• Aucun résultat trouvé

Quantifier la résistance de la productivité à des évènements météo extrêmes

2.1 Quantifier la réponse de la productivité des forêts aux évènements météorologiques à l’échelle de la ressource forestière

2.1.2 Quantifier la résistance de la productivité à des évènements météo extrêmes

Ce thème reste bien dans le domaine de l’exploration temporelle, sur des fenêtres temporelles relativement courtes (i.e. d’un maximum de 15 ans), de même donc que le précédent, et y est très lié mais constitue une forme de généralisation.

Les analyses dendrochronologiques décrivent le comportement moyen sur une fenêtre temporelle d'au moins 30 ans (soit en théorie la longueur requise pour obtenir des inférences statistiques robustes) et expliquent les variations de croissance autour d'une moyenne, ou des tendances à plus ou moins long terme. Dans le contexte du stockage du carbone et du changement global, il a pourtant été démontré qu'un événement climatique court mais intense a plus de conséquences pour les forêts que des tendances qui sont par nature de faible amplitude, tel que la canicule de 2003 (Ciais et al. 2005). Il semble donc très important de se concentrer sur la quantification de l'impact des événements extrêmes, et sur les propriétés de résistance et résilience de la productivité des forêts vis à vis de ces perturbations.

Il y a un débat sur ce qu’est la résistance et la résilience des forêts face aux changements ou extrêmes climatiques, et même sur la légitimité de la question. Ainsi formulée, en effet, cette question pose plusieurs problèmes : d’abord, il faut définir la variable d’état étudiée, sans quoi la phrase n’a pas de sens. Ici, cette série temporelle est la productivité. Ensuite, résistance et résilience ne se définissent pas sans un système, et une perturbation, laquelle ne peut être qu’extérieure au système. Tout ceci est bien présenté et défini chez

Holling (1973). Le système est donc le peuplement (dont l’échelle spatiale doit être définie et peut varier d’une parcelle à un massif), la perturbation, un évènement climatique. D’après Holling, résilience provient de ‘resiliere’ qui signifie : revenir sur ses pas. Ces définitions étant bien établies, on conçoit que l’on peut légitimement étudier la résilience de la productivité aux perturbations climatiques ponctuelles : en l’occurrence, le temps nécessaire pour revenir à un niveau de productivité égal à celui d’avant perturbation. Il est possible que la productivité ne revienne jamais à son niveau d’avant perturbation. Compte tenu des interactions avec la multitude des autres facteurs influant la productivité, lesquels ne sont ni continus ni constants, la productivité peut être amenée à varier continument dans le temps, hors influence du perturbateur ou stresseur (néologisme que j’aime bien) analysé.

Compte tenu des limites sus-dites, l’analyse des événements ponctuels extrêmes nécessite une méthode statistique spécifique et un cadre théorique. C’est ce qu’a proposé le paquet de fonctions de R nommé pointRes (van der Maaten-Theunissen et al. 2015) qui permet le calcul des termes de résistance et de résilience d’une série temporelle face à un événement perturbateur (Fig. 8), d’une manière normalisée basée sur le modèle de Lloret et al. (2011). Ce paquet de fonctions peut être appliqué à n'importe quelle série temporelle.

La création du paquet de fonctions constitue une étape nécessaire au progrès méthodologique sur les thèmes émergents des extrêmes et de la résistance/résilience des processus fondamentaux. Il offre une réponse très claire aux critiques, ou préoccupations, sur la définition de ces notions, lesquelles ont effectivement beaucoup varié dans la littérature. De nombreuses études se sont basées sur lui pour quantifier la résistance et la résilience de la croissance depuis : ex. Sánchez-Salguero et al. 2017, Vitali et al. 2017.

Se situant dans un cadre plus large encore que celui de l’analyse de la résistance et résilience aux évènements extrêmes, les séries temporelles peuvent avoir un comportement non stationnaire qui se traduit par des changements plus complexes qu’un pic, déclaré comme valeur extrême. Par exemple, il peut s’agir d’un palier (une marche) dont la durée n’est pas déterminée (Fig. 9). Un saut dans les valeurs moyennes peut avoir des conséquences très fortes sur la productivité (et même, sur la vie des arbres) qui dépend bien sûr de l’amplitude du saut. Mais bien identifier et quantifier ces anomalies dans les séries temporelles demeure difficile. A nouveau, le paquet pointRes apporte des éléments de réponses bien définis en permettant d’identifier selon plusieurs méthodes ce que sont les années caractéristiques (pointer years, d’où le nom du paquet). Mais plus généralement et pour les séries autres que des largeurs de cerne, l’identification de sauts ou anomalies dans les données temporelles est du ressort des analyses dites d’identification d’intervention (Druckenbrod 2005).

Curieusement, bien que ces méthodes soient désormais bien connues et utilisées en particulier pour l’homogénéisation des séries météorologiques (Caussinus et Mestre 2004, Reeves et al. 2007), elles n’ont pas été beaucoup utilisées pour les séries de croissance (Druckenbrod 2005). L’utilisation conjointe des analyses d’intervention sur les données météorologiques et de résilience des séries de productivité offre un cadre très précis de quantification de la sensibilité de la productivité aux changements brusques de conditions de croissance. Les résultats pourraient être surprenants : d’après Babst et al. 2019, c’est peut-être plus la sensibilité au paramètre qui change, plutôt que le paramètre lui-même. Il ne faut en effet pas négliger les interactions entre les paramètres, qui font que les réponses ne sont pas souvent linéaires (ex. Girardin et al. 2016). Mais les difficultés méthodologiques liées à ces réponses complexes et interactions sont bien contrôlées, du moment que les bases expérimentales sont suffisamment larges.

Figure 8. Schéma illustrant les définitions de la résistance, la résilience et la récupération dans le cadre de

l’étude de la productivité et d’une perturbation donnée, selon Lloret et al. 2011 et respectant le cadre théorique de Holling 1973.

Figure

9

.

Schéma illustrant les 4 principaux types d’intervention dans les séries temporelles sur des séries fictives : de gauche à droite, point extrême, marche, tendance et changement de variance. Tous ces changements dans les séries temporelles peuvent être détectés en comparant itérativement les séries à des prédictions basées sur des modèles autorégressifs. Des tests permettent d’estimer la significativité des interventions.

Ce thème intersecte de nouveau celui de la relation diversité-productivité. Les relations diversité-productivité ont été étudiées longuement en tant qu’objet principal de l’étude. Une question récurrente est de savoir comment évoluent ces relations le long de divers gradients. Par exemple Paquette et Messier (2011) veulent

tester si l’effet de la diversité décroit dans les forêts moins productives. Selon l’hypothèse du gradient de stress (stress gradient hypothesis), des conditions plus difficiles de croissance (diminution des ressources) augmentent l’apparition d’interactions positives entre individus. Une plus grande diversité s’accompagnerait, d’après cette hypothèse, d’une plus grande productivité. Parmi les facteurs de stress figure le climat (Lebourgeois et al. 2013, Jucker et al. 2016), ce qui fait le lien avec le chapitre précédent, et particulièrement la sécheresse. Mais les relations entre diversité, productivité et climat sont d’autant plus complexes qu’elles changent de nature lorsqu’elles sont mises dans une perspective temporelle de moyen ou de long terme (Reich et al. 2012). Les relations de compétition et de facilitation changent pendant le développement du peuplement (Cavard et al. 2011), d’où la nécessité d’avoir une perspective temporelle suffisamment complète pour couvrir différentes phases, et si possible découpler différents effets potentiellement contradictoires. L’ensemble des études portant sur l’interaction entre la diversité spécifique et la productivité n’ont pas de profondeur temporelle et sont majoritairement basées sur des réseaux d’observation restreints. Le manque de données n’est que partiellement compensé par l’utilisation de modèles (ex. Morin et al. 2018) même si les résultats montrent des pistes intéressantes. Mais les interactions avec les effets liés à l’âge et la taille des arbres ne sont pas documentés et inclus dans les modèles. Même si plusieurs réseaux d’étude tel que le réseau FundivEurope commencent à apporter une vue temporelle assez profonde, elle reste trop restreinte spatialement. Les analyses rétrospectives sont pour le moment encore les seules à même de fournir les données nécessaires.

La sensibilité des espèces aux fluctuations météorologiques est bien documentée par les très nombreuses études dendroclimatologiques, même si assez peu ont eu pour objet de comparer la sensibilité entre espèces (Bouriaud et Popa 2009, Lebourgeois et al. 2013, Mérian et Lebourgeois 2011). Ces études montrent des comportements assez distincts entre espèces, et uniformes au sein d’une espèce. En revanche, l’influence du mélange et de la diversité structurelle des peuplements demeurent très largement ignorés bien qu’on trouve un effet à chaque fois qu’on le teste (Toigo et al. 2015) -effet d’ailleurs toujours positif, c’est à dire dans le sens d’une plus faible sensibilité des mélanges. La réponse du peuplement s’en trouverait donc réduite, par le double mécanisme de diminution de la sensibilité spécifique et de l’asynchronicité entre espèces.

Il est intéressant de relever que les associations permettant cet effet ne sont pas identifiées. Certaines associations pourraient avoir des performances supérieures à d’autres dans des contextes équivalents. Curieusement, si la richesse, ou la diversité fonctionnelle a bien fait l’objets d’études, parfois à partir de données d’inventaire, l’existence d’associations particulièrement performantes dans un contexte de stress climatique n’a pas fait l’objet de recherches spécifiques. Ici les effets d’identité pourraient faire surface et dépasser les effets de diversité (sensu mélange) eux-même (Dawud et al. 2016, Jucker et al. 2014). Par exemple, mais dans un contexte très restreint, la comparaison de sensibilité au climat réalisée sur un site contraignant a montré que l’épicéa était moins sensible aux températures que le sapin pourtant plus thermophile (Bouriaud et Popa 2009) et ce à la fois sur un pas de temps inter-annuel et même décennal.

En conclusion : L’analyse des séries temporelles climatiques avec des outils statistiques spécifiques doit permettre de détecter des anomalies marquant ou traduisant une rupture dans les séries, de forme plus complexe que seulement des extrêmes (pics) : paliers, augmentation de la variance etc. Ces anomalies sont probablement régionales. Une régionalisation des analyses (l’échelle la plus efficace reste à définir : sylvoécorégion, grande région écologique) devrait permettre de conserver une certaine similitude, ou homogénéité, dans l’amplitude des perturbations dont on veut tester les effets sur la résistance et la résilience de la productivité. Cette détection vient donc en premier lieu pour non seulement identifier mais aussi quantifier l’amplitude du perturbateur, faisant ainsi office d’analyse du contexte. La quantification de la réponse vient en deuxième donc, car elle doit se doter d’une référence (valeur avant perturbation), qui est par essence contextuelle.

La résistance et la résilience de la productivité face aux évènements météorologiques doivent être analysées en respectant à la fois la contrainte d’une manifestation régionale ou locale de ces évènements, et d’autre part

la problématique de la diversité des espèces ou des effets d’identité, car l’amplitude de la réponse de la productivité à une perturbation est très probablement influencée par la diversité. Ce thème de recherche aborde également la question de la composition future des peuplements, question récurrente et de grande importance pour les gestionnaires.

La formalisation de la résilience de la productivité sous l’angle du comportement dynamique d’un système théorique tel que mis en œuvre par Liu et al. (2019)

Pratiquement ce sujet peut s’aborder avec des séries beaucoup plus courtes. La mise en œuvre de la micro-tomographie X semble très opportune ici (van den Bulcke et al. 2009), car ces mesures non destructives sont lentes et semblent particulièrement adaptées à des études d’années précises pré-déterminées. Elles ouvriraient à d’autres dimensions que la seule croissance radiale.

Proposition de thèse de doctorat

Sujet : Panorama de la résilience de la productivité forestière. Détection des perturbations, cartographie et analyse de la résilience de la productivité.

Hypothèses : Des perturbations autres que le stress de 2003 ont eu lieu et ont lieu, une fraction étant seulement régionale. Ni l’ampleur ni la fréquence de ces perturbations ne sont connus. La majorité des perturbations ou évènements permettent une résilience (retour à l’origine). Les essences ont des réponses différentes entre elles et le mélange a un effet bénéfique sur la résilience. Peut-on borner la résilience (trouver la valeur critique des stresseurs ?)

Documents relatifs