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CHAPITRE 1 : QU’EST-CE QU’UN FESTIVAL LITTÉRAIRE ? UNE ÉTUDE DU

1.1 Survol des caractéristiques et des rouages des festivals littéraires

1.1.3 Proposition de définition du festival littéraire

À la lumière de cette série de caractéristiques propres au festival, il apparaît qu’un festival littéraire n’est rien d’autre qu’un festival – avec tous les éléments que cela comporte – qui s’emploie à célébrer les diverses facettes de la littérature. Cette définition est toutefois insuffisante pour marquer la distinction entre les festivals littéraires et les autres manifestations littéraires publiques, telles que les salons et les foires du livre. Nous nous emploierons donc, dans les pages qui suivent, à identifier ce qui fonde la particularité des festivals littéraires, par rapport aux autres événements

qui célèbrent eux aussi la littérature et qui concordent à première vue avec la définition du festival proposée ci-dessus.

Certaines chercheures se sont penchées sur la question épineuse de la définition du festival littéraire. La plupart d’entre elles s’accordent sur le fait que les rencontres entre les écrivain·e·s et les lecteur·trice·s constituent le cœur des festivals littéraires, qui ne pourraient exister sans la coprésence de ces deux acteur·trice·s du monde du livre. Millicent Weber s’inscrit dans le sillage du théoricien Alessandro Falassi et propose que les festivals littéraires

work as a celebration of literary culture; they frequently occur at a time which is of literary significance […]; they integrate aspects of literary culture into their organisation and events; and/or they address a specific community that is defined through engagement with literary culture (Weber, 2018 : 7).

Quant à elle, Liana Giorgi affirme que le festival littéraire correspond à « a serial-event structure

of literary meetings combining public and commercial interests with the social event culture »

(Giorgi, 2011a : 42). Selon ces définitions, qui se veulent très englobantes, les salons et les foires du livre correspondraient en tous points à des festivals littéraires. Dans le préambule de son étude sur le festival Les Correspondances de Manosque, Gisèle Sapiro stipule pour sa part que le format du festival littéraire « désign[e] les rencontres publiques où les œuvres littéraires sont lues, commentées et discutées par des spécialistes, auteur·trice·s, critiques, éditeurs, traducteurs » (Sapiro (dir.), 2012 : 1). Encore une fois, cette définition s’applique à bien d’autres types de manifestations littéraires. Sapiro approfondit sa définition et situe la particularité des festivals littéraires dans leur programmation26, qui établit un fil conducteur entre les différentes activités proposées, mais aussi dans « leur format, le temps accordé à la discussion et à la lecture en public, le cadre convivial [et] la dimension festive » (Sapiro (dir.), 2012 : 2). En ce sens, ce seraient la

26 La programmation n’est pas exclusive aux festivals littéraires, étant donné que de plus en plus de salons et de foires

structure et l’ambiance des festivals littéraires, et non leur contenu, qui leur donneraient un caractère particulier.

Sapiro considère que les festivals littéraires tendent à évacuer leur fonction économique au profit de leurs fonctions culturelles et littéraires, tandis que « la fonction économique prévaut dans les salons et foires du livre » (2012 : 1). Les foires littéraires sont principalement axées sur le développement du marché du livre ; au moment de leur création, elles étaient fermées au grand public et « uniquement destinées aux professionnels de l’édition soucieux d’acheter et de vendre des droits, d’envisager des traductions et de préparer des co-éditions » (Rohou, 1969). Les écrivain·e·s et les lecteur·trice·s se situent en marge de cette manifestation littéraire qui accorde la plus grande place aux « principaux intervenants du marché du livre, à savoir les distributeurs, les éditeurs, les imprimeurs, les auteurs27, et des métiers connexes comme la gravure, la reliure ou l’illustration » (Loicq et Aron, 2014 : 294). Les salons du livre ont également vu le jour avec pour objectif de stimuler l’économie du livre et de promouvoir le travail de ses agent·e·s, principalement celui des éditeur·trice·s et des écrivain·e·s. Les foires et les salons du livre agissent en ce sens comme des événements qui « témoignent de l’importance du livre comme valeur marchande » (Loicq et Aron, 2014 : 295). Cela dit, contrairement aux foires du livre, les salons accordent une place de choix aux auteur·trice·s, dont la présence est primordiale pour la tenue de l’événement. Les salons constituent une occasion privilégiée pour les lecteur·trice·s de rencontrer les écrivain·e·s – ils et elles sont présent·e·s pour dédicacer leurs livres et, dans certains cas, pour participer à des tables rondes – mais aussi pour les auteur·trice·s de « mettre des visages » (Stéphanie Boulay, entrevue, 11 août 2018) sur leur lectorat et de discuter des différentes interprétations de leur œuvre.

27 Notons que les auteur·trice·s, acteur·trice·s de premier plan des festivals littéraires, sont nommé·e·s en dernier dans

Il demeure que les salons du livre constituent avant tout des lieux de vente : ce ne sont pas tous les écrivain·e·s dont on retrouve les livres sur les étagères qui sont sur place.

Comme les foires et les salons du livre, les festivals littéraires mettent à l’honneur le livre et les agent·e·s qui participent à sa confection, surtout les écrivain·e·s, qui tendent à être élevé·e·s au rang de vedettes dans le cadre de ces événements. Pour se démarquer des foires et des salons du livre, les festivals littéraires mettent l’accent sur les occasions uniques de partage et d’échanges qu’ils créent entre les écrivain·e·s et leurs lecteur·trice·s. La présence des écrivain·e·s dans un milieu convivial et dynamique qui préconise les discussions intellectuelles plutôt que les transactions économiques constituerait dès lors une des particularités du festival littéraire : « It [the

literary festival] thrives as a kind of de-industrialisation ritual, in which the “disembodiedˮ and depersonalised commodity of the book, the packaged and boundaried text, is sheeted back to physical presence, and is finally authenticated by the reassuring presence of the author » (Meehan,

2005). Les festivals littéraires représentent également des occasions pour les écrivain·e·s de côtoyer des gens qui évoluent dans le même monde qu’eux et qui comprennent leur réalité. Aux dires de l’écrivaine et comédienne Francine Ruel, les festivals diffèrent des salons du livre justement par le fait qu’ils donnent l’occasion aux écrivain·e·s d’échanger avec leurs collègues : « C’est très rare, ce genre de rencontres. Dans les salons du livre, on a beaucoup de contacts avec le public, mais on n’a jamais le temps de se voir entre auteurs » (Francine Ruel dans Bellerive, 2006).

L’idée selon laquelle les festivals littéraires seraient dénués de tout intérêt économique nous apparaît toutefois fortement idéalisée, voire déconnectée de la réalité. Ce genre de discours est typique dans l’univers des festivals, qui ont tendance à camoufler leur « aspect consommatoire […] derrière l[eur] importance sociale » (Garat, 2005 : 283). Peut-être la dimension marchande est-elle

moins flagrante dans les festivals littéraires que dans les foires et les salons du livre, mais il demeure que les festivals représentent l’occasion de vendre des centaines, voire des milliers d’exemplaires, selon l’ampleur de l’événement. En effet, dans la plupart des cas, une ou plusieurs librairies sont installées sur le site afin que les festivalier·ière·s puissent se procurer les ouvrages écrits par les auteur·trice·s invité·e·s. Les festivals littéraires entraînent également des retombées économiques indirectes pour les écrivain·e·s et leur maison d’édition : étant donné qu’une campagne de médiatisation est articulée autour du festival, de son programme et des auteur·trice·s invité·e·s, on peut penser que les ventes de livres sont en croissance non seulement pendant les festivités, mais aussi avant et après l’événement. Par ailleurs, bien que les festivals ne représentent pas officiellement un lieu destiné à cette fin, ils conduisent parfois les professionnel·le·s du livre (éditeur·trice·s, écrivain·e·s, illustrateur·trice·s, etc.) à signer des contrats. Rappelons également que les foires et les salons du livre sont de plus en plus nombreux à élaborer une programmation détaillée, comprenant notamment des spectacles littéraires, des animations jeunesse ainsi que des conférences et tables rondes orientées autour d’un même thème.

En somme, les festivals littéraires, les salons du livre et les foires du livre apparaissent comme trois lieux de socialisation littéraire très près les uns des autres28, qui poursuivent plus ou moins les mêmes objectifs, soit animer la vie littéraire et promouvoir la littérature et ses acteur·trice·s, mais en empruntant des stratégies différentes. Si les foires du livre priorisent la vente de droits et les salons du livre, la vente de livres, c’est l’animation littéraire qui est placée au cœur des festivals littéraires et qui constitue la raison d’être première de ces événements. Bien que la façon dont ces différentes manifestations littéraires évoluent tend à réduire l’écart, déjà mince, qui les sépare, les

28 Dans la notice sur les foires du livre contenue dans Le dictionnaire du littéraire, par exemple, Aline Loicq et Paul

Aron parlent indifféremment des salons et des foires du livre, sans les distinguer. Ils n’abordent toutefois pas le sujet des festivals littéraires.

festivals littéraires continuent de se distinguer des foires et des salons du livre en mettant l’accent sur les festivalier·ière·s, plutôt que sur les éditeur·trice·s ou les auteur·trice·s.