actions vers publics défavorisés Insertion des désaffiliés dans l’emploi Egalité professionnelle homme femme Tarification modulée des services Droit au logement

Soutien scolaire enfants en difficulté

Egalité, développement des « capabilités »

Reprise de confiance en soi

Actions pour le développement et lutte contre la pauvreté

Solidarité internationale développement humain

Défense des droits de l’homme

Améliorer la qualité de l’environnement naturel

Egalité, développement humain et développement durable

Développement durable

Préserver les ressources naturelles

Cette thématique s’articule principalement autour des problématiques traditionnelles de l’action sociale : la réduction des inégalités (économiques ou discriminatoires), la lutte contre l’exclusion et la pauvreté. Ces sujets sociaux sont largement étudiés et des statistiques sont produites régulièrement par le système statistique public (DARES, DREES, INSEE) et les milieux académiques.

113

A ce sujet, on peut citer le rapport « Niveaux de vie et inégalités sociales » rédigé dans le cadre d’un groupe de travail du Cnis et présidé par Jacques Freyssinet. Ce document, paru fin 2006, proposait une liste de dix indicateurs d’inégalités privilégiés qui balayaient un large spectre social :

- le niveau de vie (en termes de rapport entre le dernier et le premier décile de la distribution des revenus, ainsi que la persistance dans la tranche des bas revenus) ;

- le patrimoine détenu (ratio identique à celui du niveau de vie) ;

- le salaire annuel (rapport interdécile D9/D1 et médiane hommes/ médiane femmes) ; - le taux de chômage (rapport ouvriers non qualifiés / cadres) ;

- la transition emploi chômage (probabilité d’être encore au chômage au bout d’un an - ouvriers non qualifiés / cadres) ;

- le surpeuplement (en référence aux ménages vivant dans un logement « surpeuplé ») ; - le niveau de sortie du système éducatif ;

- l’espérance de vie à 60 ans.

La difficulté est cependant d’isoler la contribution des activités associatives dans la réduction des inégalités sociales, mesurée à l’aune de cette batterie d’indicateurs.

Thème 3 Critères globaux Critères élémentaires

Création de liens sociaux

Entraide, échanges locaux de savoirs

Lien social

Impact positif du capital social

Dialogue participatif, processus de décision pluraliste

Lien social et démocratie locale

Démocratie locale

Prise de parole des citoyens

Ce thème regroupe des problématiques de cohésion sociale. Ce sont celles qui contribuent à la création et au développement de liens sociaux. Dans ce domaine, les associations ont un rôle incontestable par leur capacité à créer des liens entre les individus et réinsérer des personnes isolées. Elles sont également un élément prépondérant dans l’accumulation de capital social (ensemble des liens personnels, réseaux), aspect qui sera présenté plus en détail dans la suite du chapitre. L’évaluation de cette dimension de l’utilité sociale est très délicate, mais les missions d’entraide, d’insertion et de vivre ensemble, de faire société sont au cœur des projets associatifs.

Thème 4 Critères globaux Critères élémentaires

Découverte de besoins émergents Réponse à des besoins non couverts Innovations institutionnelles Innovations organisationnelles Contributions à l’innovation sociale, économique, institutionnelle Innovation Valeur du « monde » de la

création Distinction des innovations internes et externes

Cette dimension de l’utilité sociale met en avant la capacité des associations, notamment, à mettre en œuvre des projets innovants répondant à des besoins insatisfaits ou inexplorés. Dans le domaine de l’innovation sociale, l’implantation des structures associatives au cœur des territoires et au plus près des citoyens, leur a permis d’être souvent pionnières dans l’émergence de nouveaux services, d’autant plus que ces services étaient fournis sans but lucratif. Une mesure possible de cette plus- value associative réside dans le repérage et la description des innovations et l’évaluation de leurs

Thème 5 Critères globaux Critères élémentaires Non lucrativité Gestion désintéressée Désintéressement, don et bénévolat Action bénévole

Règles de démocratie interne et participation conjointe

Gouvernance alternative

et plus démocratique Libre adhésion : libre entrée et libre sortie

Formation interne coopérative Reconnaissance sociale et salariale

Utilité sociale « interne », avec des effets possibles de contagion « externe »

Professionnalisme associatif

Formations internes et externes

Les deux premiers critères globaux (désintéressement, don, bénévolat, et gouvernance associative) sont des critères internes de fonctionnement et sont rarement considérés comme des critères d’utilité sociale par les structures associatives. Ils sont toutefois évoqués par des acteurs de terrain et repris dans certains des 38 rapports dont Jean Gadrey a fait la synthèse. Il renvoie plus à des questions d’éthique, tout en se prêtant assez facilement à une mesure : vérification de la non-lucrativité et de la

gestion désintéressée, mesure de l’activité bénévole, vérification du respect des règles démocratiques.

6.2.2. Le capital social : une pseudo-mesure de l’utilité sociale

La notion de capital social, en tant que bien collectif, est assez récente et elle a été principalement introduite par les travaux du politologue américain Robert Putnam. Pour lui, « le capital social fait référence à des caractéristiques de l’organisation sociale telles que les réseaux, les normes et la confiance sociale, qui facilitent la coordination et la coopération en vue d’un bénéfice mutuel »114. Cette vision se distingue de celle du sociologue Pierre Bourdieu, qui traite du capital social comme d’une ressource privée qui permet à l’individu d’améliorer sa situation économique, sociale et symbolique115.

Dans la panoplie des indicateurs sociaux, le concept de Putnam présente l’avantage de se prêter à une certaine forme de mesure. Le socio-économiste Bernard Perret regroupe en cinq composants principaux, une quinzaine d’indices élémentaires du capital social proposés par Putnam :

- la vie organisationnelle de la communauté dont l’intensité peut être mesurée par :

o la part des individus ayant participé au conseil d’administration ou à un comité d’une organisation l’an passé

o la part des individus ayant dirigé un club ou une organisation l’an passé

o le nombre d’organisations civiques et sociales pour 1 000 habitants

o le nombre moyen de réunions de clubs par personne

o le nombre moyen d’adhésion à des groupes par personne. - l’engagement dans les affaires publiques :

o le taux de participation aux élections présidentielles

o le taux de participation aux réunions publiques (communes ou villes) l’an passé - le volontariat communautaire :

o le nombre d’organisations sans but lucratif pour 1 000 habitants

o le temps consacré à des projets communautaires l’an passé

o le temps consacré au bénévolat l’an passé - la sociabilité informelle :

o accord avec l’affirmation « j’ai passé beaucoup de temps à visiter des amis »

o temps moyen de loisir passé à la maison l’an passé

114

Putnam : « Bowling Alone ; America’s Declining Social Capital », Journal of social democracy (6) n°1, 1995.

115

- confiance sociale :

o accord avec l’affirmation « on peut faire confiance à la plupart des gens »

o accord avec l’affirmation « la plupart des gens sont honnêtes ».

Dans cette optique, le capital social apparaît non seulement comme un critère d’évaluation des politiques urbaines et éducatives, mais aussi comme un des aspects majeurs de l’utilité sociale des associations. En effet, si l’on exclut la production mesurable en termes économiques, une part a priori importante de la plus-value associative relève du capital social. Le rôle des associations est sans doute particulièrement significatif dans la création et le renforcement des liens sociaux, ainsi que dans la formation de réseaux.

C’est sur ce dernier point, que certaines réflexions ont été engagées et que des tentatives de quantification de la « productivité sociale » ont été menées. Une expérience intéressante est présentée dans la suite du chapitre.

Le SSP doit enrichir les indicateurs sociaux dans les secteurs d’activité où les associations sont actives et très présentes (culture, sports, éducation, santé, services sociaux…), avec des comparaisons quantitatives entre secteurs lucratif, non lucratif et public dans certains domaines (santé, services médico-sociaux et sociaux, éducation). Une réflexion est également nécessaire sur une méthodologie d’agrégation d’indicateurs, si un indicateur unique est considéré comme souhaitable. Le SSP peut aussi progresser dans la mesure du capital social, selon la méthode de Putnam adaptée à la France.

Dans le document Connaissance des associations (Page 70-73)