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Qu'est-ce qu'une Ecole de Samba?

CHAPITRE 8. - ILLUSTRATION DES DOCUMENTS-ENREDOS

2. Qu'est-ce qu'une Ecole de Samba?

"E alégria. Nous ne sommes pas contre que des étrangers défilent s'ils aiment la samba. Les Brésiliens dansent bien aussi la danse américaine. J'aime (Neuma) que les enredos soient réalistes, et non comme ceux de Pinto146 trop futuriste. Il remplit l'Avenue d'étoiles, de fruits...il nous casse les pieds, et c'est pourquoi Mangueira se veut plus authentique. Nous avons été la première Ecole de Samba, même si l'on dit que ce n'est pas vrai, fondée le 28 avril et la date est sûre car c'était l'anniversaire de ma sœur (Neuma parle). Mais il y a toujours eu des préjugés contre Mangueira. D'ailleurs le jury a manipulé les points pour que Mangueira ne soit pas "tri", car sinon les autres Ecoles n'auraient plus voulu défiler. Par ailleurs, le fait que cette femme juge ait enlevé des points à la comissao de frente, c'est-à-dire "les noirs qui ont réussi" montre également le racisme, car la commission était parfaite, ce n'est pas possible que l'Ecole ait perdu ici des points. Dona Zica ajoute: "il ne faut pas que ces juges apparaissent ici à Mangueira, plus jamais, d'ailleurs ils méritent la prison."

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L'organisation est complexe. Elle a été caractérisée par Goldwasser (1975: 82-112), de "cristallisation de l'anti-structure".

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Sylvie Doriot Galofaro, Carnaval de Rio, Institut d’ethnologie, Neuchâtel, 1990. Page 131

3. Message de Mangueira?

Contre le racisme. Ici à Mangueira nous sommes mal vus, on nous prend pour des voleurs, dès que l'on se présente pour une place de travail et que l'on dit que l'on habite le morro de Mangueira on nous refuse la place.

Mangueira a toujours dû lutter contre le préjugé de couleur et parce que nous habitons au morro. L'abolition de l'esclavage est un grand doute.

Même Martinho da Vila qui devait défiler dans la comissao de frente n'est pas venu, c'est aussi pour cela que nous avons perdu, il manquait quelqu'un, tout ça parce que l'on a peur de la victoire de Mangueira. Martinho a dit que c'est parce que son costume n'était pas prêt, mais il a menti, il nous a laissé tomber à la dernière minute.

Ici au Brésil le nègre est lixo147 (ordure) alors qu'en Europe il est luxo (luxe); une de mes amies noires s'est mariée avec un Belge et il est plein d'attention..."

- Interprétation

Unanimement ils expriment leur rage d'avoir perdu d'un point contre Vila Isabel en se déchaînant contre Martinho et le jury. En première partie nous avions vu que lors de la dernière réunion, le Président incitait les Mangueirenses à ne pas plaisanter, mais à travailler. L'important n'était pas de participer au défilé, mais de lutter pour gagner. Mangueira n'accepte pas la défaite, alors que selon les informations de quelques juges, ceux-ci auraient même favorisé Mangueira, en bon Mangueirenses, c'est-à-dire en supporter.

Les documents-enredos, simples mais percutants, formant une sorte de lamentation, eurent beaucoup d'impact sur la population. Le samba-enredo était continuellement chanté, car relevait une situation vécue par de nombreuses personnes pauvres. Les gens de Mangueira disent subir le racisme, non pas seulement de couleur, mais le simple fait d'habiter au morro de Mangueira suffit à entraîner une situation de discrimination. Les Mangueirenses évoquent le préjugé qu'ils ressentent face à la société globale, dans le sens que lorsqu'ils se présentent pour une place de travail, dès qu'ils annoncent de quel quartier ils viennent, on ne les engage pas. Mangueira a la réputation d'être une communauté de voleurs.

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On utilise souvent ce jeu de mot au Brésil: "lixo vira luxo" : les ordures deviennent du luxe, ou

le contraire luxo vira lixo, le luxe devient poubelle pour critiquer par exemple le luxe de Beija Flor.

Sylvie Doriot Galofaro, Carnaval de Rio, Institut d’ethnologie, Neuchâtel, 1990. Page 132

Mais paradoxalement, Mangueira est "sûr" de sa notoriété, même si les membres disent qu'il existe un préjugé contre Mangueira… En effet, lorsque la télévision ou un "show" officiel est réalisé, c'est Mangueira et Beija Flor que l'on présente. C'est également les gens de Mangueira qui ont participé au film "Orfeu Negro" de Camus. L'enredo est conçu par des intellectuels, du Département culturel. Il présente la situation du noir d'une manière historique148, liant l'histoire du carnaval, des Ecoles de Samba à l'apport de la culture africaine.

Pour conclure, comme l'Ecole précédente, Mangueira ne fait pas un hommage à l'abolition, mais présente un grand doute, en montrant que les descendants d'esclaves "ont à peine mieux réussi que leurs parents".

Les "documents-enredos" signalent que les Ecoles de Samba ont conscience des problèmes qui sont ressentis par la majorité des membres d'une association, car on s'accorde à dire que malgré la pénétration des blancs dans les Ecoles de Samba, celles-ci sont toujours constituées par une majorité pauvre de la population carioca.

Vila Isabel apporte une solution politique avec la Kizomba, montrant la responsabilité du nègre dans la conscientisation de ses propres valeurs. Il ne doit pas en avoir honte, ni entrer dans le processus de blanchissement, c'est-à-dire le fait d'imiter les blancs mais lutter pour sa reconnaissance sociale.

Mangueira dramatise pour tout le monde que l'abolition de l'esclavage ne s'est pas produit. La liberté est un leurre, les noirs n'habitent plus dans les senzalas des maîtres, mais dans les bidonvilles.

Comme représentations symboliques, les deux Ecoles relèvent la puissance du grand leader de l'époque esclavagiste: Zumbi de Palmares, où la république de Palmarès devient un quilombo (refuge des esclaves fugitifs) reflétant la "démocratie raciale", dans laquelle tous sont frères.

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L'annexe 4-B de Mangueira suit scrupuleusement les aspects évalués par le jury. Tout est clairement représenté.

Sylvie Doriot Galofaro, Carnaval de Rio, Institut d’ethnologie, Neuchâtel, 1990. Page 133