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QU’EST-CE QUE LE CORPS?

CHAPITRE III : LE CORPS EN PHILOSOPHIE SELON

I. QU’EST-CE QUE LE CORPS?

Qu'est-ce que le corps selon Merleau-Ponty?

Pour répondre à cette question, nous avons relevé plusieurs expressions utilisées par Merleau-Ponty pour décrire le corps propre.

Par corps propre, Merleau-Ponty entend ceci:

- Corps vécu, corps subjectif, animal des perceptions, existence incarnée, référence ultime;

- Terme inaperçu vers lequel tous les objets tournent leur face;

- Ce par quoi il y a des objets et l'un des objets de ce monde;

- Le pivot du monde (le point à partir duquel le monde s'articule);

- Un constituant jamais entièrement constitué;

- L'obscurité de la salle devant laquelle peuvent apparaître des êtres précis;

- Lieu commun au psychique et au physiologique; etc.

Le corps, c'est d'abord mon corps. On peut dire que je suis mon corps, mais non pas que j'ai mon corps. Mon corps est spatial et temporel, il est situé comme un point de et dans l'espace.

Mon corps est accessible à la maladie. Mon corps, c'est d'abord et avant tout mon corps vécu.

Je ne saurai jamais me détacher de mon corps sans m'anéantir moi-même comme existant. C'est à partir de mon corps propre que je sais distinguer ce qui est devant moi d'avec

ce qui est derrière moi, ce qui est à ma droite et ce qui est à ma gauche, ce qui est au-dessus de moi et ce qui est en dessous; bref, les notions ou les dimensions de l'espace n'ont de sens que pour un être ayant un corps.

Merleau-Ponty dit que le "corps propre se dérobe, dans la science même, au traitement qu'on veut lui imposer. Et comme la genèse du corps objectif n'est qu'un moment dans la constitution de l'objet, le corps en se retirant du monde objectif, entraînera les fils intentionnels qui le relient à son entourage et finalement nous révélera le sujet percevant comme le monde perçu" (P.P., p. 86).

"Le corps propre" n'est pas le corps objectif, mais il est le corps qui se dérobe à l'investigation scientifique et qui se donne comme comportement global de l'individu.

Il est le "corps vécu", le "corps conscient", le "corps sujet". Je n'ai pas choisi d'avoir tel ou tel corps.

La couleur de ma peau, la forme de mon nez, ma taille, mon cerveau, etc., tout ce qui fait partie de mon corps relève de la facticité, du hasard des rencontres des parents et des déterminations naturelles. Mon corps n'est pas un ensemble décomposable, mais c'est un tout ordonné et organisé.

Un aveugle né, abandonné dans un milieu où il n'entre pas en contact avec ceux qui voient, ne se poserait jamais la question de la vue. Un infirme né, abandonné dans un milieu coupé des contacts avec les personnes non infirmes est incapable de regretter d'être ce qu'il est et il se contenterait de son corps comme étant le seul possible. Le corps d'un noir ne devient réellement noir que par la rencontre avec les blancs, les jaunes et les rouges. Bref, c'est par le corps d'autrui que j'apprends à connaître mon propre corps. Je pars de la conviction qu'il y a

un schéma corporel et que, si l'autre a des yeux dans son visage, il doit être de même pour moi.

Notre rencontre avec autrui, c'est d’abord la rencontre de corps à corps. Le premier rapport du nouveau-né avec sa mère ne consiste pas à voir sa mère, mais plutôt à sentir sa présence; en tétant les seins maternels, c'est toujours la relation de corps à corps qui s’établit. Au premier abord, autrui m'est donné comme corps, et c'est uniquement par la suite qu'on peut dialoguer avec lui et découvrir ses qualités et ses défauts liées à sa manière de penser. A première vue, un homme analphabète peut, de par son corps, apparaître comme un grand savant. Mais le corps tel qu'il se manifeste est loin de nous dévoiler tout l'homme qui est en face de nous. Les apparences sont souvent trompeuses, à telle enseigne qu'un homme doté d'un corps apparemment plein d’innocence peut en réalité, être un grand criminel. Disons que, dans une certaine mesure, le corps de l'homme tel qu'il apparaît donne déjà, qu'on le veuille ou non, une indication sur cet homme. Les psychologues du comportement disent que l'homme est connaissable extérieurement, c'est-à-dire par ce que son corps manifeste. Sans entrer en polémique avec les psychologues du comportement, disons en passant que le noeud du problème réside dans la capacité du psychologue de saisir ce qui est caché à travers ce qui se manifeste, et dans la capacité de ruse des sujets observés.

Par mon corps, je vis mon individualité au monde. Si mon corps est atteint d'une maladie, je suis le seul à souffrir. En cas de douleur psychique, mon corps est également seul à le sentir. Par mon corps, j'ai une identité propre qui me distingue de tous les autres hommes. Dans le cas des vrais jumeaux, il y a une

ressemblance accentuée, mais chacun a son corps propre distinct de celui de l'autre, et si l'un est blessé, l'autre ne le sera pas pour autant.

Dans les relations humaines, l'attirance corporelle et charnelle semble souvent déterminante, mais elle n'est pas auto-suffisante. Pour fonder des amitiés sincères, il faut que, en plus de l'attirance corporelle, les aspirations et les visions du monde se croisent ou s'entrecoupent.

L'insuffisance du corps doit être suppléée par l'intervention de la parole. C'est par la parole que les intentions profondes d'autrui me sont à peu de choses près accessibles.

La parole elle-même est une émergence de mon corps propre, c'est-à-dire une possibilité intrinsèque de mon "corps propre", une expression de mon "corps propre".

C'est en tant que mon corps est une partie du monde que mon être ne peut se comprendre que comme "un être-au- monde".

Dans ma rencontre avec autrui, je vois son corps et il voit le mien, je découvre que mon corps est un corps parmi les autres.

D'habitude, on fait rarement attention au détail de son corps, et c'est souvent dans la rencontre avec un autre, par exemple, dans les relations sexuelles, qu'on apprend à connaître son corps. C'est souvent autrui qui, me dit comment est mon corps et je finis par adopter, face à mon corps, le point de vue d'autrui sur mon corps. La Reine Elisabeth (1ère) d'Angleterre avait des yeux bleus et des cheveux blonds.

Ce sont les autres qui voyaient ces détails des yeux et des cheveux, et la Reine n'a fait que s'identifier à l'image que les autres avaient d'elle. C'est ainsi que ces caractéristiques liées au

corps de la Reine sont entrées dans les canons d'appréciation esthétique des belles femmes d'Europe. Avec cet exemple de la Reine, je veux insister sur le fait que c'est autrui qui m'apprend à connaître mon corps par le biais de son corps et par le biais de son point de vue sur mon corps. A la limite, on peut dire qu’un enfant ayant une tête moyenne et normale et à qui on répéterait dès son jeune âge qu'il en a une grosse, se donnerait moins de peine à vérifier en face du miroir ou à l'aide d'autres instruments de mesure la grosseur de sa tête et se contenterait de répéter lui-même dans les conversations qu'il a une grosse tête. Souvent, on fait sien le point de vue d'autrui, c'est-à-dire qu'on s'identifie au jugement d'autrui sur notre corps, car c'est lui qui le voit entièrement. On ne se voit pas totalement. Il serait intéressant de parler de la perception du corps par le porteur ou l'individu qui est ce corps même.

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