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Quelles traces nous a laissées le passé ?

L'étude des eucaryotes qui semblent les plus primitifs ne permettant pas de connaître l'origine des cellules eucaryotes, comment peut-on dans ce cas obtenir des informations sur cette origine ? Nous allons voir trois lignes d'étude qui tentent de répondre à cette question.

Les fossiles

Classiquement, la science qui étudie l'histoire évolutive des espèces est la paléontologie. Que peut-elle donc nous apprendre sur l'histoire ancienne des eucaryotes ?

L'apparition des premiers fossiles d'animaux se situe à la séparation entre le précambrien et le cambrien vers - 544 Ma (= millions d'années). Auparavant, c'est à dire pendant l'ère protérozoïque (- 2500 Ma à - 544 Ma), il existe une faune microbienne fossilisée qui contient des cellules procaryotes mais probablement aussi eucaryotes. En effet, il existe des fossiles ressemblant à des algues rouges bangyophytes parfaitement préservés et possédant toutes les caractéristiques de celles-ci comme la multicellularité et la reproduction sexuée datant de – 1200 Ma (voir figure 216). Avant, les fossiles sont plus difficiles à interpréter. Vers - 1800 Ma, on note dans les sédiments des cellules qui ressemblent à des kystes ou des thèques de certains flagellés et certaines amibes (les achritarches). De même, des "algues" du genre Grypania sont présentes dans des roches datant de - 2100 Ma. La taille de ces fossiles et leur complexité suggèrent qu’ils pourraient provenir d’eucaryotes. Avant, pendant l'ère dite archéenne (avant - 2500 Ma), il n'existe pas de fossiles.

En conclusion, les fossiles suggèrent que les eucaryotes pourraient avoir une origine très ancienne datant de plus de deux milliards d’années.

Les marqueurs chimiques

Une alternative à l'approche morphologique, pour évaluer la présence de fossiles, est la recherche de marqueurs chimiques spécifiques des eucaryotes qui pourraient être préservés dans les sédiments. Les stérols sont de bons candidats pour cette approche (voir la Table 1). C'est ce qui a été fait sur des roches très anciennes âgées de - 2700 Ma, qui datent donc de l'ère archéenne. Des analyses chimiques ont montré, sans ambiguïté semble-t-il, la présence de stéranes, composés organiques dérivant des stérols.

Comme les données morphologiques des fossiles primitifs, cette découverte suggère que les eucaryotes ont probablement une origine beaucoup plus ancienne que ce

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que l'on pense généralement. Cependant, nous avons vu que certaines bactéries comme les Planctomycetales peuvent synthétiser des stérols et certains avancent cet argument pour rejeter l'hypothèse de l'apparition ancienne et donne une date plus récente pour l'apparition des eucaryotes.

Les signatures génomiques

Les génomes contiennent des traces de l’histoire des organismes. Leur analyse doit donc permettre dans une certaine mesure de la retracer. Les comparaisons des protéines ayant les mêmes fonctions et un même ancêtre dans les trois règnes du vivant ou protéines orthologues montrent que les génomes des eucaryotes contiennent une mosaïque de gènes : certains codent des protéines plus apparentées à des protéines d’eubactéries, d’autres à des protéines d’archées et le reste à des protéines qui semblent spécifiques des eucaryotes (figure 17).

α-proteobacteries

autres bactéries

archées

spécifiques des

eucaryotes

Il est possible de définir deux grandes classes de gènes suivant leur rôle dans la physiologie cellulaire: les gènes impliqués dans l'expression de l'information, appelés gènes informationnels comme les gènes impliqués dans la traduction, la transcription, la réplication, plus les GTPases et les ATPases vacuolaires, et les gènes impliqués dans le métabolisme appelés gènes opérationnels comme ceux impliqués dans la synthèse des acides aminés, des cofacteurs, des nucléotides et des lipides, ceux impliqués dans le métabolisme énergétique ou ceux codant les protéines d'enveloppe. Les comparaisons

Figure 17 Résultats des comparaisons des protéines des eucaryotes avec celles des autres domaines du

vivant. Chaque portion du camembert est proportionnelle à la fraction des protéines eucaryotes ayant la ressemblance la plus forte avec le groupe indiqué.

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montrent que les gènes informationnels en général ressemblent fortement à ceux des archées, alors que les gènes opérationnels ressemblent plutôt à ceux d’eubactéries. Quant aux gènes absents chez les procaryotes, ils codent de manière attendue pour des protéines impliquées dans processus spécifiques des eucaryotes : mise en place du cytosquelette, de l'endocytose/phagocytose, mais aussi de la transduction du signal via le calcium et les protéines G, des protéines nucléaires comme les histones sensu stricto, les protéines du pore nucléaire et de l'épissage, et de manière plus inattendue des protéines ribosomiques et quelques enzymes. Le génome procaryote qui actuellement contient le plus de gènes présents typiquement chez les eucaryotes et absents usuellement chez les procaryotes est celui d’archées du genre Lokiarchaeum. Ces organismes non-cultivés ont été découverts en 2015 via leur ADN dans des sédiments marins proches de sources hydrothermales et forment la lignée des Lokiarchaeota. Le génome de ces organismes contient des gènes codant pour des actines, certains composants de la machinerie ESCRT impliqués dans la gestion du trafic vésiculaire et des petites protéines G impliquées dans la division cellulaire.

Ces analyses montrent donc que le génome eucaryote s’est constitué à partir de gènes provenant d’eubactéries, d’archées et de gènes qui ont pu apparaître au cours de l’évolution de la cellule eucaryote. Il se pose donc deux questions :

- Quel est le rapport entre les eubactéries, les archées et cellules eucaryotes ? - Comment sont apparus les attributs caractéristiques des cellules eucaryotes ?

Les réponses à ces questions sont claires : on ne les connait pas ! La nature de l'ancêtre des eucaryotes est inconnue et sa description relève aujourd'hui encore de la spéculation car aucune trace fossile claire des premières cellules eucaryotes ne subsiste. Néanmoins, l’ensemble des données suggèrent une apparition précoce des eucaryotes, ou de leur ancêtre, la cellule « proto-eucaryote », et donc potentiellement une très longue histoire évolutive, probablement à partir d’au moins deux précurseurs : une archée et une eubactérie. Comment s’est exactement produite cette apparition est encore mystérieuse et le chapitre suivant va présenter quelques hypothèses.

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Quelques théories pour expliquer l’origine de la cellule