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3.1 Pourquoi mesurer le travail bénévole ?

Dans le document Connaissance des associations (Page 42-44)

3.1.1. Le travail bénévole est une ressource essentielle des associations et un facteur de production

Le bénévolat est une spécificité associative même si d’autres types d’organisations – les conseils municipaux, les partis politiques, les syndicats, les fondations, les mutuelles, les coopératives et les établissements publics - peuvent aussi en bénéficier. Pour les associations, le travail bénévole est à la fois une ressource essentielle et un facteur de production. C’est une ressource existentielle pour les associations sans salarié qui disparaissent en son absence. C’est une ressource importante pour beaucoup d’associations employeurs, même s’il se limite au bénévolat des administrateurs pour les plus salarisées d’entre elles. En outre, toutes les associations doivent évidemment leur origine à une initiative bénévole. Le travail bénévole n’est pas seulement une ressource renouvelable, non délocalisable et peu coûteuse65

pour l’association, c’est aussi un facteur de production qui, seul ou en coordination avec des salariés, produit les services rendus aux membres ou aux bénéficiaires de l’association.66

Le travail bénévole est donc en interaction avec le travail rémunéré au sein des associations. Selon les secteurs d’activité et les types de gouvernance associative, la coordination varie et on observe fréquemment une salarisation de certains services auparavant assurés par des bénévoles seuls. Rappelons que des métiers aussi générateurs d’emplois que les infirmières, les assistantes sociales, les éducateurs spécialisés, les métiers de l’animation socio-culturelle67

… ont été initialement exercés bénévolement à des périodes diverses du 20ème siècle. Actuellement le même processus de salarisation peut être observé pour des métiers expérimentés bénévolement, comme ceux de la formation sportive, de la médiation des conflits, de la prévention de la délinquance ou de l’aide à domicile.

3.1.2. Le bénévolat est un élément de qualité de vie

Mesurer sa dimension économique n’épuise évidemment pas l’observation du bénévolat qui vaut surtout par sa dimension relationnelle et symbolique, voire subversive de l’analyse économique dominante68. Mû par l’altruisme et le sens de l’intérêt général ou collectif69 le bénévolat exprime de

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Et non gratuite, car l’association doit prévoir l’encadrement, la formation et l’équipement du bénévole.

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Ce double caractère du bénévolat explique que, dans le futur compte satellite des ISBL, la valeur monétaire du bénévolat soit portée en emplois et en ressources, ce qui ne modifie pas l’équilibre du compte. Ce double caractère explique aussi que l’on appréhende par deux types d’enquêtes le bénévolat (cf. infra).

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Cf, par exemple, Guerrand R-H. et Rupp M-A Brève histoire du service social en France, Paris, Editions ouvrières, 1969.

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Aucun « homo economicus » ne travaille gratuitement : dans l’analyse économique néo-classique standard, le travail est désutile et doit être compensé par une rémunération.

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La première motivation des bénévoles est d’être utile à la société selon l’enquête INSEE, enquête « vie associative, partie variable de l’Enquête permanente sur les conditions de vie, 2002.

façon pure la motivation intrinsèque70 au travail qui existe aussi dans beaucoup d’emplois rémunérés et notamment les emplois associatifs ou publics. La dimension très relationnelle de la plupart des tâches bénévoles est également créatrice de lien social, ce que souligne l’existence dans la plupart des 36 000 communes françaises des mêmes associations animées généralement uniquement par des bénévoles : comité des fêtes, club de football ou multisports, association de parents d’élèves, club de troisième âge, association de chasseurs ou de pêcheurs, association de quartier… Proches le plus souvent du conseil municipal, les bénévoles servent souvent d’intermédiaires entre les administrés et les élus municipaux ; ils font donc vivre une certaine forme d’« agir communicationnel »71

, de démocratie participative, grâce auxquels les zones rurales ne sont plus le désert français.

En ce sens le bénévolat est donc un élément direct de qualité de vie, pour les membres et usagers des associations comme pour le bénévole lui-même qui y trouve un sens à la vie, une sociabilité de qualité et un développement de ses compétences. Cependant, le rapport de la Commission Stiglitz- Sen-Fitoussi ne parle pas du bénévolat alors qu’il consacre de longs développements au travail domestique non rémunéré comme élément de bien-être72

. Cette omission est curieuse. En effet, le rapport Stiglitz recourt au principe d’invariance73

comme fil directeur de la réflexion sur les problèmes classiques de mesure du PIB qui remonte à une longue tradition historique (Vanoli, 2002). Cependant, il applique ce principe aux seuls services rendus à l’intérieur des ménages, ce qui l’amène à demander une mesure de la production domestique. Mais pourquoi utiliser ce principe pour les seuls services réalisés par le travail impayé des Ménages et non pour le travail bénévole organisé ? La croissance qui résulte du processus de salarisation du secteur non lucratif peut, elle aussi, être considérée comme surestimée, alors qu’elle peut s’accompagner d’une dégradation qualitative non prise en compte.

3.1.3. Le travail bénévole entre les deux frontières de production

Si l’on s’en tient à sa dimension économique, le travail bénévole, comme le travail domestique, entre dans la frontière générale de la production définie par le System of National Accounts 2008 de la manière suivante :

Economic production may be defined as an activity carried out under the control and responsability of an institutional unit that uses inputs of labour, capital and goods or services... Activities that are not productive in an economic sense include basic human activities such as eating, drinking, sleeping, taking exercise etc., that it is impossible for one person to employ another person to perform instead [6.24-25]74

Or le travail bénévole s’exerce bien sous le contrôle et la responsabilité d’une unité institutionnelle, association (ou autre ISBL) et il répond au critère de la tierce personne puisqu’on peut généralement lui substituer du travail rémunéré.

Cependant, comme la production de services par les membres d’un ménage pour leur compte propre, les services rendus par les bénévoles des associations sont exclus de la frontière de la production plus étroite qui est celle des comptes nationaux. Or aucune des justifications du SNA 2008 pour exclure la production domestique de services pour compte propre ne vaut pour le travail bénévole :

• la relative indépendance de ces activités par rapport aux marchés,

• l’extrême difficulté à donner une estimation économiquement significative de leur valeur,

• leur indépendance par rapport à la politique économique [SNA 2008, 6. 29-30].

En effet, les activités associatives ne sont indépendantes ni du marché des biens et services ni du marché du travail. Il n’est pas impossible d’attribuer une valeur économique au temps de travail

70

Cette motivation intrinsèque est traditionnellement mesurée par la différence entre le salaire effectivement perçu par le travailleur dans l’emploi qui le motive et où il choisit de rester et celui, en général plus élevé, qu’il pourrait percevoir sur le marché du travail.

71

Habermas J, Théorie de l’agir communicationnel, Fayard, 1981.

72

Stiglitz J., Sen A. et Fitoussi J-P Rapport de la Commission sur la mesure des performances économiques et

du progrès social, La Documentation Française, 2009.

73

Selon ce principe, les agrégats doivent être invariants quand il y a changement de secteur institutionnel producteur d’un même bien ou service (cf. Vanoli A. Une histoire de la Comptabilité nationale, La Découverte, 2002, chapitre 6 et 7).

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« La production économique peut être définie comme une activité accomplie sous le contrôle et la responsabilité d’une unité institutionnelle qui utilise des apports en travail, capital, biens et services pour produire des biens et des services… Les activités improductives du point de vue économique, telles que manger, boire, dormir ou prendre de l’exercice, sont celles pour lesquelles il est impossible à une personne d’employer quelqu’un pour les réaliser à sa place. ». Traduction des auteurs ; le SNA 2008 est en cours de traduction.

bénévole (cf. infra) : ce travail est socialement organisé et donc plus facilement comparable à des substituts marchands que le travail domestique ; sa valorisation monétaire est donc moins arbitraire. Enfin, la politique économique et sociale influence évidemment les associations et les bénévoles ; parfois même les politiques sociales sont discutées avec les associations et expérimentées par elles. Enfin, argument essentiel, la production des bénévoles organisés, contrairement à la production domestique, n’est pas une production pour compte propre mais une production pour d’autre unités institutionnelles : les ménages surtout, mais aussi les entreprises, les administrations publiques ou la société dans son ensemble. Par ailleurs son poids économique est beaucoup moins important que celui du travail domestique ; la prise en compte du bénévolat ne modifie donc que marginalement les équilibres macroéconomiques. Mesurer le bénévolat cependant implique un consensus sur sa définition.

Dans le document Connaissance des associations (Page 42-44)