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1. Espèces d’espaces

0.3.1. En quête de sources de première main

Du point de vue quantitatif, le principal matériau utilisé dans cette recherche est l’archive. Au fil des années nous avons multiplié les visites dans différents centres afin de documenter le mieux possible les deux espaces impliqués dans la relation pouvoir. Cette démarche a été tâtonnante et très largement inductive. En effet, si le carton ne fait pas l’objet5, trouver un carton correspondant à l’objet n’est pas toujours chose aisée. D’abord, parce qu’il peut exister des obstacles matériels persistants comme l’amiantage de certaines séries susceptibles de nous intéresser (ce qui fut longtemps le cas d’une partie importante de celles concernant les ministères sociaux conservées à Fontainebleau), ou leur déménagement sur un autre site

1 François Buton, « L'observation historique du travail administratif », Genèses, 72, 2008, p. 2-3.

2 Pierre Bourdieu, Sociologie générale volume 1. Cours au Collège de France, 1981-1983, Paris, Raisons d’agir/Le Seuil, 2015, p. 510.

3 Gilles Laferté, « L’ethnographie historique ou le programme d’unification des sciences sociales reçu en héritage », op.cit.

4 Renaud Payre et Gilles Pollet, Socio-histoire de l’action publique, op. cit.

5 Sur ce mot d’ordre classique pour la démarche socio-historienne, voir : Michel Offerlé, « L’électeur et ses papiers. Enquête sur les cartes et les listes électorales », Genèses, 13, 1993, p. 29-53.

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bloquant durablement leur consultation. Ensuite, les mots-clefs (e.g. contraception ; régulation des naissances) que l’on entre dans les bases de recherche, en particulier celles des Archives Nationales, s’ils n’ont jamais vocation à fonctionner comme des mots de passe qui feraient découvrir miraculeusement les bons cartons à dépouiller, n’offrent cependant pas toujours le secours souhaité pour s’orienter en direction d’un objet qui est peu constitué comme tel dans les fonds d’archives, si l’on excepte celui du MFPF. Avant de trouver un fil véritable et de le tirer, nous avons ainsi consulté une masse de boîtes dans des fonds différents pour des résultats souvent assez minces qui nous ont laissé longtemps sceptique quant à la pertinence de la recherche et à la possibilité d’enquêter à partir d’un véritable travail de première main. Toutefois la persévérance s’est révélée payante. La multiplication des coups de sonde a permis de reconstituer progressivement un ensemble de pratiques, de trajectoires et de relations à l’intérieur et entre les espaces. Nous allons présenter dans la suite le bilan de notre collecte. Du côté des gouvernants

L’enquête dans les archives à commencer par l’exploration de l’espace des gouvernants. Désireux de sortir du biais parlementaro-centriste que nous observions dans les travaux consacrés à la « loi Neuwirth », nous avons décidé de privilégier dans un premier temps une entrée par la haute administration pour examiner si elle avait contribué au processus de réforme de la loi de 1920 et de quelle façon. Ce chantier est resté longtemps bloqué. En effet, certains cartons furent longtemps indisponibles pour cause d’amiante, puis déménagés au nouveau centre des Archives Nationales à Pierrefitte. Toutefois, en 2014, la possibilité de consulter une partie d’entre eux a été à nouveau ouverte. Cette réouverture fut providentielle. Elle nous a en effet permis de documenter de manière inédite des aspects jusque-là inconnus. Convaincu que la question contraceptive avait été prise en charge par la direction générale de la Santé, et en l’occurrence le bureau de la Protection maternelle et infantile, nous avons commencé par consulter quelques cartons en relation avec la « régulation des naissances » dans ce cadre. Ils ont très rapidement révélé l’existence d’univers de relations beaucoup plus dense au sein de l’administration dans lequel la PMI n’occupait pas forcément la position la plus centrale. Nous avons découvert dans ce cadre l’importance de la mobilisation de la direction de la Population

et de l’Aide, et plus particulièrement celle de la sous-direction de la Famille via le 1er bureau

dont nous avons exploré plusieurs cartons. Il est également apparu que le service central de la

Pharmacie était impliqué. En outre, les archives du ministère de Population et de la Santé ont

révélé – ce qui était en réalité logique – l’intervention régulière et les relations entretenues sur ce plan avec la direction des Affaires criminelles et des Grâces du ministère de la Justice et du service législatif qui lui est rattaché, ce qui nous a conduit à explorer les archives disponibles de ce dernier pour retrouver des traces d’activité en rapport avec la modification de la loi de 1920. De manière inattendue, cette plongée a également mis au jour un aspect peu ou pas connu dans l’histoire du traitement de la question contraceptive par les sommets de l’Etat. Au moment où ceux-ci s’opposaient officiellement à toute réforme du cadre légal, une mobilisation

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importante a existé autour des années 1965 et 1966 pour trouver un système de dérogation au droit dans le but d’imposer la contraception dans les mondes ultramarins sans rien changer à la situation en métropole. Nous avons tenté de mieux documenter ce point en explorant certaines archives du ministère en charge des DOM-TOM. Certaines situations d’expertise dans et aux frontières de l’État en rapport avec la question de la population, saisie dans sa dimension démographique, ont été par ailleurs documentées à travers le Fonds Mauco, le Fonds Sutter, le Fonds du Haut Comité Consultatif de la Population et de la Famille. Du reste, notre objectif initial était également la réalisation d’une prosopographie des agents administratifs investis dans le traitement de la question à partir de la consultation de dossiers de carrière. Sur ce point, nous nous sommes heurtés à deux obstacles. Au moment où nous avons décidé d’explorer cette piste, une partie des séries qui auraient été a priori utiles n’étaient plus disponibles en raison des importantes perturbations que le site de Fontainebleau a connues ces dernières années. En outre, il faut reconnaître que nos demandes répétées au personnel des Archives Nationales sur ce point n’ont pas toujours rencontré l’aide espérée, sans doute faute d’avoir su bien présenter nos demandes.

Cela étant, l’exploration de l’univers des gouvernants ne s’est pas limitée à celle de la haute administration. Nous avons également tenté de mieux apprécier ce qui s’était joué du côté des membres élus de l’exécutif ou du législatif. Nous avons ainsi effectué des coups de sonde dans les archives de la Présidence De Gaulle qui se sont révélés peu fructueux. La consultation des notes adressées par le conseiller technique à la santé du président de la République n’a ainsi rien donné. Nous avons toutefois retrouvé un dossier préparatoire en relation avec deux réunions importantes qui sont tenues à la fin de l’année 1967 à l’Elysée dont nous analyserons dans notre dernier chapitre la signification. Par ailleurs, le Fonds Donnedieu de Vabres, a permis d’exploiter les notes manuscrites prises par le secrétaire général du gouvernement lors des discussions qui ont eu lieu au cours des deux conseils du ministre où la décision d’autoriser la discussion à l’Assemblée Nationale de la proposition de loi déposée par L. Neuwirth a été prise. Du côté du Premier Ministre, le Fonds Jobert a révélé quelques notations intéressantes de la part de son directeur de cabinet de l’époque. Le Fonds Jeanneney a été utilisé essentiellement pour consulter les agendas du ministre de la Santé entre 1966-1967 et repérer des contacts officiels ou officieux avec des partisans de la cause contraceptive. Enfin, le Fonds

Debré a permis de mieux documenter certains aspects peu ou pas connus de l’action des gouvernants dans les années 60 en matière de contraception. Il a permis notamment de mieux saisir le contexte dans lequel la Commission Prigent sur la Famille a été créée en 1961 et comment celle-ci a, par la suite, été sollicitée par le Premier ministre lui-même pour trouver un moyen d’assouplir le cadre légal en matière de contraception, sans toutefois provoquer une modification de la loi. Grand défenseur de la cause de la population dans l’État aux côtés de son père, le professeur de médecine Robert Debré, les archives de Michel Debré permettent également d’avoir un aperçu des tentatives de contre-mobilisations qui ont pu exister à la fin des années 60 pour faire obstacle à la modification de la loi de 1920. En complément, d’autres fonds ont été exploités pour éclairer la scène gouvernementale. Nous avons notamment utilisé

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les archives de l’Assemblée Nationale, ce qui, au-delà des comptes-rendus officiels, a permis

de mieux saisir la forme des échanges dans la Commission spéciale créée en 1966 à l’initiative de L. Neuwirth.

Du côté des partisan-e-s de la cause contraceptive

La reconstruction de l’espace en rapport avec la cause contraceptive semble de prime abord plus simple. Ainsi, on pourrait être tenté de penser que la simple consultation des archives MFPF pourrait suffire à documenter ce terme de la relation. Or, rien n’est moins vrai. D’abord, si le Fonds MFPF est plutôt bien garni, le début des années 60 est beaucoup moins bien documenté que la deuxième partie de la décennie. En outre, s’en tenir à ce fond c’est confondre le carton et l’objet et surtout croire que le groupe mobilisé se superpose strictement avec une entité juridiquement définie comme association. Pour mieux éclairer cet espace, il a fallu recourir à différents fonds en relation avec des personnes et des organisations qui y ont été investies au moment qui nous intéresse, pour le saisir par en haut et par en bas.

Côté personnes, d’abord. Le Fonds Deixonne qui réunit les papiers d’un militant socialiste chevronné, ancien secrétaire général du MFPF dans les années 60, s’est révélé d’une très grande richesse et constitue une des sources majeures de ce travail. Ainsi également du Fonds Dalsace qui contient de nombreux documents conservés par un des médecins pionniers de la contraception en France. Le Fonds Valabrègue conserve un ensemble déterminant de lettres qui permettent de documenter le début des années 60 au MFPF à l’échelle des militant-e-s ordinaires et à celle des relations entre organisations. On a également tiré profit du Fonds

Simon déposé au Centre des Archives du Féminisme à Angers, en particulier pour rendre

compte des premières formations de médecins aux techniques contraceptives. Le Fonds

Weill-Hallé de l’Institut Pasteur comporte quelques éléments intéressants à exploiter pour documenter la trajectoire du couple Weill-Hallé dont on verra la centralité dans l’invention de la cause contraceptive au mitan des années 50. C’est dans cette perspective que nous avons également consulté le Fonds du Mouvement pour la Paix.

Côté organisation, le Fonds MGEN, contre toute attente s’est révélé d’un grand intérêt, qui a permis de mieux saisir certaines dynamiques de mobilisation autour de la cause contraceptive impliquant des militants laïques. Le Fonds MFPF Grenoble a également été consulté. C’est une source importante pour documenter la forme prise par l’espace en faveur de la cause contraceptive et la mobilisation au tournant des années 60. De façon plus anecdotique, nous avons trouvé quelques éléments dans les archives non classées du MFPF Lyon. On également tiré parti du Fonds Jeunes Femmes pour apprécier l’investissement de protestant-e-s dans la cause contraceptive, en particulier en exploitant un ensemble de documents réunis a posteriori – des témoignages oraux retranscrits, en particulier – pour écrire l’histoire du mouvement. De même, nous avons procédé à des coups de sondes rapides dans le Fonds Association des

Femmes Diplômées pour saisir l’investissement d’une association du féminisme de la première vague en faveur de la cause contraceptive. Certaines archives de partis ou des fonds en rapport

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avec des partis ont été également sollicités. Ainsi des Fonds PCF et le Fonds

Thorez-Vermeersch destinés à mieux comprendre la ligne de conduite de refus endossée à propos de

la contraception par le PCF en 1956. On a également exploré le Fonds PSU, organisation fortement impliquée dans le combat en faveur de la contraception. De façon plus accessoire, le

Fonds FGDS a pu être utilisé pour apprécier, dans une partie de la gauche non communiste en

recomposition, les conséquences de la campagne présidentielle de 1965 et de la mise à l’agenda de la question contraceptive à travers la candidature Mitterrand. De même, nous avons combiné la consultation du Fonds FGDS avec le Fonds Roudy pour éclairer le rapport entre le Mouvement Démocratique Féminin et la cause contraceptive. Cet ensemble de sources archivistiques a permis de mieux saisir les contours de l’espace des partisan-e-s et son fonctionnement. Dans ce cadre, nous avons le plus possible tiré parti des informations disponibles pour tenter une description renouvelée et la plus précise possible de de celui-ci. C’est dans ce but que nous avons exploité certains documents afin de constituer deux bases de

données. L’une porte sur un échantillon de médecins investi-e-s dans le la cause contraceptive au début des années 60. L’autre porte sur un échantillon de militant-e-s non médecins engagé-e-s à la même période (pour des détails sur leur constitution, voir le chapitre 2).