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CHAPITRE 1 : QU’EST-CE QU’UN FESTIVAL LITTÉRAIRE ? UNE ÉTUDE DU

1.1 Survol des caractéristiques et des rouages des festivals littéraires

1.1.2 Qu’est-ce qu’un festival ? Éléments de définition

Il convient d’abord de différencier fêtes et festivals, dont les origines sont communes et qui, pour cette raison, se confondent souvent21. Isabelle Garat propose une distinction assez nette entre ces deux formes d’événements festifs, en associant les fêtes à une manifestation plus traditionnelle, qui « renvoi[e] à la représentation du rapport culture/nature, à la sacralisation, à la commémoration » (Garat, 2005 : 271), et les festivals aux séries de « spectacles nombreux et de qualité » (Garat, 2005 : 272) qui se sont multipliés durant la seconde moitié du XXe siècle. Les festivals mettent donc à l’avant-plan une visée avant tout artistique, tandis que les « formes contemporaines du populaire » que sont les fêtes se fondent « souvent sur une tradition locale réinventée, culturelle ou non » (Négrier, Djakouane et Jourda, 2010 : 30). D’un côté, les festivals font appel « à un niveau généralement élevé de professionnalisme » (Di Méo, 2005 : 228) et s’inscrivent dans une logique régionale, nationale ou même internationale. De l’autre côté, les fêtes se distinguent par leur

21 Notons que la distinction entre ces deux formes demeure théorique et ne s’applique pas toujours en pratique : « la

différence [entre un festival en particulier et la fête en général] fait et fera toujours problème, tout comme la vision cohérente d’une culture se heurtera toujours à la diversité de ses acceptions et de ses frontières légitimes » (Négrier, Djakouane et Jourda, 2010 : 31).

ancrage dans « un espace public inclusif, indifférencié, gratuit » (Négrier, Djakouane et Jourda, 2010 : 30) et par les activités plutôt rudimentaires qu’elles proposent :

[L]a fête se réfère plutôt à une activité récréative très localisée […]. Elle donne lieu à des formes collectives d’amusements telles que les défilés et les parades, les travestissements et les bals, les rencontres de rue accompagnées de chants, de musique (fanfares, orchestres et bandas) et de beuveries… (Di Méo, 2005 : 228).

Suivant cette définition, les fêtes correspondent davantage aux célébrations collectives telles qu’elles avaient cours à l’Antiquité et au Moyen Âge, alors que les festivals se rattachent plutôt aux séries de manifestations artistiques qui ont émergé en Europe au XVIIIe siècle. Dans cette optique, ce n’est qu’à partir du XVIIIe siècle qu’on puisse véritablement parler de « festivals ». Malgré la transformation importante qu’a connue le festival dans son histoire – celui-ci est progressivement passé d’un événement « marqueur d’une identité communautaire » à une « célébration publique thématisée » (Fabry, 2012 : 20)22 –, la nature de l’événement est restée sensiblement la même, dans la mesure où, indépendamment de la forme qu’il revêt, le festival est fondamentalement un phénomène social et éphémère marqueur d’un temps de célébrations. En effet, on retrouve au cœur de tout festival les quatre caractéristiques essentielles à la célébration selon Charles Arcodia et Michelle Whitford : « (1) performance of cultural symbols, (2)

entertainment, (3) undertaken in a public place, and (4) community participation » (Arcodia et

Whitford, 2006 : 13). Par ailleurs, on remarque deux façons possibles d’intégrer les célébrations au cœur d’un festival, au sens où celui-ci peut s’attacher à célébrer une forme d’art, par le biais des activités présentées, ou, de façon plus immersive, inviter les festivalier·ière·s à participer à une

22 L’idée du festival comme marqueur d’une identité communautaire n’est pas totalement disparue. Nombre de festivals

contemporains jouent un rôle important dans l’identité de la communauté qui l’héberge. Par exemple, l’implantation des Correspondances d’Eastman a modifié de façon importante « l’ADN culturel » (Trudeau, 2017) de la communauté eastmanoise. Le village est décrit de nos jours comme « le village littéraire des Cantons-de-l’Est » (Tourisme Cantons- de-l’Est, 2020).

célébration qui touche à l’artistique. Plusieurs manifestations festivalières présentées ci-haut, telles que les Grandes Dionysies et les Mystères, s’inscrivent dans cette idée d’une célébration au départ religieuse qui est devenue au fil du temps une pratique artistique.

Dans l’avant-propos de leur étude sur les publics de 49 festivals français, Emmanuel Négrier, Aurélien Djakouane et Marie Jourda définissent le festival comme étant « une forme événementielle tout à fait singulière associant un lieu23, une programmation, des rituels et l’ambition d’acquérir une renommée susceptible de l’inscrire dans l’histoire » (Négrier, Djakouane et Jourda, 2010 : 33). Cherchant à tracer les contours de la notion de festival, Nathalie Fabry identifie pour sa part trois éléments constitutifs d’un festival : un lieu, un produit culturel et de l’interactivité. Pour qu’il y ait festival, il doit donc y avoir un partage culturel entre deux groupes – l’un qui se produit, l’autre qui regarde – dans un lieu où ces deux groupes sont amenés à cohabiter. En plus de ces trois indicateurs, quelques éléments sont essentiels pour circonscrire l’objet du festival. Pour commencer, notons qu’une des propriétés essentielles du festival est de regrouper sous la même bannière une pluralité d’activités, plutôt que de se concentrer sur une seule manifestation d’envergure. Selon Vicki Ann Cremona, « the wide range of aesthetic and artistic

possibilities it [the festival] offers » (Cremona, 2007 : 5) correspond au principe de base de tout

festival et lui donne sa nature distinctive par rapport à n’importe quel autre événement culturel. Dans la même optique, Henri Schoenmakers propose de concevoir le festival comme un méta- événement, c’est-à-dire comme « an event consisting of single events » (Schoenmakers, 2007 : 28).

23 Un festival est indissociable du lieu dans lequel il est implanté, d’autant plus que les festivités prennent souvent

place dans « des lieux marquants (arènes, parcs, sites historiques, etc.) » (Fabry, 2012 : 20). Or, de plus en plus de festivals se déroulent entièrement sur le web, comme le #TwitterFiction Festival. Nous utilisons donc le terme « lieu » dans une acception plus large, qui englobe les plateformes numériques.

Le festival, que ce soit par le biais de sa thématique ou de son organisation logistique, crée un effet de cohésion entre ces différents événements, a priori distincts les uns des autres.

Le festival se caractérise également par son rapport au temps : il se déroule toujours sur une période donnée – qui peut varier entre deux jours et plusieurs semaines –, souvent pendant la saison estivale, et de façon récurrente, hormis quelques exceptions24. La temporalité du festival lui confère un caractère distinctif, car il « s’inscrit dans le temps court de l’événement » (Goetschel et Hidiroglou, 2013 : 12) et instaure une « temporalité hors du temps25 » (Falassi, 1987), c’est-à-dire un rapport au temps hors du commun pour les participants, qui se consacrent pendant un temps donné à des activités exclues de leur cadre quotidien. Étant donné cette temporalité particulière, les festivals « ne nécessitent pas […] une infrastructure compliquée » (Boogaarts, 1992 : 116), celle- ci étant louée pour une courte période de temps, ou encore destinée à être démontée une fois l’événement terminé, puis entreposée jusqu’à la prochaine édition. Éphémères jusque dans leurs installations, les festivals représentent « des temps non durables [… et] font l’objet d’une communication fondée sur la rareté, la non reproductibilité » (Garat, 2005 : 278). Par ailleurs, l’idée de communauté est centrale pour tout festival, et ce depuis ses débuts : il s’agit d’un événement produit par et pour une collectivité partageant un objectif ou un intérêt commun (Weber, 2018 : 6). Bien que les festivals d’aujourd’hui ne poursuivent pas nécessairement l’objectif de resserrer les liens entre les membres d’une communauté, comme c’était le cas pour les fêtes anciennes, « ils participent d’une expérience commune à tous les citadins et ainsi apportent leur pierre à la construction de l’identité urbaine » (Silvanto, 2008 : 122). Enfin, qu’il s’inscrive dans un cadre religieux ou profane, un festival contient souvent des éléments propres au rituel,

24 Nous pensons par exemple au mythique Festival de Woodstock, dont une seule édition s’est tenue en 1969. 25 Cette expression est une traduction libre tirée de l’ouvrage Time out of Time d’Alessandro Falassi.

notamment lors des cérémonies d’ouverture et de fermeture, qui rythment sa durée. La particularité de la forme festivalière réside en outre dans « son orientation fondamentale vers la célébration et son caractère emprunt [sic] de rituel et de symbolisme » (Fabry, 2012 : 23).

Pour terminer, soulignons que « la concentration dans le temps » (Collard, Goethals et Wunderle, 2014 : 14), le caractère rituel du festival ainsi que son format particulier agissent de façon à susciter, chez les différent·e·s participant·e·s, « des expériences originales, à la fois émotionnelles et discursives » (Fabiani, 2012). Prendre part à un festival, en effet, ne correspond pas simplement à consommer un objet culturel, mais bien à entrer en dialogue avec ses créateur·trice·s, de façon concrète. Le festival est marqué par la dynamique d’interactivité, et souvent de convivialité, qu’il permet entre les spectateur·trice·s et les artistes, et entre les différents participant·e·s. En ce sens, il est aussi un « [l]ieu de rencontres, pouvant susciter débats et forum » (Poirrier, 2012). La façon dont s’organisent les différentes interactions « entre les lieux, les acteurs, les artistes et, plus largement, l’organisation » est ce qui permet de « form[er] l’identité de l’événement » (Collard, Goethals et Wunderle, 2014 : 15) et de donner un caractère unique à chaque festival.