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4.1 : Les re-modélisations artistiques

4.1.2 Quelques projets

En 1997, Quartier Éphémère réalise le projet Panique au faubourg dans lequel dix artistes sont appelés à mettre en valeur des bâtiments à caractère patrimonial du Faubourg des Récollets, un ancien quartier industriel en déclin. La demande faite aux artistes est « de questionner et interpréter par leurs œuvres ces sites, leur histoire, leur architecture et leur problématique urbaine »50. Anciennes fonderies, forges et manufactures sont alors investies par les œuvres de ces artistes (fig. 19 et 20), des installations qui se présentent comme des « moyen[s] de sauver de l’oubli un quartier à l’abandon » (Verdier 1997 : 6). Par leurs interventions, les artistes arrivent à sensibiliser le public à l’histoire des lieux et amènent les citoyens à y jeter un nouveau regard. Les œuvres sont éphémères, mais la réflexion, elle, s’installe; en 1998, sera lancé le projet de la cité du Multimédia faisant de l’ancien faubourg industriel un quartier consacré aux nouvelles technologies.

47 POINT ÉPHÉMÈRE (mars 2011). [Sans titre], [En ligne],

http://www.pointephemere.org/spip.php?article10. Consulté le 4 mars 2011.

48 FONDERIE DARLING. « Mission », À la une…, [En ligne],

http://www.fonderiedarling.org/quartier/index.html. Consulté le 11 janvier 2011.

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POINT ÉPHÉMÈRE (mars 2011). [Sans titre], [En ligne],

http://www.pointephemere.org/spip.php?article10. Consulté le 4 mars 2011. 50

FONDERIE DARLING. « Événement », À la une…, [En ligne],

Conscient du pouvoir catalyseur que peuvent avoir les artistes sur la revitalisation de quartiers et de lieux en perdition, Quartier Éphémère poursuit ses activités avec la transformation en 2001 de l’élévateur à grain n° 5 du Vieux-Port de Montréal en véritable instrument de musique avec le projet Silophone51. Que ce soit par téléphone, via le web ou par l’observatoire sonore situé à l’extérieur du silo (fig. 21), des sons en provenance du monde entier sont projetés à l’intérieur de la structure pour en faire une gigantesque caisse de résonnance. Des microphones installés à l’intérieur captent les réverbérations sonores qui sont ensuite rediffusées par les mêmes voies de communication (téléphone, web et observatoire). Silophone donne la possibilité au public de s’approprier, par le son, l’espace inaccessible des silos abandonnés. Il s’installe alors un jeu entre la matérialité des silos et l’intangibilité des retentissements sonores qui permet de saisir l’espace d’une façon originale. Le projet créé par [The User] avait comme visée « de stimuler une prise de conscience collective et d'encourager les activités susceptibles d'insuffler une nouvelle vie à l'élévateur à grain abandonné »52. De nombreux projets ont découlé de cette installation sonore et ont permis de maintenir à flots, pendant un certain temps, la mémoire du lieu : le lancement du CD abandon présentant la musique composée par [The User] pour le silo,

51 SILOPHONE. « À propos de Silophone », Investir le Silo n° 5 par le son, [En ligne]

http://www.silophone.net/fra/about/desc.html. Consulté le 11 janvier 2011.

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SILOPHONE. « À propos de Silophone », Investir le Silo n° 5 par le son, [En ligne] http://www.silophone.net/fra/about/desc.html. Consulté le 11 janvier 2011.

Figure 19 – Atelier In Situ (Geneviève L’Heureux, Annie Lebel, Stéphane Pratte), projections grands

silos n°5, 1997. ©, 1997, Quartier Éphémère.

Figure 20 – Marcus Macdonald, Météorite, météorite, photocopies, charbon, forge

W.Cadieux, 1997. ©, 1997, Quartier Éphémère.

Illustration retirée Illustration retirée

un site web de documents d’archives sur le projet nommé Reservoir, une exposition sur l’élévateur à grain au Centre d'histoire de Montréal, une charrette d'architecture organisée par Docomomo Québec, etc. Le Silophone a donc permis d’attirer l’attention du public sur l’ancien bâtiment désaffecté et de lancer une réflexion sur ses futurs possibles. En novembre 2010, la Société Immobilière du Canada (SIC) acquiert le silo n° 5 avec l’objectif de « réaliser un projet novateur qui tirera parti de la juste mise en valeur de la jetée et de son Silo n°5, et ainsi contribuer au développement et rayonnement de Montréal »53.

Figure 21 – [The User], Silophone, 2000, installation musicale à l’élévateur à grain n° 5, Montréal. © 2010, Elsa Guyot. Reproduit avec l’autorisation

de l’auteur.

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SOCIÉTÉ IMMOBILIÈRE DU CANADA (2011). Pointe-du-Moulin, Aperçu, [En ligne], http://www.pointedumoulin.ca/fr/accueil. Consulté le 28 avril 2011.

En 2005, l’artiste éclairagiste Axel Morgenthaler54 fut invité par Quartier Éphémère à pratiquer une intervention sur l’ancien bâtiment du Canada Maltage (fig. 22) afin de commémorer son 100e anniversaire. Le bâtiment, situé rue Saint-Ambroise dans le quartier St-Henri, fut construit en 1905 par l’architecte D. Jerome Spence. L’installation Obsolescence se voulait un dernier hommage à la structure dont la dégradation trop avancée annule toute possibilité de conservation. À l’aide de son matériau de prédilection, la lumière, l’artiste met en valeur les éléments architecturaux caractéristiques de l’édifice comme les fameux silos en terre cuite, les derniers de ce type en Amérique du Nord, et les constructions du sommet formant un « petit village de maisons suspendues »55. Voulant rappeler la mémoire ouvrière des lieux, l’éclairagiste mime à l’aide de stroboscopes les réflexions lumineuses des torches à souder qui ont autrefois habité l’édifice56. L’installation est accompagnée d’une exposition regroupant les œuvres d’artistes ayant représenté le bâtiment en peinture ainsi qu’en photo et de visites guidées nocturnes offrant la chance au public de découvrir l’intérieur du bâtiment normalement interdit d’accès (une sorte d’exploration urbaine autorisée). Les lumières chatoyantes auront eu pour effet d’attirer le regard des gens sur ce grand mal-aimé du paysage du Sud-ouest montréalais et de faire prendre conscience de son histoire et des raisons de sa désertion. Aujourd’hui, on peut lire sur le site web de la ville de Montréal que la démolition du bâtiment n’est pas souhaitée et l’on reconnaît sa valeur patrimoniale. Une étude de faisabilité de la remise en valeur du site aurait même été commandée par l’arrondissement du Sud-Ouest qui dit « promouvoir activement son

54 MORGENTHALER, Axel. Intro, Urban lighting installations and lighting sculptures in Canada and

abroad by visual artist Axel Morgenthaler, [En ligne], http://www.axelmorgenthaler.com/. Consulté le 11 janvier 2011.

55 FONDERIE DARLING. « Artistes », À la une…, [En ligne],

http://www.fonderiedarling.org/soutenir/index.html. Consulté le 11 janvier 2011.

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LAMARCHE, Bernard (2005). « Montréal - Un dernier hommage à une ruine moderne », Le Devoir, [En ligne], mai, http://www.ledevoir.com/societe/81897/montreal-un-dernier-hommage-a-une-ruine- moderne. Consulté le 5 mars 2011.

redéveloppement »57.

Figure 22 – Axel Morgenthaler, Obsolescence, 2005, éclairage du Canada Maltage, Montréal. © 2005, Quartier Éphémère.

Ces quelques projets montrent comment il est possible de changer les critères selon lesquels on juge les ruines industrielles sans nécessairement opérer une transformation radicale ou permanente de leur aspect ou de l’état de leur structure. En modifiant seulement le cadre d’interprétation du bâtiment, nous changeons la conception que l’on en a. Par ces re-modélisations artistiques, on attire l’attention sur ce qui est particulier et significatif dans les édifices en espérant provoquer une réflexion sur le bâtiment, son histoire et l’importance qu’il peut avoir au sein de la communauté.

Bien que ces re-modélisations soient des usages autorisés des ruines industrielles, elles se rattachent quelque peu aux activités moins conformes dont nous parlions au chapitre précédent. Tout d’abord, les interventions pratiquées par Quartier

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VILLE DE MONTRÉAL (2011). Le portail officiel de la Ville de Montréal, [En ligne],

http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=81,22863582&_dad=portal&_schema=PORTAL. Consulté le 28 avril 2010.

Éphémère cherchent à mettre en évidence les qualités inhérentes des bâtiments abandonnés, leur esthétique et leur histoire et emploient des moyens originaux afin d’attirer l’attention des citoyens. Ensuite, les installations encouragent l’évocation d’une mémoire plus personnelle et libre qui éveille chez les gens un intérêt envers les ruines, un peu de la même façon que le font l’exploration urbaine ou la photographie. En revanche, et à la différence de ces deux activités, la transmission de cette mémoire, plus limitée dans le temps parce que n’utilisant pas les mêmes moyens de communication (sites web d’exploration ou sites de partage de photos), se fera à une plus petite échelle, mais de façon plus spectaculaire. Nous considérons tout de même les re-modélisations artistiques comme des expressions performatives du patrimoine puisqu’elles encouragent la réinsertion de bâtiments et de sites oubliés non seulement dans la mémoire collective, mais également dans la vie sociale de la population montréalaise.