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Grands évènements jalonnant l’évolution des eucaryotes Si l’origine de la cellule eucaryote est définie par la formation de la mitochondrie,

il est possible de définir trois étapes majeures de son évolution : la formation de la mitochondrie, la formation des plastes et l’apparition de la pluricellularité. Alors que la formation de la mitochondrie semble être liée à un évènement unique, les deux autres étapes sont plus complexes et ont en fait des origines multiples.

La mitochondrie

L'origine de la mitochondrie ne semble plus présenter de problème. En effet, il est clair pour l'ensemble de la communauté scientifique qu'elle dérive de l'endosymbiose d'une bactérie de la classe des α-protéobactéries dans une cellule précurseur. L'argument central en faveur de cette hypothèse est que la mitochondrie possède son propre système génétique, c'est à dire qu’elle fonctionne comme une bactérie très simplifiée. En particulier, les séquences des ADN mitochondriaux de protozoaires de la classe des

Jakobida (embranchement des Excavata), tels que Reclinomonas americana (figure 24) ou Andalucia godoyi, apporte des renseignements très intéressants. Ces protistes possèdent

des génomes mitochondriaux codant pour une centaine de gènes, ce qui est le plus grand nombre observé pour des génomes mitochondriaux. De fait, tous les gènes

Figure 24 Reclinomonas americana et son génome mitochondrial. R. americana est un protozoaire d’eau douce

cosmopolite. Il est le plus souvent enchâssé dans une thèque organique qui l’attache sur le substrat via un pédicelle. L’épipodium est une structure soutenu par des microtubules mais n’est pas un troisième flagelle. Son génome mitochondrial est un des plus grands connus ; en bleu, les gènes codant des protéines, en orange, les gènes d’ARN ribosomiques et en vert les gènes d’ARNt ; le cercle central représente le pourcentage en base GC.

pédicelle thèque flagelle antérieur flagelle postérieur épipodium 5 µm Reclinomonas americana ADNmt

40 ADN mitochondriaux Pelagibacter unique Rickettsia conorii Wolbachia sp. Anaplasma marginale

Rhodospirillales

sphingomonadales

Rhizobiales

γ-Proteobacteria

α

-Pr

ot

eob

a

ct

er

ia

Rickettsiales

mitochondriaux présents chez les autres eucaryotes se retrouvent dans les génomes mitochondriaux des Jakobida. Ceux-ci contiennent outre ce que l'on trouve usuellement codé par le génome mitochondrial comme des ARN ribosomaux et quelques sous-unités des complexes respiratoires, un gène pour l'ARNr 5S, un gène pour le composant ARN de la RNAse P qui intervient dans la maturation des tRNA, des gènes codant des protéines ribosomales, des sous-unités du transport d'électron de la chaîne respiratoire, des transporteurs, une protéine de maturation du cytochrome c1, et, beaucoup plus intéressant, le système secY d’export bactérien des protéines et 4 gènes qui codent pour une ARN polymérase de type bactérien. Ces derniers gènes sont aussi très intéressants car jusqu'à la description de ces génomes, les ARN polymérases mitochondriales étaient codées par le noyau et avaient une structure d'ARN polymérase virale. Les génomes de

Jakobida ressemblent donc à des mini génomes bactériens, confirmant ainsi l'origine

endosymbiotique de la mitochondrie. La comparaison des séquences d'ADN mitochondrial ou de gènes codés par le noyau mais dont les produits fonctionnent dans la mitochondrie chez de nombreux organismes avec les banques de données montrent qu'elles ressemblent le plus souvent à celles des α-protéobactéries (figure 25). La bactérie actuelle ayant le génome le plus proche de celui des mitochondries est une rickettsie marine libre,

Pelagibacter unique. Toutefois, de nombreuses Rickettsiales sont des pathogènes

intracellulaires (Rickettsia sp.) ou des endosymbiotes (Wolbachia sp.). L'arbre obtenu Figure 25 Arbre phylogénétique des génomes mitochondriaux et bactériens. Les ADN mitochondriaux ont

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montre une seule racine ayant un support statistique fort, indiquant une origine unique de la mitochondrie. Néanmoins, lorsque les gènes sont analysés séparément, quelques gènes semblent provenir d’autres α-protéobactéries telle que des Rhizobiales. Notez que l'origine de la double membrane mitochondriale n'est pas claire (figure 23): reste de la double membrane de la protéobactérie à l'origine de la mitochondrie, qui serait alors soit entrée dans le cytosol et non dans une vacuole d'endocytose, soit se serait échappée d'un lysosome comme le font actuellement certaines bactéries ou bien la membrane externe provient de la vacuole d'endocytose ; la membrane externe ou interne de la bactérie aurait alors régressée.

Toutes les données actuelles indiquent donc qu'une seule endosymbiose serait à l'origine de la mitochondrie, suggérant que cet évènement a conféré à l’eucaryote ancestral un avantage sélectif très important, lui permettant de supplanter rapidement tous ses compétiteurs. Quel peuvent être les avantages apportés par la mitochondrie ? Ils divergent en fonction de la théorie que l'on retient pour l'apparition de la cellule eucaryote. Dans les théories syntrophiques, l'avantage postulé pourrait initialement être la fourniture efficace de H2 au partenaire méthanogène. Ensuite lors du basculement vers

une respiration aérobie, la mitochondrie aurait pu fournir une source d'énergie importante à la cellule. Une autre théorie suggère que la présence de la mitochondrie aurait permis l'évolution de la cellule eucaryote, en générant une réserve d'ATP qui aurait pu être utilisée pour la complexification du génome eucaryote, contrairement aux procaryotes qui utiliseraient en permanence l'ATP qu'ils produisent pour répliquer leur ADN et assurer les synthèses des autres macromolécules. Ces derniers auraient donc une pression pour aller vers des génomes compacts et efficaces contrairement aux eucaryotes. Cette hypothèse a été testée en mesurant la croissance de bactéries qui contiennent des plasmides multi-copies de tailles différentes, ce qui mime l'augmentation du génome, et il s'avère qu'il existe effectivement

une corrélation inverse entre la taille du plasmide, la fréquence avec laquelle il est perdu et le nombre de bactéries obtenues après croissance dans un milieu avec une quantité constante de nutriment. Cependant, cette hypothèse suppose que dès le début la mitochondrie fournissait de l’ATP à son hôte, ce qui pour la proto-mitochondrie aurait dû être fortement contre- sélectionné. La théorie que je favorise comme discuté au

Figure 26 Le translocateur ATP/ADP de la mitochondrie de levure (isoforme 2). Cette protéine forme un pore dans la

membrane interne mitochondriale et permet l’entrée d’ADP et la sortie d’ATP dans la mitochondrie. Elle appartient à une famille de transporteurs présents principalement chez les eucaryotes, mais dont quelques membres se retrouvent chez les eubactéries.

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chapitre précédent suggère qu'initialement la mitochondrie aurait pu détoxiquer l'oxygène et permettre la prolifération du proto-eucaryote initialement anaérobie obligatoire. Ce mécanisme aurait été particulièrement important au moment de la libération d’oxygène après l’invention de la photosynthèse oxygénique par les cyanobactéries, ce qui placerait l’origine de la mitochondrie et donc des eucaryotes vers -2 milliards d’années. L'apport d'ATP serait sous cette hypothèse un effet positif ultérieur car la mise en place finale de cette mitochondrie en tant que fournisseur d'énergie a nécessité une invention importante: le translocateur ADP/ATP qui permet la sortie de l'ATP et l'entrée d'ADP dans la mitochondrie (figure 26). Cette invention semble originaire de l'hôte eucaryote car les comparaisons de séquence montrent que l'échangeur ATP/ADP est proche de transporteurs à plus large spectre rencontrés chez les eucaryotes. Ceci a ainsi permis à la cellule hôte de mettre en esclavage la bactérie symbiotique. Notez qu'en plus de la respiration l'acquisition de la mitochondrie a pu être accompagnée de l'acquisition d'autres fonctions. En effet, la mitochondrie est le siège de nombreuses réactions métaboliques. Elle assure la maturation des centres fer-soufre nécessaires pour le fonctionnement de plusieurs enzymes essentiels à la cellule et intervenant dans divers processus cellulaires dont la modification des ARNs de transfert, le cycle de l'urée, la production d’énergie dans la mitochondrie ou la biosynthèse de l'hème, de cofacteurs et d'acides aminés. Il est surprenant de constater que l'activité respiratoire de la mitochondrie est dispensable alors que d'autres fonctions mitochondriales sont essentielles. Par exemple chez la levure Saccharomyces cerevisiae, un aérobe facultatif, la mitochondrie est requise, bien que cette levure puisse perdre son ADN mitochondrial, aboutissant à une absence de respiration. Un autre apport de la mitochondrie serait la mise en place de l'apoptose de type 1. En effet, ce type d'apoptose, présents chez de très nombreux eucaryotes, est déclenché par une modification de la perméabilité de la membrane mitochondriale externe. Ceci pourrait être une relique d'un système de défense mis en place par l'ancêtre de la mitochondrie (voir chapitre précédent). Son contrôle par la cellule eucaryote lui ayant permis à nouveau de complexifier ses mécanismes de développement ou de défense.

Après l'endosymbiose initiale, la proto-mitochondrie a subi une évolution simplificatrice (ou encore réductrice) qui s'est accompagnée d'une perte de ses gènes ou de leur transfert vers le noyau. Selon la théorie de l’origine phagotrophique, c’est ce processus qui serait le principal responsable de la présence des gènes fonctionnels dans les génomes nucléaires eucaryotes. Ce processus d'évolution réductrice se produit généralement dans le cas des parasites intracellulaires, tels que Rickettsia prowazekii. En effet, la comparaison des génomes de l’eubactérie Escherichia coli, de Rickettsia

prowazekii et de la mitochondrie montre que les 2 derniers génomes ont perdu des gènes

par rapport à celui d’Escherichia coli. Cependant, le processus de perte est différent entre

R. prowazekii et la mitochondrie. De même, les pertes se sont produites différemment

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cox1, cox3 cytB ARNr SSU &

LSU atp6 atp8 atp9 cox2 rps3 nad4L rps11 rpl12 sdh2 sdh3 tatC yejU atp1 rpl11 rpl14 rpl2 rpl5 rpl6 nad11 nad7 rsp2 rsp4 rsp7 rsp8 rsp19 rsp14 rsp13 rsp1 rsp10 secY tufA nad8 atp3 cox11 rrn5 yejR yejV nad1 yejW rpoA

rpoB rpoCrpoD

rpl1 rpl10 rpl18 rpl19 rpl20 rpl27 rpl31 rpl32 rpl34 Reclinomonas americana Marchantia polymorpha Plasmodium falciparum Schizosaccharomyces pombe sdh4 rps12 nad9 nad6

l'ensemble des gènes trouvés dans la mitochondrie chez les différents eucaryotes. Notez que les derniers gènes à partir sont les ARN ribosomaux, le cytochrome B et deux sous- unités de la cytochrome-oxydase. Il semblerait que le cytochrome B et les sous-unités 1 et 3 de la cytochrome-oxydase ne puissent être insérés correctement dans la membrane interne de la mitochondrie, le lieu de la phosphorylation oxydative, que co- traductionnellement. Ils doivent donc être traduits à l’intérieur de la matrice mitochondriale, d’où la nécessité de conserver les deux ARN ribosomiques qui ne peuvent pas passer de membrane car ils sont trop gros, et les gènes du cytochrome B et des sous- unités 1 et 3 de la cytochrome-oxydase. Dans les mitochondries actuelles, la majorité des protéines (99% des environ 800 protéines fonctionnant dans la mitochondrie) sont codées dans le noyau ; la mitochondrie n’est plus depuis longtemps un symbiote bactérien, mais bien un organite au fonctionnement complètement intégré.

D'un point de vue du mécanisme, les modalités fines du transfert des gènes mitochondriaux vers le noyau est inconnu. Ce processus peut être détecté chez la levure

Saccharomyces cerevisiae avec l'expérience décrite dans l’Encadré 4. Ce phénomène est

fréquent chez cette levure, contrairement au processus réciproque, ce qui rend compte du transfert unidirectionnel mitochondrie vers noyau. Néanmoins, des analyses récentes montrent que chez Saccharomyces cerevisiae une bonne moitié des protéines localisées

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Podospora anserina Homo sapiens

Monosiga brevicollis

dans la mitochondrie n'a pas d'homologue bactérien. Cet apport de protéine vers le compartiment mitochondrial proviendrait en partie de protéine de l'hôte eucaryote comme le translocateur ATP/ADP ou les acteurs annexes des systèmes TOM et TIM qui permettent les transports des protéines à travers les membranes externes et internes ; les cœurs de ces deux systèmes proviendraient de transporteurs bactériens ayant changé de sens. L’autre partie serait issue en partie de remplacements de gènes par des gènes viraux, comme l’ARN polymérase chez la majorité des eucaryotes, ou de gènes issus de transferts horizontaux provenant d’autres bactéries De fait, 40% des protéines fonctionnant dans la mitochondrie semblent provenir de divers eubactéries et archées.

Par la suite, pour qu’elle s’exprime dans le noyau, il est nécessaire que la séquence codante transférée capture une séquence d'adressage vers la mitochondrie et soit soumise à une expression appropriée. De même, actuellement, il faut corriger certains codons qui sont lus différemment dans le noyau et la mitochondrie. En effet, la réduction du génome mitochondrial s'est accompagnée de modifications du code génétique mitochondrial qui est différent du code génétique standard (voir plus bas et Table 2). Il semble donc qu’actuellement, les transferts mitochondrie-noyau soit très difficile. La simplification de la capacité codante des génomes mitochondriaux s'accompagne souvent de l'apparition de séquences non codantes, en particulier de l'arrivée massive de séquences intergéniques de fonction inconnue, dont certaines dérivent clairement de l’intégration de plasmides, ou d'introns (figure 28). Ces introns ressemblent aux introns que l’on trouve dans les bactéries et appartiennent principalement à deux familles distinctes. Une des deux familles produit un intron linéaire comme produit de la réaction d’épissage (groupe I) et l’autre une molécule branchée ou lariat comme les introns nucléaires (groupe II). La plupart contiennent une ou deux séquences codantes qui interviennent souvent dans l’épissage de l’intron qui les contient. Les introns de groupe I code des protéines ayant une activité endonucléase et ceux de groupe II une activité transcriptase inverse. Ces activités permet une mobilité des introns qui sont donc aussi des transposons. La taille des génomes mitochondriaux n’est donc pas toujours en relation directe avec leur capacité codante (figure 29).De plus, des modifications de la structure du génome et des mécanismes de codage ou d’expression peuvent aboutir à des modes de fonctionnement très différents de ceux des autres génomes (Encadré 5). La plupart des

Figure 28 La structure du gène codant la sous-unité 1 de la cytochrome-oxydase (cox1) chez 3 organismes. Chez l’homme, la séquence codante ne contient pas d’intron, alors que chez le choanoflagellé

Monosiga brevicollis, elle en contient trois de groupe I. Chez le champignon Ascomycota Podospora anserina, elle en contient deux de groupe II (en vert) et quinze de groupe I (en jaune).

45 Arabidopsis thaliana Tetrahymena pyriformis Plasmodium falciparum Homo sapiens Podospora anserina Reclinomonas americana Monosiga brevicollis Chlamydomonas reinhardtii

génomes sont circulaires mais dans certains cas, ils peuvent être linéaires (figure 29) ou sous forme de plusieurs chromosomes (Encadré 5).

Il n'y a pas de règle pour la structure de ces génomes car pour chaque groupe ils résultent d'une évolution particulière. Ces modifications importantes au cours de l'évolution sont probablement liées au fait qu'il existe en général des dizaines, voire des milliers, de molécules d'ADN mitochondrial par cellule et que donc pour chacune de ces molécules la pression de sélection est relâchée, permettant leur évolution rapide. La présence d'introns ayant aussi un comportement de transposon dans ces génomes permet à la fois leur fragmentation et leur réarrangement tout en maintenant par trans-épissage ou édition la capacité codante.

La diminution de la capacité codante des génomes mitochondriaux a aussi permis des modifications fréquentes du code génétique ; on connait actuellement 13 codes génétiques mitochondriaux différents, où jusqu’à 6 codons ont été réassignés. La Table 2 donne celui de la mitochondrie de Saccharomyces cerevisiae. Elles sont rares pour le code nucléaire. Chez certaines levures Saccharomycotina, CUG code pour la sérine plutôt que la leucine et chez certains Ciliophora des codons stop codent soit pour de la glutamine soit de la cystéine en fonction du groupe phylogénétique.

Figure 29 La taille des génomes mitochondriaux est très variable et n’est pas toujours en relation avec leurs capacités codantes. Le génome de Reclinomonas americana possède le plus grand nombre de gènes, mais est

beaucoup plus petit que celui d’Arabidopsis thaliana. Les plus petits génomes mitochondriaux connus sont ceux des Plasmodium qui ne mesurent que quelques kilobases. Ils codent pour 5 gènes. Au centre, GC%.

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Encadré 4

Le transfert d’ADN de la mitochondrie vers le noyau peut se démontrer facilement en utilisant la levure Saccharomyces cerevisiae. Pour ceci, des levures incapables de synthétiser de l’uracile, car possédant la mutation nucléaire URA3,- et incapables de respirer, car possédant la mutation mitochondriale mit-, sont transformées avec de l’ADN contenant les allèles sauvages des gènes URA3+ et mit+, dans des conditions où l’ADN transformé pénètre dans la mitochondrie.